Dialogues de Jean-Jacques

ou les Mystères de

l'Exploitation Commerciale

Edition revue et corrigée (mars 1929)

Dédié à l'ami Jelévu et
à son indiscret Pitchou.

J. et J.


Table des Matières

PREFACE

PRESENTATION DES PERSONNAGES ET DU DECOR

PREMIERE PARTIE

INTRODUCTION :

Moyens de transport en usage avant la création des chemins de fer

Création des chemins de fer

DEUXIEME PARTIE

HISTORIQUE DES LIGNES NORD-BELGES :

Généralités

Ligne de Liège à Namur :

Concession, construction, mise en exploitation

Prise à bail par la Compagnie du Nord

Ligne de Namur à Givet :

Construction, mise en exploitation

Notice technique et statistique

Ligne de Charleroi à la frontière de France :

Concession, construction, mise en exploitation

Prise à bail par la Compagnie du Nord

Notice technique et statistique

Ligne de Mons à Quévy frontière :

Concession, construction, mise en exploitation

Prise à bail par la Compagnie du Nord

Chemins de fer du Nord-Belge : Résumé et situation actuelle

TROISIEME PARTIE

Revue cinématographique du Nord-Belge

Liège à Givet : Quelques notes historiques, artistiques et industrielles

Erquelines à Charleroi : Id

Mons à Quévy : Id

AVERTISSEMENT

QUATRIEME PARTIE

EXPLOITATION COMMERCIALE

MARCHANDISES :

  • Exploitation commerciale
  • Législation : Loi de 1891
  • Convention de Berne (C. I. M.)
  • Les Tarifs
  • La Taxe
  • Espèces de Tarifs
  • Tarifs spéciaux
  • Tarifs d'Exportation
  • Tarifs directs
  • Nombreuses modifications subies par les Tarifs
  • Distances
  • Irrégularités
  • De quelques notions qu'on doit connaître et de beaucoup d'autres qu'on ne peut ignorer :

  • Règlement
  • Services intérieur, mixtes et internationaux
  • Grosses marchandises
  • Bâchage
  • Lettre de voiture
  • Pesage
  • Emballage
  • Objets acceptés conditionnellement
  • Prescriptions douanières et fiscales. - Licences
  • CINQUIEME PARTIE

    VOYAGEURS :

  • Législation
  • Espèces de Tarifs
  • Bases
  • Réductions
  • Abonnements
  • Responsabilité
  • Bagages
  • Bagages que le voyageur emporte avec lui
  • Bagages en dépôt
  • Convention internationale
  • SIXIEME PARTIE

    PUBLICITE

    SEPTIEME PARTIE

    EPILOGUE


    PRÉFACE

    Après nous être ébaudis aux facéties savoureuses de notre impayable Pitchou, voulez-vous Camarades cheminots, nous accompagner dans une incursion éducatrice parmi le dédale de la documentation technique de l'exploitation commerciale des chemins de fer ? Promenade peu récréative, il faut bien vous prévenir tout de suite ; mais n'est-ce pas adoucir, rendre plus attrayante, notre tâche journalière que d'en pénétrer, nous l'essayerons ensemble, le pourquoi, le comment et le parce que.

    Les Mystères, disons-nous ! Certes ! puisque malheureusement, on doit bien constater qu'en Belgique on se sert trop souvent du capital humain sans chercher à l'instruire.
    CHEMINOT, CHEMINE... ET TRAVAILLE.
    Novembre 1927. J. J.

    PERSONNAGES :

    Jacques : simple cheminot.

    Jean : simple cheminot, son collègue.

    DECORS

    Un bureau spacieux. Deux fenêtres : une dans le fond, l'autre à droite, premier plan, laissant pénétrer des flots de lumière. Porte à gauche, premier plan. Parquet et pupitres cirés. Cheminée à gauche, deuxième plan, ornée d'une grande glace et d'une garniture en bronze. Lustre. Sièges moelleux.

    Cette scène, ainsi que les suivantes, se passent dans les magnifiques locaux ultra-modernes du S. A. N. B.


    PREMIERE PARTIE

    INTRODUCTION

    Jean et Jacques sont confortablement assis. Jean lit le «Tampon», Jacques fume.

    JACQUES. - Depuis quand y a-t-il des tarifs de transport ?

    JEAN. - Avant que les moyens actuels de transport n'existassent, les échanges s'effectuaient par chameau, âne, cheval, porteurs, esclaves. Le paiement se faisait en nature, on ne connaissait pas encore le vil métal argent. Il est vrai que ce mode de paiement équivalait bien au nôtre.

    JACQUES. - Plaise à Dieu que l'on n'eut jamais inventé les monnaies. L' «auri sacra fames» (voir pages roses) n'existerait pas. Sois persuadé que ce n'est pas par pédantisme scolaire que j'emploie des locutions latines, c'est parce que, à maintes reprises déjà, j'ai constaté de ces expressions dans notre «Tampon» et je me suis évertué à compulser mon dictionnaire pour tâcher de ne pas être considéré comme une «bûche». C'est qu'une citation comme cela dans un discours ou une lettre, ça pose son homme, vois-tu. Je connais une vieille n...ouille de mes collègues qui a conservé l'empreinte indélébile de son éducation humanitaire et qui à chaque occasion s'empresse d'introduire une locution semblable pour «épater». Quel archaïste !

    JEAN. - Oui, mais revenons-en à nos moutons, en l'occurrence des chameaux. Ainsi, les caravanes qui, des bords fertiles du Nil majestueux, transportaient les produits du sol dans les ports de la Phénicie antique, possédaient des tarifs au même titre que les hétaïres de l'immortelle Athènes.

    JACQUES. - Inutile de remonter à la Genèse, c'est aux chemins de fer que nous devons en venir !

    JEAN. - Evidemment... Mais, il faut bien que nous parlions un peu des diligences, car on s'est inspiré des contrats de roulage pour constituer nos tarifs.

    (Après réflexion). Avant le transport par rails, on usait de diligences pour les voyageurs et les messageries, de chariots et fourgons pour le transport des marchandises. Il se conçoit que les taxes étaient aussi variables que les cotes de mérite au Nord-Belge ; comme pour elles, cela dépendait des circonstances concomitantes (route montagneuse, concurrence, chargement au retour, personnalité des clients, diamètre du piston, etc.). Le tarif proportionnel était néanmoins basé sur la taxation au poids et au volume, système encore en vigueur sur certains chemins de fer actuellement.

    JACQUES. - Tiens..., tiens..., la concurrence existait déjà à cette époque ?

    JEAN. - Naturellement. Le tarif était influencé par la proximité d'une voie navigable. Les coches d'eau, par exemple.

    JACQUES. - Les coches !

    JEAN. - Je veux parler des bateaux qui transportaient des voyageurs et qui, à cette époque, s'appelaient coches d'eau par analogie avec ceux qui roulaient sur la terre ferme.

    JACQUES. - Excuse-moi, car j'avais oublié cette homonymie et dorénavant, je tâcherai de ne plus faire la mouche du coche.

    JEAN. - Pour te donner une idée de la concurrence qui sévissait à certain moment, je vais te conter une histoire authentique. Deux grandes firmes de Messageries effectuaient le trajet de Bruxelles à Paris par deux itinéraires différents, l'une par Saint-Quentin, l'autre par Lille. Pendant bien longtemps, le prix du parcours était resté le même. Mais à un certain moment, l'une de ces firmes crut qu'elle pouvait diminuer ses prix ; sa concurrente en fit autant ; la première récidiva, l'autre fit une réduction plus forte. Finalement, l'une des firmes consentit à donner gratuitement la nourriture pendant les trois jours que durait le voyage.

    JACQUES (incrédule). - Pas vrai ?

    JEAN. - Absolument inconcevable, mais vrai. Une lutte identique a eu lieu entre les Compagnies transatlantiques pour le transport des émigrants et il était grand temps qu'un arrangement intervienne sans quoi, ils allaient en arriver à la gratuité. Pour en revenir à la première histoire, c'est l'apparition des chemins de fer qui termina cette lutte. La doctrine manchestérienne ou «Laissez faire» en vogue au XVIIIe siècle permettait ces façons de procéder.

    JACQUES. - Pour en finir avec les diligences, était-on bien dans ces carioles ?

    JEAN. - Dans ces vieilles «bagnoles» où l'on était balloté comme une coquille de noix sur une mer déferlée, il y avait quatre classes, alors que nos longs convois comportent trois, deux et parfois une seule classe. Et tiens, je ne puis résister à l'envie de te parler de ces quatre classes : le coupé, en avant, l'intérieur, au milieu, la rotonde, en arrière et enfin la place «de derrière les fagots», la place «sélect» par excellence (celle que personne ne voulait) : la banquette, sur l'impériale derrière le cocher. Il y avait encore, mais ceci pour mémoire, derrière la banquette, de la place sous la bâche, pour les colis et les chiens.

    JACQUES. - Sans blague !

    JEAN. - Comme toujours, évidemment, les rares prolétaires de ce temps qui s'appelaient les gueux et qui étaient astreints à voyager, occupaient les places les mieux exposées à la bise, à la pluie, à la neige ou à la poussière aveuglante, ils pouvaient grelotter à leur aise tout le long du parcours.

    JACQUES. - On doit tout de même reconnaître que cela va beaucoup mieux actuellement. On dit toujours que c'est relatif ! Tu vois bien que ce n'est pas vrai. Ne vas surtout pas croire que je veuille démolir la théorie d'Einstein.

    Non !...

    JEAN. - Parlons sérieusement. Pour venir d'Aix-la-Chapelle à Liège, soit 14 lieues, il fallait cinq heures alors qu'avec «le grand frère qui fume», deux heures ne sont même pas nécessaires. Un autre exemple, de Dunkerque à Paris par Lille et Saint-Quentin, il fallait 32 heures, cela coûtait 20 f 50 (banquette, la place sélect, donc), 27 f 50 (rotonde), 34 f 50 (intérieur) et 41 f 50 (coupé) ; maintenant le train met cinq heures pour parcourir les 310 kilomètres qui séparent Paris de Dunkerque, via Arras, Béthune aux prix de frs. 61,45 (3e), 94,25 (2e), 139,65 (1re).

    JACQUES. - Les diligences n'allaient pas fort vite, c'est comme l'avancement dans certaines catégories.

    JEAN. - II y avait aussi le parent pauvre des diligences : le coucou, voiture de place à 2 roues qui faisait spécialement le service des environs de Paris et qui pouvait contenir 5 ou 6 personnes. Infâme brouette qui avait cependant grande vogue sous l'Empire et la Restauration.

    JACQUES. - Mais, tu ne dis mot des chaises à porteurs, que deviennent-elles dans ton film ?

    JEAN. - La mode de ces machines à «transbahuter» est plus ancienne que celle des coucous. Au XIVe siècle il y en avait déjà un succédané, si l'on peut dire, telle la chaise roulante d'Isabeau de Bavière, mais celle-ci était plutôt un siège de malade.

    JACQUES. - Isabeau de Bavière. La femme du Bien-Aimé Charles VI, celle-là qui livra sa belle France aux Anglais ?

    JEAN. - Elle-même. Mais il faut attendre le milieu du XVIe siècle pour voir ce mode de transport prendre situation en France.

    JACQUES. - Est-ce dans ce merveilleux pays que les premières chaises ont paru ?

    JEAN. - Non, en Italie l'usage en était plus ancien.

    JACQUES. - Dura-t-il longtemps ce moyen de locomotion ?

    JEAN. - Il subsiste encore dans quelques villes, notamment à Constantinople. Mais ce fut surtout au XVIIe et XVIIIe siècles que parurent les chaises classiques.

    JACQUES. - Comment étaient-elles faites ?

    JEAN. - C'étaient des boîtes hautes et étroites à 2 portes dont le couvercles ou ciel pouvait se lever à volonté afin que la personne assise dans la chaise puisse se tenir debout au besoin.

    JACQUES. - C'était «rigolo» c'truc là. T'imagines-tu le monsieur qui, transporté le long des boulevards, faisait son petit bonjour aux amis et connaissances avec sur le crâne, le ciel de la boîte à surprise !... Les porteurs, eux, n'étaient pas bien à l'aise sans doute ! Comment s'y prenaient-ils ?

    JEAN. - Ils tenaient à la main des bâtons supportés par des bricoles.

    JACQUES. - Des bricoles ! J'ai déjà entendu cela au triage à Kinkempois ; qu'est-ce que cela vient faire ici ?

    JEAN. - Des lanières de cuir que l'on passe au cou. N'as-tu jamais vu conduire une brouette ! Je disais donc que ces bricoles aidaient à supporter les bâtons qui passaient dans quatre crochets fixés sur chacune des faces latérales du coffre.

    JACQUES. - Alors, pas moyen de sortir du «cagibi» quand on marchait ?

    JEAN. - Non, il était impossible à la personne «contenue» d'en sortir quand tout était paré.

    JACQUES. - Il n'y avait pas besoin de clef de Berne alors et comme les enlèvements de damoiselles étaient facilités.

    JEAN. - II y a mieux maintenant, les avions. Finissons cependant la description de ces «véhicules». Des fenestrations chantournées munies de glaces mobiles, s'ouvraient sur le devant et sur les portières.

    JACQUES. - Fenestrations chantournées ! Quel plaisir as-tu donc à m'écraser de ton vocabulaire ? Pourquoi ne pas dire des fenêtres encadrées de bordures découpées, travaillées ?

    JEAN. - Que fais-tu de la culture intellectuelle ? Comment ne ressens-tu pas du plaisir à t'évader des formules stéréotypées de l'Administration. Je finis, malgré toi, en te signalant que certaines chaises du XVIIIe siècle étaient de véritables joyaux, des merveilles de fine ébénisterie et de peinture.

    JACQUES. - Mince de lusque ! Ce n'était pas pour le commun des mortels, ces engins là.

    JEAN. - Erreur, mon vieux, il y avait à cette époque à Paris et à Versailles des stations où se trouvaient des chaises de louage.

    JACQUES. - Encore des ancêtres de nos déjà vieux moteurs à crottins, nos vénérables sapins. Tu me feras grâce du voyage de Madame Bovary, car s'il y avait jadis des juges à Berlin, il y en a encore chez nous.

    JEAN. - Avant d'aborder définitivement le railway, je vais me permettre une nouvelle digression au sujet des bateaux à vapeur. La machine à vapeur était inventée depuis 40 ans, lorsqu'en 1736 Jonathan Bull chercha à faire marcher un bateau au moyen de la vapeur. Bien avant Papin, Worcester, Jouffroy et Fulton qui tous revendiquent cette invention, Salomon de Caus avait trouvé le moyen d'employer la vapeur d'eau (1615) comme force motrice. Malheureusement, il ne fut pas compris et le despote Cardinal de Richelieu qui régnait alors, fatigué de ce qu'il appelait les importunités de l'homme de génie, le fit enfermer à Bicêtre où l'inventeur devint fou.

    JACQUES. - Tiens... ah... mais... j'y pense... ce n'est pas à M. de Richelieu seul, que ton homme de génie dut, comme bien d'autres d'ailleurs, la suprême jouissance de sentir son esprit f... le camp, non, je me rappelle avoir lu que cette Excellence s'en rapportait toujours pour ces sortes de hautes œuvres (si l'on peut dire) au R. P. Joseph, mieux connu sous le nom d'Eminence grise. (Rêveur)... C'est drôle cela : de tout temps, il y eut toujours des «Eminence grise» et je crois que bien des «Richelieu» ne seraient pas si tannants, s'ils n'avaient comme leur prototype, une âme damnée, un astrologue dans le genre de Ruggieri, pour les tenir «sous pression» comme diraient nos mécanos.

    (Comme sortant d'un rêve). Mais pardon, Jean, tu en étais à la navigation chez nos voisins, où elle se développait rapidement, mais en Belgique ?

    JEAN. - La première société créée pour l'exploitation de la nouvelle invention sur le Rhin fut établie à Anvers (1821). Le bateau à vapeur qui faisait le trajet de Cologne à Anvers s'appelait «die Hoffnung of Antwerpen » (L'Espérance d'Anvers). En 1840, nous eûmes, deux bateaux qui firent le service entre Namur et Liège, ce sont les ancêtres de ceux que nos fameux Don Quichotte de la Garde-Civique firent couler, une nuit, en 1914, croyant voir arriver les superdreadnought de la marine impériale allemande !

    JACQUES. - Cette expérience fut-elle heureuse ?

    JEAN. - Les difficultés occasionnées par la remonte du fleuve permirent même aux diligences de continuer à leur avantage une partie du service qu'elles assuraient, sur le même parcours.

    JACQUES. - A cette époque, nous étions encore loin des magnifiques paquebots transatlantiques actuels qui sont de véritables villes flottantes et qui, comme elles, réunissent tout le confort moderne : dancing, salle de lecture, bibliothèque, tea room, bassin de natation, court de tennis, salle de gymnastique et de spectacle, etc. Ces vaisseaux pourvus de machines très puissantes dévorant des milliers de tonnes de charbon, réalisent de très grandes vitesses, se moquant des vents défavorables et des tempêtes. Ainsi, ils effectuent le parcours d'Anvers à New-York en 11 jours. Et même, tout dernièrement, dans une course affolante entre Long-Island et Cherbourg, le steamer français vainqueur de la compétition, a effectué le trajet en moins de cinq jours.

    JEAN. - Ils ne ressemblent en rien au bateau avec lequel l'immortel Christophe Colomb traversa l'Atlantique pour aborder à San Salvator le 12 octobre 1492. Toutes ces réalisations ultra-modernes auraient été taxées d'utopies, si on les avait prédites aux contemporains de Magellan.

    JACQUES. - On a raison de dire utopie aujourd'hui, réalité demain.

    JEAN. - A l'origine, les paquebots ou bateaux à vapeur servaient, comme l'indique l'étymologie du mot «packet boat» au transport des paquets de dépêches entre Calais et Douvres. Ce ne fut qu'en 1771 qu'un service de paquebots fut instauré entre la France et la Hollande.

    JACQUES. - On les a dénommés ainsi pour les distinguer des «cargo-boats» qui servent exclusivement aux transports de marchandises.

    JEAN. - Je ne te parlerai pas de la lutte intense qui sévissait jadis et qui subsiste encore à l'heure actuelle au sujet de l'empire de mers, tant au point de vue marine marchande que de la flotte de guerre. Ce serait sortir du cadre que nous nous réservons et nous entraînerait trop loin.

    JACQUES. - Comme flotte, à part la «drache nationale», nous n'avons pas grand'chose, si ce n'est notre école flottante, à Ostende, bateau «Comte de Smet de Nayer», notre navire-école «L'Avenir», l'école des pêcheurs «Ibis I» et «Ibis II» et enfin nos malles Ostende-Douvres.

    JEAN. - C'est vraiment dommage, car dans tous les domaines aussi bien scientifiques que commerciaux, nous avons d'illustres représentants. C'est une lacune à combler, pour employer une expression tombée en désuétude parce que trop souvent employée.

    JACQUES. - Si nous revenions à notre sujet ! Nous allons sans doute arriver à la création des chemins de fer. Mais, permets-moi cette remarque : pour toi, le plus court chemin d'un point à un autre n'est guère la ligne droite, car depuis le temps que tu parles, tu t'emballes, tu t'emballes... et tu t'écartes constamment du sujet.

    JEAN. -. En effet, cher ami, mais permets-moi, à mon tour de te dire que tu n'es guère observateur : cela se constate, en effet, couramment dans la vie et particulièrement chez nous. N'as-tu pas assez d'exemples où certains de tes collègues n'emploient pas la ligne droite et pour cela arrivent parfois plus rapidement au but que les agents qui n'ont pas recours aux moyens déloyaux.

    CREATION DES CHEMINS DE FER

    JACQUES. - Enfin, et... dans quel pays a-t-on commencé ?

    JEAN. - Il y a trois ans déjà, que l'Angleterre a fêté le centenaire de l'application de l'invention de l'ingénieur Stephenson aux transports par fer sur le parcours de Darlington à Stockton. Il convient de rappeler qu'en France, le formidable réseau du P.L.M. est issu de la ligne de Saint-Etienne à Andrézieux, créée le 21 février 1823, mise en service au mois de mai 1827 pour le transport des marchandises seulement. Les convois étaient tirés par des chevaux. Ce ne fut qu'en 1844 que la mécanique remplaça la traction chevaline. Trois ans après (1830) fut ouverte la ligne de Saint-Etienne à Lyon sur laquelle circulèrent les premiers trains de voyageurs, tractionnés par des locomotives.

    JACQUES. - Çà devait être «rigolo» d'utiliser ces moyens rudimentaires de locomotion !

    JEAN. - J'te crois... Pendant quelques kilomètres, le convoi était remorqué par des chevaux ; puis une locomotive lui faisait franchir quelques lieues. Lorsqu'il fallait escalader un plan incliné, on se servait de cordages actionnés par des machines-fixes. Parfois quand deux pentes se rejoignaient, on utilisait le poids du train descendant pour faire remonter l'autre sur le versant opposé.

    JACQUES. - Mais qui a eu la toute première idée du chemin de fer ?

    JEAN. - Elle est due à l'ingénieur anglais Vivian, véritable inventeur du rail (note 019), et fut utilisée en Angleterre, bien avant les autres pays, pour les transports locaux de charbon.

    JACQUES. - Comment cela ?

    JEAN. - En 1802, cet ingénieur songea à utiliser les chemins dits «à ornières», c'est-à-dire constitués par des poutres de bois posées bout à bout et dans lesquelles on avait creusé artificiellement des ornières pour guider les roues des voitures faisant aux mines de Cornouailles, le transport des charbons.

    JACQUES. - Pas bêtes ces Anglais. Avions-nous quelque chose de semblable en Belgique ?

    Il y a 100 ans
    L'entrée du Grand Tunnel d'un Chemin de Fer
    - Messieurs, nous allons entrer sous le grand tunnel qui est fort étroit... je vous en supplie, ne bougez pas pendant tout le trajet... il n'y a pas de voyage qu'il ne se perde ici, un bras, une jambe ou un nez... et vous comprenez qu'il est impossible à l'administration de les retrouver dans un souterrain tout noir, qui a deux lieues de long !

    JEAN. _ Oui, beaucoup plus tard (note 021), il y eut un projet de chemin à ornières d'Anvers à Cologne auquel il ne fut pas donné suite.

    Je continue : Vivian, en 1806, remplaça les ornières par des barres saillantes en fonte, en donnant au pourtour des roues la forme d'une gorge de poulie.

    JACQUES. - Bien trouvé çà.

    JEAN. - Deux ans après, il remplaça la fonte par le fer, en arrondissant le profil des barres ; en même temps, il fit disparaître la gorge des roues et lui substitua un simple bourrelet, dépassant légèrement la circonférence intérieure de ces roues.

    JACQUES. - Cela dura longtemps cet état de choses ?

    JEAN. - jusqu'en 1815, mais à partir de cette époque, les voies ferrées commencèrent à s'étendre dans toutes les directions en Angleterre.

    JACQUES. - Mais en France, notre sœur, tu permets que je m'y intéresse un peu, n'est-ce pas, puisqu' «in illo tempore», c'était avec Albion, les deux grandes nations en compétition.

    Marc Séguin

    JEAN. - Bien sûr. Outre-Quiévrain, comme disent nos actuels journalistes, sous l'influence active de l'éminent ingénieur Marc Séguin, inventeur des foyers tubulaires des locomotives, les chemins de fer prirent rapidement une grande extension.

    JACQUES. - Et nous autres que devenons-nous ?

    JEAN. - C'est là que je t'attendais. Tu ne devrais pas ignorer que c'est principalement aux belges qu'est due l'initiative du formidable développement de la question capitale des chemins de fer.

    JACQUES. - J'avoue mon ignorance.

    JEAN. - La Belgique avait pressenti le rôle prépondérant que le nouveau moyen de locomotion allait jouer dans le développement du commerce et de l'industrie et désirait ardemment construire de grandes voies ferrées avant ses grands voisins.

    JACQUES. - Dans le but d'être l'intermédiaire obligé des nations environnantes.

    JEAN. - Dans cette idée, un groupe d'industriels liégeois fit, en octobre 1830, des démarches auprès du Gouvernement provisoire pour la création d'une ligne reliant l'Escaut au Rhin et éviter ainsi l'acheminement par les eaux intérieures hollandaises., En 1831, MM. de Laveleye et A. Granssagne avaient présentés à la France un projet pour l'établissement d'un chemin de fer de Marseille à Anvers réunissant ainsi la Méditerranée et la mer du Nord.

    JACQUES. - Que fit-on ?

    JEAN. - Le Gouvernement provisoire chargea le Ministre de faire un rapport sur l'établissement de moyens de communication entre Anvers et Maestricht soit par eau, soit par fer. En outre, un arrêté royal du 24 août 1831 décida d'envoyer une délégation en Angleterre afin d'étudier la question de l'établissement d'un chemin de fer entre l'Escaut, la Meuse et le Rhin.

    JACQUES. - Qu'est-ce qu'il en advint ?

    JEAN. - Le 10 février 1832, la délégation présenta un projet d'une route en fer d'Anvers à Cologne, un arrêté royal autorisa le Gouvernement à mettre en adjudication le chemin de fer d'Anvers à Liège.

    JACQUES. - A-t-elle eu lieu ?

    JEAN. - Non, d'autres projets, notamment celui de MM. Vilain XIIII et consorts relatif à la construction d'un chemin de fer de Bruxelles à Anvers, n'eurent pas plus de succès...

    JACQUES. - Les capitaux manquaient par suite de ce que ces entreprises étaient jugées hasardeuses, à cause du manque d'expérience.

    JEAN. - C'est surtout parce qu'il y avait un parti qui voulait que l'Etat se chargeât de la construction.

    JACQUES. - Parvint-il à imposer son point de vue ?

    JEAN. - Oui, et par arrêté portant la date du 1er mai 1834, la Belgique mit à charge du Gouvernement la création des lignes de chemins de fer, alors que le même arrêté ne fut pris en France, que pendant l'année 1842.

    JACQUES. - Qu'ordonna-t-il ?

    JEAN. - Du point central de Malines, quatre branches principales devaient se diriger :

    1. sur Bruxelles et les frontières de France ;
    2. sur Ostende ;
    3. sur Anvers ;
    4. sur la frontière de Germanie par Liège.

    Régulièrement des lois prescrivirent l'établissement de nouvelles lignes aux frais du Trésor.

    JACQUES. - Enfin nous arrivons dans une période réalisatrice !

    JEAN. - Permets-moi d'ouvrir une parenthèse au sujet d'une innovation chez nous ?

    JACQUES. - Vas-y, ce n'est pas la première et probablement pas encore la dernière.

    JEAN. - En 1838, un ingénieur inventa les «rails mobiles ou chemins de fer mouvants», prêts à servir sur toutes les routes et avec toutes les voitures. Il partait de ce principe que puisqu'il y avait des wagons sur rails, il pouvait y avoir aussi des voitures sur rails.

    JACQUES. - Evidemment.

    JEAN. - Bien mieux, la même année, une société de Messageries organisait sur la route de Gand à Lille, un service de «voitures inversables à six roues, à trains articulés», le chemin de fer hippomobile qui fonctionnera un certain temps et deviendra par la suite le tramway.

    JACQUES. - Il y en avait beaucoup de ces voitures dans le train hippomobile de Gand à Lille ?

    JEAN. - Trois, tirées par deux chevaux.

    JACQUES. - La plus noble conquête de l'homme a bien périclité depuis, partout on l'abandonne. Pour en revenir à ce que nous disions tout à l'heure, que firent les autres nations voisines devant l'admirable exemple d'énergie donné par notre ingénieux petit pays ?

    JEAN. - Emoustillés par l'œuvre de notre Gouvernement, les pays étrangers créèrent des lignes qui vinrent se rattacher aux nôtres. Grâce à notre initiative, les peuples les plus indolents et les moins sympathiques se rapprochèrent. Les distances les plus considérables fondirent comme neige au soleil ou n'étaient plus qu'idéales. Si nous ne pouvons pas encore dire comme le Roi Soleil le faisait des Pyrénées : «il n'y a plus de distances», nous pouvons affirmer que nous avons vaincu l'impérieuse défense que les colonnes d'Hercule faisaient au voyageur en lui disant : «Tu n'iras pas plus loin». Nous avons osé et le succès a couronné nos efforts. Nous pouvons légitimement être fiers d'avoir contribué à ce prodigieux essor des premières années.

    JACQUES. - Te voilà bien devenu patriote. Je ne te savais pas aussi fervent admirateur des belges.

    JEAN. - A chacun son dû, cher camarade, je ne vois d'ailleurs pas ce qu'il y a qui te chatouille : la question des chemins de fer est essentiellement internationale. Les peuples en se rapprochant apprennent à mieux se connaître, à s'entendre et parfois même à s'aimer.

    JACQUES. - Décidément, tu trouves réplique à tout.

    JEAN. - Je pourrais m'étendre longuement sur l'établissement des chemins de fer dans les pays européens, mais là n'est pas mon but et je préfère parler de ce que nous connaissons mieux : la Belgique.

    JACQUES. - Ça n'a pas été tout seul l'établissement des voies ferrées ?

    JEAN. - Ah, non, ce qu'il a fallu vaincre de résistances est incroyable. Comme toutes les nouveautés, celle-là fit scandale à son apparition. Elle suscita la haine, la moquerie, la méfiance, ou, chez les plus intelligents, le scepticisme.

    JACQUES. - Tu vas fort.

    JEAN. - Tu crois ? Rappelle-toi cependant l'incrédulité légendaire de M. Thiers quant à l'essor des chemins de fer, alors que ministre des travaux publics, il admettait, dans son discours du 2 avril 1835, l'établissement de petites lignes, mais recula dans un avenir fort éloigné la possibilité d'en créer de grandes en forme d'un réseau national. Et le grand savant Arago qui, député, s'opposa à la création d'une ligne sur la rive droite de la Seine, parce qu'il aurait fallu trop de temps pour percer le tunnel de Saint-Cloud. Quand on lui dit qu'il n'aurait que 800 mètres de long, il répliqua que la fumée des locomotives en ce souterrain, rendrait les voyageurs malades. Dans les écarts entre la température extérieure et la température intérieure, il voyait un danger pour la santé des personnes qui auraient l'imprudence de se confier à ce nouveau et inquiétant moyen de locomotion. Il craignait pour ces malheureux voyageurs des fluxions de poitrine, des pleurésies, des catarrhes !

    JACQUES. - Evidemment, c'était le début.

    JEAN. - Mais ces timorés finirent rapidement par s'incliner. De l'autre côté de la barricade, il y avait les enthousiastes et je ne puis résister à te lire une vieille chronique que je conserve précieusement dans mes archives. Elle est parue dans le «Siècle» du 29 mai 1841 et est due à la plume de M. Viardot. Le style imagé, coloré, et les admirables comparaisons inattendues qu'elle renferme satisferont certes ton violon d'Ingres : la littérature.

    JEAN (lisant).

    De Londres à Manchester - Railway de 250 milles.

    Le chemin de fer de Londres à Manchester, par Birmingham, avec embranchement sur Liverpool, d'un côté, sur Leeds, de l'autre, et continuant sans interruption jusqu'à Lancaster, présente, entre ses deux points extrêmes, un développement d'au moins 250 milles (environ cent de nos anciennes lieues, en comptant le mille à 65 au degré), et relie les plus importantes villes commerciales de l'Angleterre. C'est assurément l'un des plus grands, des plus beaux et des plus utiles ouvrages dont l'homme puisse s'enorgueillir. Aussi, semble-t-il que ses auteurs, justement fiers d'une telle œuvre, aient voulu en conserver la mémoire dans les siècles à venir par un impérissable monument. La porte d'entrée de l'embarcadère, à Londres, est une espèce d'arc de triomphe, dans le goût égyptien, quoiqu'en partie soutenu par des colonnes ioniennes, mais construit dans des proportions si colossales, et avec de si énormes blocs de granit, que son imposante solidité semble braver, les accidents, les commotions, les catastrophes, aussi bien que la lente et invincible main du Temps...

    JACQUES. - Ça me rappelle la magnificence, l'aspect de luxe et de prodigalité, les conceptions grandioses que la vue des colossales et nombreuses bâtisses élevées par les romains, suggère immédiatement à l'esprit le moins averti (basiliques, forum, arcs de triomphe, arènes, etc.).

    JEAN. - ... Je n'ai pas besoin de dire que les bâtiments de l'embarcadère sont merveilleusement appropriés à leur destination et que le service se fait, en toutes ses parties, avec autant d'ordre et de célérité qu'on en puisse concevoir. Pour ménager le temps, l'espace et les forces, nos voisins ont une expérience et une habileté qui les trompent rarement. Les employés et serviteurs sont d'ailleurs soumis a une règle sévère, inflexible, qui s'étend, m'a-t-on dit, comme dans l'armée, jusqu'aux punitions corporelles...

    JACQUES (interrompant). - Mince, alors !... Tu parles d'un business (biz'ziness). Ça devait être des costauds dans le genre du camarade Gaston que l'on chargeait de f... des dégelées aux copains fautifs.

    JEAN. - La ferme, hein, Jacques. Tu es toujours là quand il ne faut pas, je continue...

    ... Mais une innovation dont on ne peut savoir trop de gré à l'Administration du Rail-Way, c'est d'avoir rendu gratuit tout le service. Un employé quelconque, même un portefaix, qui accepterait des voyageurs la plus petite gratification serait à l'instant congédié...

    JACQUES. - Sans blague !

    JEAN. - ... Cette règle contraste étrangement avec ce qui se pratique dans toute l'Angleterre, surtout aux» voitures publiques, où le moindre bon office rendu à un voyageur, même sans qu'il le réclame, même quand il le défend, est taxé et exigé aussi impérieusement que le droit le plus légitime. C'est un avantage que le chemin de fer ajoute à une économie assez forte sur les prix des places, et à l'économie du temps, plus grande et plus précieuse...

    JACQUES. - Très, très intéressant ton article.

    JEAN. - ... Pour faire le voyage de Manchester, naguère si long, aujourd'hui si court, j'avais pris de préférence le convoi de la malle-poste (The Mail) qui, ne s'arrêtant pas aux petites stations intermédiaires, gagne une heure au moins sur les autres convois. Celui-là part de Londres à 10 heures du matin pour arriver à Manchester à 7 heures du soir ; de sorte, qu'après avoir tranquillement déjeuné chez soi, l'on va dîner à quatre-vingts lieues de distance. Le thermomètre a baissé de trois degrés, tant on est plus au Nord, et la montre qu'on emporte réglée au méridien du matin, se trouve, le soir, avancer d'un 1/4 d'heure, tant on est plus à l'Ouest...

    JACQUES. - Est-ce un cours de cosmologie que tu vas me donner ?

    JEAN (imperturbable). - ... Bien que ce convoi de la Malle ne s'arrête qu'aux grands points de jonction, le service de la poste ne s'en fait pas moins dans toutes les localités du parcours, et cela sans arrêter ni ralentir la marche. L'une des voitures est disposée en bureau, avec des tables, des chaises et même des lits pour le retour, qui a lieu pendant la nuit.

    JACQUES. - Je te concède que c'était tout de même un peu plus confortable que chez nous, malgré que nous soyons arrivés au XXe siècle.

    JEAN (inébranlable). - ... Au moyen d'une petite grille en fer à bascule, ils jettent sur la route le paquet qu'ils veulent laisser au bureau de poste placé sur leur passage et qu'attend un employé du pays, tandis qu'avec un filet qu'ils traînent comme dans une rivière, ils pèchent et tirent à eux le paquet qui leur est destiné. Le service de la poste se fait ainsi du départ à l'arrivée, de manière que tous les points intermédiaires sont desservis sans nuire à la rapidité de communication entre les points extrêmes, rapidité telle qu'une lettre écrite à Manchester reçoit sa réponse en 24 heures...

    JACQUES. - Voilà une chose à proposer à l'Administration : on pourrait ainsi instaurer une nouvelle filière dans laquelle se distingueraient surtout les nombreux disciples de «Marcatchou», pêcheurs en eau trouble, qui auraient vite acquis l'habileté nécessaire à la manœuvre du filet en question.

    JEAN. - Tu es fou, que deviendrait les objets fragiles ? Laisse-moi poursuivre en paix, je finirai par ne plus répondre à tes objections intempestives. Ecris à ton délégué et fiche-moi la paix avec tes propositions aussi baroques que saugrenues et qui finissent toujours en queue de poisson puisque nous parlons de pisciculture.

    (Continuant). ... Le départ de Londres ne se fait pas dans les conditions ordinaires. Des difficultés de terrain, ou peut-être des motifs de sécurité, ont fait éloigner les locomotives jusqu'à deux milles de l'embarcadère. On franchit cette distance comme par un moyen magique : les voitures s'en vont toutes seules, et courant sur les rails sans qu'on sache quelle mouche les pique. Tout cela n'est pourtant que de la magie blanche ; et voici l'explication du miracle : Le convoi remonte un plan incliné tiré par un vigoureux câble que fait tourner sur une longue suite de poulies mises à fleur de terre, une machine fixe placée au sommet de ce plan incliné. C'est un procédé simple, ingénieux, et d'une heureuse application. L'on a fait mieux encore sur le chemin de Blackwall. Là, il n'y a point de plan incliné, et la distance à franchir est d'environ cinq milles...

    JACQUES. - Curieux... très curieux... mais, en fait, c'est de la préhistoire.

    JEAN (lisant). - ... Une énorme machine fixe, ayant la force de quatre cents chevaux, placée au commencement du Rail-Way et faisant aussi rouler une corde sur des poulies, lance le convoi jusqu'à l'extrémité de la ligne. L'avantage de ce procédé ne consiste pas seulement dans l'économie des locomotives et dans l'absence des accidents qu'elles peuvent causer, mais encore dans la légèreté des rails et de toute la construction du chemin, qui, n'ayant pas à porter le poids considérable des machines mouvantes, n'a pas besoin de la même solidité. Ce que les hommes de l'art admirent le plus dans le chemin de Blackwall, c'est un télégraphe galvanique agissant par un conduit souterrain, au moyen duquel on envoie instantanément, d'un bout à l'autre de la ligne, les ordres de départ, les avis d'arrivée, toutes les communications qui intéressent le service.

    JACQUES. - Enfoncé le «dispatching system». Tu vois qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

    JEAN. - Tu t'en aperçois déjà. Tu es trop homme de terre (sans liaison), tu oublies que nous sommes au «siècle de l'air», ça ne se passe plus dans les souterrains, on a trouvé les... poteaux.

    (Poursuivant) ... On fait maintenant des essais pour appliquer, sur une plus grande échelle, les procédés de Blackwall, c'est-à-dire pour rendre beaucoup moins coûteuse la construction d'un chemin de fer, ainsi que pour donner au service une régularité et une sécurité plus parfaites.

    Au retour de cette petite excursion, faite par la pensée, nous nous trouvons attelés à la locomotive, puis précipités dans l'espace, et parcourant trente milles à l'heure. C'est la vitesse d'un cheval de course qui gagne le prix au Champ de Mars. Paisiblement assis dans un large et doux fauteuil, sans secousse, sans cahot, sans tangage, ni roulis, on voit se dérouler, dans le cadre de la portière, un mouvant panorama, dont les points de vue changent à toutes les secondes, et se renouvellent incessamment ; on voit défiler, à la suite les villes, les bourgs, les châteaux, les cottages, les métairies, semés sur les flancs des collines dans le creux des vallées, au milieu des accidents d'une campagne infinie...

    JACQUES. - C'est admirablement raconté, tu avais raison.

    JEAN. - ... Les plus agréables points de vue sont quelques vallées que le Rail-Way franchit en forme de pont ou d'aqueduc, et dans lesquelles on voit couler, non pas une rivière courant en capricieuse à travers les prés, car tout prend dans ce pays la forme que lui impose l'industrie, mais un grave canal de navigation. Sur les eaux immobiles glissent une foule de bateaux, tous uniformes, longs, minces traînés chacun par un pauvre cheval qui s'avance avec une lenteur de bœuf le long du sentier de halage. Cette navigation est l'antipode du voyage à la vapeur. D'ordinaire, quant le vent souffle (et quand le vent, bon Dieu, ne souffle-t-il pas en Angleterre ?) ces bateaux s'aident de la voile. Il est curieux alors, lorsqu'on se trouve à leur niveau, et qu'on ne peut apercevoir les eaux du canal de voir une flottille marchant sur la terre, voiles déployées...

    JACQUES. - Superbe comme tableau évocateur.

    JEAN. - ... L'autre changement de spectacle que présente le Rail-Way, si l'on peut appeler spectacle l'absence de toute vue et de toute lumière, c'est le passage des tunnels, alors qu'avec sa vitesse inflexible le convoi s'enfonce et s'abîme dans ses demeures souterraines et, bientôt disparaît la dernière lueur du jour, où l'on n'aperçoit plus, à la clarté funèbre des petites lampes suspendues dans l'intérieur des voitures que les nuages épais et fantastiques de la fumée qui se heurte aux voûtes et retombe jusqu'à terre en lambeaux ; où le cliquetis de la machine, cent fois redoublé par les échos devient le chant de sabbat et le vacarme de l'enfer...

    JACQUES. - Quelle vision terrifiante !

    JEAN. - ... Qu'on imagine un homme aussi brave et stoïque qu'on voudra le supposer, mais ignorant les nouvelles conquêtes de l'industrie, jeté, pour la première fois, dans cette obscurité soudaine, au milieu de ces apparitions et de ces bruits, quelle âme de fer résisterait à la peur, au vertige ? Pour moi, je crois fermement que Fabricius lui-même eût senti le frisson, et que les fantômes bruyants des sombres entonnoirs lui eussent paru plus terribles que l'éléphant de Pyrrhus...

    JACQUES. - Ah, oui, ce Fabricius, romain des temps anciens, qui avec ses compatriotes fut si surpris de se voir attaquer par les éléphants de Pyrrhus, roi d'Epire. Que veux-tu, s'ils n'avaient jamais vu de pachydermes, ces bons romains, ils étaient aussi excusables que nous, quand les allemands sortirent leurs 420 en 1914. C'est de M. Pyrrhus dont on dit qu'il acheta si cher ses victoires, comme nous d'ailleurs... Encore une fois, rien ne change.

    JEAN. - Ouf !... Ne vas-tu pas nous parler d'Annibal ! Me laisseras-tu lire à la fin ?

    ... Il y a cinq ou six tunnels sur le chemin de Manchester, presque tous avant Birmingham. L'un d'eux n'a pas moins d'un mille 1/4 d'étendue (une demi-lieue) le double de la longue grotte de Pausilippe à Naples et cependant ce n'est pas le plus considérable de l'Angleterre. On en cite un autre, sur le chemin de Leeds nouvellement terminé qui a deux milles de longueur. A moins de l'avoir parcourue, on se fait difficilement l'idée d'une telle voûte, au centre de laquelle on n'aperçoit plus les orifices que comme de petites et pâles étoiles dans la plus sombre nuit...

    JACQUES. - Qu'écrirait-il s'il traversait le tunnel du Saint-Gothard !

    JEAN. - ... Comme des voyageurs, même ceux du Rail-Way ne cessent pas d'être hommes, et ne peuvent échapper aux exigences de la nature, il serait difficile de les assimiler pleinement aux lettres de la malle-poste, pour les porter d'une seule course à leur destination. Le convoi s'arrête donc : d'abord quelques minutes à une station intermédiaire entre Londres et Birmingham, puis, à Birmingham, une demi-heure. En arrivant, tout le monde saute des voitures sur le quai ; et, bientôt, on se rassemble dans la grande salle, où trois ou quatre cents personnes trouvent des tables dressées et la collation servie : non pas une collation de nonnes, vraiment ; mais une collation d'Anglais, c'est-à-dire des rosbeefs fumants, ou plutôt des dos entiers de bœufs qui rappellent les repas homériques et les terga bovis de Virgile ; des...

    JACQUES (l'interrompant), - Terga bovis, terga bovis... comme qui dirait un fin morceau de filet, d'aloyau ou autre gîte à la noix...

    JEAN (lisant). - ... des gigots, des jambons, des volailles, puis des puddings, des pies (pâtés de fruits), des demi-fromages, dont chacun représente une meule de moulin coupée par la moitié. Pour deux schillings, et sans ajouter aucun pourboire aux domestiques, on a droit de faire main-basse sur toutes ces provisions, et de s'empiffrer une demi-heure durant. Heureux les estomacs capables et les dents agiles ! A l'heure sonnante, il faut jeter les serviettes ; je me trompe : s'essuyer aux nappes ; puis on remonte en voiture, on part, on court, on vole, et, neuf heures après le départ de Londres, on est à Manchester, sans avoir eu ni fatigue, ni poussière, ni choc de la tête, ni coup de pied du voisin, ni aucune des incommodités d'un voyage ordinaire, dont la plus grande, peut-être, est la malpropreté ; aussi frais enfin, aussi reposé, aussi propre que si l'on sortait de chez soi, après une longue causerie de salon...

    JACQUES. - Un peu mieux que dans les diligences, quoi !

    JEAN. - Encore un peu de patience et la description sera finie.

    ... La route traverse plusieurs districts manufacturiers, et des villes importantes... On aperçoit, par dessus les maisons, les arbres et les collines, ces hautes cheminées, vomissant des flots de fumée noire que le vent emporte, roule et déchire, et qui semblent autant de drapeaux dressés sur les manufactures, pour en marquer la place et en signaler le travail...

    JACQUES. - Comme sur les rives de notre belle Meuse.

    JEAN. - ... Parmi les villes devant lesquelles on passe, car le chemin de fer se garde bien de les traverser, on peut citer Coventry, Strafford, Woolverhampton, qui fabriquent une immense quantité d'ustensiles en fonte et fer battu ; enfin Birmingham, où les anciens auraient certainement placé le séjour de Vulcain et les forges des Cyclopes, car c'est la plus importante fabrique de l'Angleterre, (ce qui est dire du monde), pour les objets de métal, argent plaqué, coutellerie, fusils, sabres, boutons...

    JACQUES. - On voit bien que cela se passe en 1841 ; je crois que maintenant les U. S. A. peuvent sortir quelque chose comme production «in the world», comme ils disent.

    JEAN. - Comme c'est malin, hein cela. Ne t'ai-je pas dit que je te donnais connaissance de tout ceci pour te montrer l'engouement dont nos ancêtres du XIXe siècle faisaient déjà preuve pour le chemin de fer.

    JACQUES (jouant à l'érudit). - D'accord, tu as réplique à tout. Mais je ne voudrais pas que tu puisse croire que je ne sais pas que Vulcain était un vieux boiteux, Dieu du feu et du métal, que sa mère f... à la porte tellement il était laid ; pour se venger de l'ostracisme dont il était frappé, il s'adjoignit des forgerons, les Cyclopes, sortes de géants qui n'avaient qu'un œil au milieu du front, et avec eux fabriqua la foudre dont Jupiter leur avait donné la recette.

    JEAN (à part). - Non mais... sans blague... est-il assommant le particulier, (à Jacques) Je vais faire avec toi comme avec ma belle-mère, attendre que tu craches. T'as finis ? A mon tour.

    ... Quant à Manchester, il est peu de villes plus intéressantes à observer ; j'en conseillerais non seulement le voyage, mais encore le séjour, à ceux pour qui les merveilles de l'industrie sont préférables aux merveilles de la nature, et qui, pour voir fonctionner de belles machines, consentent à vivre dans une atmosphère humide et froide, dans une fumée et un brouillard plus épais que ceux de Londres, à travers lesquels le soleil, quand il se montre, paraît une boule de fer rouge lancée de quelque fourneau du voisinage. Il y a vingt ans à peine, Manchester était une ville encore si nouvelle et si peu considérable qu'elle ne s'appelait pas même bourg, et n'avait point de représentant à la Chambre des Communes. Depuis lors, le port voisin de Liverpool a pris un immense développement : il a des docks comme Londres, il est le grand entrepôt des arrivages de l'ouest et la rivière Mercy, les canaux, les railways transportent incessamment à Manchester les matières brutes qui alimentent ses fabriques, dont les inventions de Watt et d'Artwright ont centuplé la production...

    JACQUES (intempestif). - Est-ce que tu sais bien que ce n'est pas de l'unité de puissance électrique qu'il s'agit, mais bien du mécano écossais Watt qui conçut le projet de la machine à vapeur à double effet et qui inventa également le chauffage à la vapeur.

    JEAN. - Zut !

    ... Aussi, Manchester est-il devenu promptement la seconde ville, le Lyon, de l'Angleterre : il a maintenant une population considérable que j'ai entendu porter à 400.000 âmes, des constructions magnifiques, des rues droites, larges, commodes, égalant celles de Londres, dont elles ont même emprunté les principaux noms : Piccadilly, Pall Mall, Portland Place, Oxford Street, etc...

    JACQUES. - Et l'on peut dire que le chemin de fer est la cause efficiente de cet épanouissement.

    JEAN. - Encore quelques lignes et puis c'est terminé.

    Il ne m'avait fallu qu'un espace de 36 heures (deux journées et une nuit), pour être de retour à Londres, après avoir parcouru 150 lieues de chemin, et vu presque en détail une grande ville ; et cela le plus commodément du monde, sans perdre un repas, et dormant dans un lit. De tels résultats sont merveilleux ; ils n'ont besoin d'aucun commentaire ; et, peut-être mieux que de longues descriptions, de longues analyses, ils présentent aux yeux toute l'activité, toute la richesse, toute la puissance, toute la grandeur d'un peuple...

    JACQUES. - Il appelle ça «pas de commentaires» !

    JEAN (terminant). - ... Certes, un français, en Angleterre, peut très souvent sentir, avec une légitime joie, la supériorité de la France ; mais ici, il faut courber la tête et s'avouer vaincu ; il faut seulement souhaiter que, dans cette lutte immense, dans cette lutte séculaire et universelle, de tout temps et de toute chose, que s'y livrent les deux grandes nations du monde actuel, nous suivions au moins, nos rivaux dans cette voie du progrès incessants et prodigieux.

    Maintenant que j'ai fini, dis-moi sérieusement, qu'en penses-tu ?

    JACQUES. - Je te remercie d'avoir bien voulu me donner connaissance de cet article ; j'ai littéralement été charmé par la façon pittoresque avec laquelle l'auteur expose la relation du voyage dans des termes choisis, on croirait vraiment revivre les sensations multiples éprouvées par le rédacteur. Les chrestomathies et anthologies renferment des extraits qui ne sont pas mieux ciselés. On peut juger par ces pages de l'impression que produirait sur les esprits l'utilisation du chemin de fer, au commencement de son établissement. Dans nos journaux, on ne peut plus guère rencontrer de tels articles. Ceux-ci sont bâclés avec une telle vélocité, une telle concision, il est vrai que nous sommes à une époque particulièrement active on pourrait même dire radio-active.

    JEAN. - Si nous reprenions notre exposé où nous l'avons laissé. Je disais donc qu'il convenait de faire ressortir spécialement l'extension donnée, en Belgique, à l'exploitation des chemins de fer. Inutile d'indiquer la succession rapide de l'ouverture des sections et de l'étendue de chacune d'elles.

    JACQUES. - Connais-tu la date de la mise en service de la première ligne dans notre pays ?

    JEAN. - Si mes souvenirs scolaires sont exacts, cela se passait le 5 mai 1835 sur la section de Bruxelles à Malines. A cette époque le réseau ( ?) national possédait 3 locomotives, 3 tenders, 5 wagons à marchandises et 40 voitures à voyageurs. Comme cela se conçoit aisément, le parc à matériel s'accrut avec une grande rapidité. Des calculs approximatifs avaient établis comme moyenne proportionnelle de voyageurs sur cette première ligne, un chiffre de 75.000. Cette hypothèse fut anéantie, pulvérisée même, car dans les huit mois de l'année 1835, le total des voyageurs avait atteint 421.439 voyageurs. Plus tard, le 2 juillet 1837, jour de la fête paroissiale de Malines, trois convois se dirigèrent sur Bruxelles, Anvers, Termonde. Le premier, de 48 voitures, tiré par 3 locomotives, le deuxième, 61 voitures, remorqué par 3 locomotives, le troisième de 18 voitures, remorqué par 3 locomotives, pour transporter en tout 3.709 voyageurs.

    LE PREMIER TRAIN DE CHEMIN DE FER EN BELGIQUE, LE 5 MAI 1835 (D'après des documents de l'époque.)

    JACQUES. - Comme frais de traction, c'était quelque chose !

    La Locomotive : «LE BELGE»
    Types des premières voitures de la ligne de Bruxelles à Malines

    Voiture de 1re classe pour trains rapides. (Dernier type Nord).

    Voiture entièrement métallique de 2e classe pour trains express et directs. (Dernier type Nord).

    Voiture entièrement métallique de 3e classe pour trains express et directs. (Dernier type Nord).

    Voiture entièrement métallique, de 3e classe. (Vue prise au cours de la construction).

    JEAN. - Au sujet de l'accroissement du trafic, le tableau ci-dessous, parlera plus éloquemment qu'il ne m'est possible de le faire :

    VOYAGEURS
    Année 1835 421.439
    1836 871.307
    1837 1.384.577
    1838 2.238.303
    1839 1.952.731
    1840 2.199.319
    Total 9.067.076 voyageurs
    BAGAGES MARCHANDISES
    1837 16.994,36 1838 58.594,28
    1838 103.421,39 1839 480.756,32
    1839 132.514,48 1840 1.155.963,11
    1840 132.253,60    
      fr. 385.182,83   fr. 1.695.323,95

    JACQUES. - Comme résultat, c'était magnifique, cela devait encourager les promoteurs.

    JEAN. - En cinq années, neuf millions de personnes avaient utilisé le Railway, malgré la pusillanimité de quelques froussards qui hésitaient encore à en faire usage.

    JACQUES. - Cependant, on a rarement des accidents à déplorer.

    JEAN. - Sous l'impulsion intelligente des gouvernants et la vigilance des administrateurs, le service s'améliorera constamment et le réseau s'amplifiera pour en arriver très rapidement au développement actuel.

    JACQUES. - Connais-tu la raison pour laquelle dans les premiers indicateurs, il n'est pas fait mention de la Cité Ardente ?

    JEAN. - Le point terminus des trains venant de la direction de Bruxelles, se trouvait sur une colline située à 182 mètres au-dessus du niveau de la mer et 110 mètres au-dessus de celui de la Meuse (Ans). Les voyageurs étaient conduits en omnibus de ce point à Liège.

    La section à construire avait un parcours de 6.627 mètres et devait aboutir aux «Guillemins».

    Voici quelques renseignements intéressants empruntés à M. D. Duplessy qui, en 1840, a publié un excellent ouvrage sur ce sujet :

    Afin de racheter la différence de niveau entre Ans et la Meuse, différence qui est de 108 mètres 90 centimètres, on établit le chemin de fer, d'abord, sur plan horizontal de 850 mètres de longueur, puis sur un plan incliné qui rachètera une hauteur de 55 mètres, sur une longueur de 1980 mètres ; vient ensuite un second plan horizontal de 330 mètres ; et, enfin, un deuxième plan incliné, pareil au premier.

    Les convois descendront ou remonteront les plans inclinés, au moyen de machines à vapeur fixes et d'une force supérieure.

    JACQUES. - Tout cela est bien changé depuis, mais c'était très ingénieux tout de même.

    JEAN. - Evidemment.

    JACQUES. - Je te remercie de la peine que tu veux bien te donner pour me fournir toutes ces indications. Mais diable, où et comment as-tu pu rassembler toute cette documentation.

    JEAN. - En cherchant, en «bouquinant» dans la magnifique collection documentaire du S.A.N.B., et notre conversation n'est encore guère terminée ; elle durera encore bien des jours. Soit dit entre parenthèses, si tu allais plus souvent faire visite à ton local, tu y trouverais bien des choses dont tu n'as pas idée. Viens-y, tout ce qui s'y trouve t'appartient.

    JACQUES. - C'est une excellente idée. Tous les agents devraient s'évertuer à connaître le pourquoi et le comment des choses du chemin de fer et ne pas se cantonner dans leur «popote» journalière. Encore une fois, tu as raison : l'exécution du service ne pourrait qu'y gagner. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour maintenir et rehausser l'opinion très flatteuse de «bonne renommée» que les agents N. B. ont su conquérir partout où il leur a été donné de se faire apprécier.

    JEAN. - C'est pour cette raison que nous continuerons nos palabres. La discussion deviendra évidemment un peu plus ardue, plus technique, si tu veux. Nous savons ce que nous pouvons et devons dire ; nous ne parlons d'ailleurs que pour démontrer quelque chose et nous ne démontrons Pas quelque chose pour pouvoir parler. Nos dialogues n'ont qu'un but : instruire en amusant. Si nous n'avions pas de temps en temps une répartie un peu saillante, ça serait trop indigeste.

    Nous n'avons pour guide que notre conscience professionnelle et nous n'avons garde d'avancer des spéculations théorétiques qui, peur des esprits non avertis, pourraient donner lieu à des appréciations erronées.

    JACQUES. - Quel charabia amphigourique ! C'est du machiavélisme !

    JEAN. - Erreur, c'est tout le contraire, je ne veux te parler que de ce que tu devrais connaître, au moins daris ses grandes lignes. Tu n'ignores pas que certaines choses ne doivent pas être dites parce que des esprits non spécialement préparés pourraient comprendre «bœuf pour vache» pour te parler un langage plus vulgaire et par conséquent mieux à ta portée.

    JACQUES. - C'est bon... C'est bon... ne te fâche pas !

    JEAN. - C'est comme la Bible qui ne peut être lue en langage vulgaire, parce que les non initiés pourraient en tirer des déductions tout à fait contraires à l'esprit et à la lettre des intentions des auteurs.

    JACQUES. - Alors, on ne peut pas tout dire ?

    JEAN. - On devrait pouvoir le faire. Mais, hélas, comme dans la pièce de Pailleron, ce n'est pas possible dans un monde où l'on ne dit pas ce que l'on pense et où l'on ne pense pas ce que l'on dit.

    JACQUES. - Si nous continuions !

    JEAN. - Je ne vois pas bien l'utilité de développer toutes les modifications successives du réseau de l'Etat et j'ai hâte d'arriver à l'historique de la constitution de notre Compagnie.

    JACQUES _ C'est cela et je m'en réjouis, car bien que de nombreuses générations se soient succédées au travail, personne, que je sache, jusqu'ici, n'y avait pensé.


    DEUXIEME PARTIE

    HISTORIQUE DES LIGNES NORD-BELGES (note 051)

    JEAN. - Récemment, je te disais que le Gouvernement belge avait le premier, (1er mai 1834) décrété une loi portant au budget des Travaux publics la création des chemins de fer. Son but n'était pas seulement d'établir des voies ferrées mais surtout, il avait le secret espoir de susciter bientôt les capitalistes à s'intéresser à cette admirable œuvre d'expansion nationale.

    JACQUES. - Je me rappelle que tu m'as dit que le Gouvernement avait mis à charge du Trésor, la construction des grandes artères de communication du réseau national, conduisant aux frontières. Il ne laissait plus ainsi à l'industrie privée que des lignes accessoires à établir.

    JEAN. - Naturellement, il s'était approprié les lignes qu'il croyait les plus profitables, celles qui touchaient à des grands centres de l'industrie et du commerce.

    JACQUES. - Il occupait aussi des voies de transit très importantes vers la France, l'Angleterre et l'Allemagne.

    JEAN. - L'Etat avait déjà construit 559 kilomètres de voies, lorsqu'en 1845-1846, des capitalistes anglais sollicitèrent des concessions de lignes en Belgique. Ils les obtinrent et donnèrent ainsi l'élan nécessaire à la constitution des nombreuses Compagnies qui vinrent par la suite.

    JACQUES. - Le Gouvernement était-il autorisé à accorder des concessions ?

    JEAN. - Une loi en vigueur depuis 1832, lui conférait le droit de conclure des contrats emphytéotiques.

    JACQUES. - Emphytéotiques ! ! !

    JEAN. - Cela veut dire à longue durée. Toutefois, les concessions de péages ne devaient pas excéder quatre-vingt-dix ans.

    JACQUES. - Aucune demande ferme n'avait été faite auparavant ?

    JEAN. - Avant 1840, six voies ferrées devant servir exclusivement aux transports des houillères et grosses industries avaient été concédées.

    JACQUES. - Aucune sollicitation en ce qui concerne les lignes non industrielles ?

    JEAN. - A la suite d'une adjudication publique, le chemin de fer d'Anvers à Gand par St-Nicolas fut concédé par Arrêté Royal du 16 septembre 1842.

    JACQUES. - Quelle est la suite qui fut réservée à la proposition des insulaires dont tu as dit un mot tout à l'heure ?

    JEAN. - En 1844, des offres sérieuses furent faites par une Compagnie anglaise au sujet du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, tombé en déchéance peu de temps après la convention conclue (1845) et rétrocédé aux concessionnaires de la ligne de Charleroi à Louvain.

    JACQUES. - Ce qui m'intéresse surtout, ce sont les lignes Nord-Belges.

    JEAN. - Patience, chaque chose en son temps et chaque chose à sa place. Il a bien fallu 7 jours pour faire le monde. Je te concède que c'est un peu nébuleux. Ces prolégomènes sont un peu fastidieux, mais ils sont nécessaires.

    JACQUES. - Oui, c'est de la préhistoire !

    JEAN. - Pendant l'année 1845, de nombreuses concessions furent accordées parmi lesquelles : le 28 mai, de Charleroi à Erquelines ; le 20 juin, de Namur à Liège et de Mons à Manage.

    JACQUES. - De Mons à Manage !... Ne confonds-tu pas ?

    JEAN. - Non, non,... la Compagnie du Nord-Français qui, comme nous le verrons plus loin avait, en 1855, fait l'acquisition de la ligne de Liège à Namur, demanda également, en 1856, la section de Mons à Manage par Nimy, Obourg, Havre, Bracquegnies, etc... mais le Gouvernement s'opposa formellement à cette rétrocession et l'acheta en 1858.

    JACQUES. - Ah, je comprends, je croyais que tu te trompais et qu'il s'agissait de la ligne de Mons à Quévy frontière.

    JEAN. - Cette dernière ligne s'appelait «Chemin de fer de Mons à Hautmont» et fut concédée seulement en 1854. Tantôt je t'exposerais comment elle est entrée dans le réseau Nord-Belge.

    JACQUES. - Il ne te reste plus qu'à m'expliquer l'établissement de la section de Namur à Givet.

    JEAN. - La convention conclue au sujet de Liège-Namur comportait une clause relative à l'obligation pour le concessionnaire de prolonger la voie par Dinant jusqu'à la frontière, si, pendant les 10 premières années de la concession, on construisait, en France, un chemin auquel ce prolongement pourrait se raccorder.

    JACQUES. - Quand fut-elle réalisée, cette prolongation ?

    JEAN. - A la suite d'un décret impérial du 10 juin 1857, un chemin de fer ayant été concédé de Charleville à la frontière belge, par Givet, la section en question fut construite et livrée à l'exploitation en 1863.

    JACQUES. - Tout cela est très bien, mais si tu voulais être assez complaisant de me donner quelques éclaircissements au sujet de chaque tronçon de notre réseau, je te serais infiniment reconnaissant. Cet enchevêtrement de dates, de lignes, de noms, forme pour moi un imbroglio !... Je ne suis guère habitué à des discussions aussi longues et aussi ardues et je préfère ne voir qu'une seule ligne à la fois. Si tu voulais...

    JEAN. - En modifiant un peu la chanson, je te dirai : «Je ne puis rien te refuser»...

    LIGNE DE LIEGE A NAMUR

    JEAN. - L'expérience ayant démontré la valeur du nouveau moyen de locomotion, deux belges, MM. Magis et Engels, élaborèrent, en 1836, un projet de chemins de fer, à simple voie, de Liège à Seraing dont l'étendue était de 9.000 mètres.

    JACQUES. - Y fut-il donné suite ?

    JEAN. - Non, un autre projet fut également présenté la même année par MM. De Puydt et consorts pour la construction d'une ligne, à simple voie, comportant un développement de 98.800 mètres entre Seraing et la frontière de France.

    JACQUES. - L'exécution du projet eut-elle lieu ?

    Vue de Kinkempois et de la Ville de Liège, en 1850, d'après une vieille gravure sur bois

    JEAN. - Non plus, un troisième projet, toujours en 1836, fut transmis pour avis au Ministère par MM. Benard et autres. Cette fois, il s'agissait du trajet Namur-Liège ; comme les deux autres, il resta dans le «lac».

    JACQUES. - Cette année fut féconde en propositions et peu productive en réalisations.

    JEAN. - Enfin, par Arrêté Royal du 20 juin 1845, sanctionnant la loi du 21 mai 1845 et la convention conclue le 19 juin de la même année, la concession des chemins de fer, à double voie, de Liège à Namur et des charbonnages du Centre à Manage et à Mons fut accordée à MM. Spottiswoode (André), Bates (Robert-Makin), et tutti quanti. Tous noms d'origine anglo-saxonne.

    JACQUES. - Inutile de me parler de la ligne de Mons à Manage, puisque tu m'as dit précédemment ce qu'elle était devenue.

    JEAN. - Deux branches partant de Liège devaient se souder entre Ougrée et Flémalle, pour ne plus en former qu'une jusqu'à Namur par Huy, en empruntant la rive gauche du fleuve.

    JACQUES. - A part quelques légères modifications, c'est évidemment le même tracé que maintenant.

    JEAN. - Sur la rive droite, le point de départ avait été fixé au faubourg de Longdoz. Après avoir franchi les bras de l'Ourthe, dont certains sont aujourd'hui comblés, à Froidmont et à Fétinne, la ligne devait traverser à proximité du Pont du Val-Benoit, celle de l'Etat et s'y relier par des courbes dans les quatre directions.

    JACQUES. - Choses qui ont été faites d'ailleurs.

    JEAN. - Sur la rive gauche, on devait établir une nouvelle gare située sur le réseau national entre les Guillemins et la Meuse.

    JACQUES. - Rien n'obligeait la Compagnie à se raccorder à l'Etat ?

    Schéma du quadrilatère des Aguesses et des jonctions E.B. - N.B.

    JEAN. - Non, et c'est seulement par la loi du 4 juin 1850 que la Compagnie fut dispensée de construire des bâtiments spéciaux aux abords de Liège et de Namur ; la même situation existant à ce dernier point. La Compagnie fut donc autorisée à se relier et à se servir des gares de l'Etat, d'où... nos gares communes.

    JACQUES. - Bravo ! Et par qui les travaux furent-ils entrepris ?

    JEAN. - Les plans et tracés définitifs ont été établis par les entrepreneurs, MM. Henri Borguet et G. A. Lamarche, soumis à l'Ingénieur en Chef de la Compagnie de Namur à Liège, M. G. Rennies et à M. C. F. Stooks, son ingénieur résident.

    JACQUES. - Le Gouvernement n'intervint-il pas dans cette affaire ?

    JEAN. - Il approuva les plans et les travaux s'exécutèrent sous la surveillance des ingénieurs de l'Etat.

    JACQUES. - Quel était le terme d'exécution ?

    JEAN. - Primitivement, il avait été fixé au 21 mai 1847, soit deux ans après la promulgation de la loi de concession.

    JACQUES. - Les travaux étaient-ils terminés à la date fixée ?

    JEAN. - Non, par une loi du 24 février 1849, approuvée par arrêté royal du 26 février de la même année, le délai pour l'achèvement des travaux fut prorogé au 28 juillet 1850.

    JACQUES. - La ligne était-elle terminée à l'époque voulue ?

    JEAN. - Commencés en janvier 1846, les travaux furent terminés le 19 novembre 1850 pour la branche principale et le 1er juillet 1851 pour la ligne accessoire.

    JACQUES. - A quelle date l'exploitation de la ligne fut-elle autorisée ?

    JEAN. - Je vais satisfaire ta curiosité.

    Klm. Sections Autorisations
    58 Bouges au Val-Benoit 18 novembre 1850
    7 Flémalle à Ougrée 15 avril 1851
    1 Bouges à Namur 12 mai 1851
    2 Val-Benoit à Liège-Guillemins 19 mai 1851
    4 Ougrée à Angleur 20 juin 1851
    2 Angleur à Liège 25 août 1851
    74 Kilomètres, non compris le développement des courbes d"Angleur (3 Kilom.).

    Il y avait en tout, d'après un vieux bouquin :

    Namur à Liège-Guillemins 61.325 mètres dont 2890 mètres exploités en commun

    Flémalle à Liège-Longdoz 12.653 mètres dont 2000 mètres exploités en commun

    soit 73.978 mètres

    71.993 mètres ont été construits par la Compagnie

    1.985 mètres ont été construits par l'Etat

    soit 73.978 mètres.

    JACQUES. - C'est à croire que les décamètres de l'époque n'avaient pas leurs 10 mètres, car ces chiffres ne semblent pas correspondre à la réalité.

    JEAN. - Cette divergence avec les chiffres réels n'est qu'apparente. Elle résulte de ce qu'avant l'écroulement de l'ancien tunnel de Huy, dont on aperçoit encore les traces près du nouveau, la gare se trouvait au centre de la ville. Cette situation donnait lieu à un rebroussement, qui allongeait quelque peu le parcours.

    JACQUES. - Quand la ligne entière fut-elle mise en exploitation ?

    JEAN. - La dernière section autorisée le 25 août 1851 a été mise en exploitation le 5 septembre 1851.

    JACQUES. - C'est la ligne telle que nous la connaissons ?

    JEAN. - Oui. Conformément à la convention conclue le 19 juin 1845, concédant le droit de percevoir les taxes déterminées par les tarifs pendant une durée de 90 ans, à dater de la mise en exploitation de la ligne entière, celle-ci devrait donc retourner à l'Etat, le 5 septembre 1941.

    JACQUES. - Crois-tu ?

    JEAN. - Je le pense. Bien que l'arrêté ministériel du 20 février 1866, relatif au cahier des charges et conditions générales concernant la construction et l'exploitation des chemins de fer concédés en Belgique, stipule que le terme des concessions «prendra cours à l'expiration du délai fixé, par la convention spéciale, pour l'achèvement complet et la mise en exploitation du chemin de fer, quelle que soit d'ailleurs l'époque à laquelle la ligne aura effectivement été livrée à l'exploitation en partie ou en totalité ; si ce délai était prorogé, la durée de la concession ne prendrait cours qu'à dater de l'expiration du nouveau délai».

    JACQUES. - Tu dis cela parce que cet arrêté a été publié bien des années après la convention définitive dont tu as déjà fait mention à plusieurs reprises.

    JEAN. - Oui. Comme disent les gens de robe «Chose jugée...».

    JACQUES. - Et la suspension causée par l'horrible cataclysme mondial de 1914, n'aura-t-elle aucune influence ?

    JEAN. - Chi lo sa. Qui vivra verra !

    JACQUES. - Tu ne dis mot des nombreux ouvrages d'art que l'on rencontre indépendamment des aqueducs et viaducs.

    Le Chemin de Fer et les Usines de Seraing, d'après une vieille gravure sur bois de 1850

    JEAN. - Il a été nécessaire de construire, sur la rive droite de Liège à Huy, un tunnel de 135 mètres à Ougrée, un autre tunnel à Loyable, près d'Ampsin, d'une longueur de 370 mètres, des murs d'eau de 451 mètres à Engis, 467 mètres à La Mallieue, 300 mètres à la Grande-Montagne et 1705 mètres à Corphalie, les ponts de Val-Saint-Lambert, de Fétinne et Froidmont.

    JACQUES. - Il y en a eu des difficultés à vaincre.

    JEAN. - Ce n'est pas tout, de Huy à Namur, un tunnel à Statte à la sortie de Huy (338 mètres), un second tunnel à Seilles (235 mètres), des murs d'eau à Statte (159 mètres), Seilles (143 et 202 mètres), Sclaigneaux (546 et 358), Marche- !es-Dames (1213 et 573), Tête-du-Pré (344 mètres) et un pont sur la Méhaigne.

    JACQUES. - Tout cela a du coûter «bougrement» cher !

    JEAN. - 21.990.000 francs. La valeur du matériel roulant s'élevait, en 1852, à 1.950.000 francs.

    JACQUES. - Avant la guerre c'était une somme, il est vrai que les actionnaires ont 90 ans pour récupérer.

    JEAN. - Les péages les indemniseront. A ce propos, je dois te dire quelques mots au sujet du pont à cinq arches de quatre-vingt-deux pieds d'ouverture chacune et de dix pieds de flèche, construit à Val-Saint-Lambert. Par arrêté royal du 10 février 1852, la compagnie est autorisée à percevoir 2 centimes pour chaque personne passant sur le pont.

    JACQUES. - Au taux du franc-or, c'est mince.

    JEAN. - En comptant 1500 personnes par jour, cela ne fait que 30 francs, ce n'est pas lourd.

    JACQUES. - Très intéressantes toutes ces choses, mais me diras-tu enfin, comment la ligne est passée à la Compagnie du Nord-Français ?

    Le Pont du Val St-Lambert, le Château de Chokier, d'après une vieille gravure sur bois de 1850

    JEAN. - Je vais te l'apprendre. Les statuts de la Société Anonyme du «Chemin de fer de Namur à Liège avec ses extensions» résultant de l'acte publié le 2 août 1845, approuvé par A.R. du 12 août 1845, ne permettaient pas la cession à une autre société.

    JACQUES. - Comment s'y est-on pris alors ?

    JEAN. - On a modifié les statuts, tout simplement. Par acte du 21 octobre 1854, homologué par A.R. du 29 du même mois, les nouveaux statuts furent approuvés. Ceux-ci comportaient une clause permettant à la société concessionnaire de remettre l'exploitation à un tiers, moyennant l'observation de toutes les obligations et avantages du cahier des charges.

    JACQUES. - En vertu de quels pouvoirs la société agissait-elle ?

    JEAN. - L'assemblée générale des actionnaires avait, dans sa réunion du 19 octobre 1854, autorisé le président du conseil d'administration à solliciter ces modifications.

    JACQUES. - Etaient-ils nombreux ces actionnaires ?

    JEAN. - Ils étaient une dizaine au Conseil d'administration et devaient posséder au moins 100 actions de 500 fr.

    JACQUES. - Touchaient-ils quelque chose ?

    JEAN. - 30.000 francs par an pendant l'exécution des travaux, pour être réduits à 3000 francs au plus en cas de location.

    JACQUES. - Une paille à cette époque ! ! !

    JEAN. - Les membres possédaient chacun 5 à 6000 actions.

    JACQUES. - Un peu plus que le S.A.N.B. !

    PRISE A BAIL PAR LA COMPAGNIE DU NORD

    JEAN. - A la suite d'un accord provisoire conclu le 28 juin 1854, à Paris, entre la Compagnie du Nord et la société du «Chemin de fer de Namur à Liège et de Mons à Manage», cette société sollicita et obtint, comme je te l'ai déjà dit précédemment, la modification des statuts.

    JACQUES. - Modifications demandées dans le but de pouvoir céder à des tiers l'exploitation de leurs lignes.

    JEAN. - La chose fut consommée par acte du 22 décembre 1854. Elle donne à bail la ligne de Namur à Liège, à la Compagnie du Nord, autorisée à l'accepter par l'assemblée générale de ses actionnaires qui avait eu lieu le 20 du même mois.

    JACQUES. - De ce fait, la Compagnie du Nord se substituait à la société primitive et épousait ainsi ses droits et obligations.

    JEAN. - Le prix de ce bail à forfait a été fixé à un million de francs par an et rachat du matériel évalué à 3.500.000 francs.

    JACQUES. - Quelle est la durée fixée pour le bail ?

    JEAN. - Celle de la concession, moins un jour.

    JACQUES. - Quelle a été la date d'entrée en jouissance ?

    JEAN. - Le 1er janvier 1855.

    JACQUES. - D'après ce qui a été établi antérieurement, la concession étant arrivée à expiration le 5 septembre 1941, la Compagnie devra abandonner les lieux le 4 septembre 1941.

    JEAN. - A moins que, comme je le disais récemment, un prolongement ne soit accordé pour la période de stagnation forcée de 1914 à 1918.

    JACQUES. - Quelle fut l'intervention du Gouvernement dans cette affaire ?

    JEAN. - Il sanctionna les décisions prises, par A.R. du 31 janvier 1855.

    JACQUES. - Tous ces arrêtés, décisions, assemblées, «c'est un peu labyrinthe», aurait dit l'illustre épistolière Mme de Sévigné, pour ne point la nommer.

    JEAN. - Je te concède volontiers que c'est un peu administratif. Tu préférerais que je te parle un peu des raisons qui ont incité la Compagnie à conclure ce traité. Je vais te donner mon avis : les lignes de Namur à Liège et de Charleroi à Erquelines sont empruntées en transit entre Paris, Cologne et l'Allemagne du Nord et pour certains transports de Hollande vers la Fiance et vice-versa.

    JACQUES. - C'est sans doute là la raison qui a poussé la Compagnie à prendre à bail les lignes en question. Elles sont admirablement situées. Enclavées dans les autres réseaux, comme dans une gorge où il faut irrémédiablement passer, en payant la dîme évidemment.

    JEAN. - Tu as vu juste. Jusqu'en 1852, les chemins de fer du Nord avaient été seuls en possession de la voie rapide entre la France et l'Allemagne.

    JACQUES. - Que se produisit-il pour modifier leurs vues ?

    JEAN. - Il y avait naturellement une cause laquelle, je pense, est celle-ci : l'ouverture du chemin de fer de Strasbourg qui raccourcissait la distance pour atteindre le Rhin.

    JACQUES. - Il fallait lutter pour maintenir la situation acquise !

    JEAN. - C'est ce qu'ils firent. Par les voies de l'Etat-Belge, via Braine-le-Comte, la distance de Paris à Cologne était de 585 Klm., tandis que via Erquelines-Namur, elle n'était que de 507 et pouvait rivaliser avec la nouvelle voie d'acheminement concurrente.

    JACQUES. - Ils avaient ainsi 239 Klm. : Paris à la frontière, plus 30 Klm., Erquelines-Charleroi, plus 60 Klm., Namur-Liège, soit 329 Klm. sur 507 ; plus des 2/3 du parcours total. Bien calculé ça !

    JEAN. - De plus, la nouvelle ligne qui côtoie la Meuse sur tout son parcours à un profil en long qui permet de tractionner de très lourds convois avec facilité.

    JACQUES. - D'autant plus que la limite d'inclinaison (surhaussement) des rails n'est atteinte que par exception.

    JEAN. - En outre, la vallée très peuplée est une des contrées où foisonnent les établissements industriels.

    JACQUES. - Ceux-ci étaient attirés par la proximité des matières premières qu'on y trouve en abondance, des facilités de transport et aussi par le recrutement facile de la main d'œuvre.

    JEAN. - Non seulement on y rencontre de la houille, mais aussi des minerais de fer, de zinc, de plomb, des pierres calcaires à profusion...

    JACQUES. - On m'a dit qu'à cette époque, il y avait déjà 38 houillères en activité, 22 hauts-fourneaux, des laminoirs, des forges, des fabriques de zinc, de cuivre, des alunières, des papeteries, des gobeletteries de faïence, de porcelaine, des fabriques de pipes, de poteries, de briques et creusets en terre réfractaire, des moulins à grains et à tan, d'innombrables carrières et une foule d'autres petites industries.

    JEAN. - C'est exact. Ce n'est pas d'aujourd'hui que tous ces établissements existent et c'est la raison de l'établissement de tous ces raccordements et gares privées. Les industriels ne pouvant se fier à la navigation souvent interrompue par suite de crues ou chômages, préférèrent évidemment se raccorder.

    Vue de Huy et de sa gare «à rebroussement» d'après une vieille gravure sur bois de 1850

    JACQUES. - Le railway offre d'ailleurs de grands avantages, tant au point de vue de la célérité des transports de marchandises, que pour les déplacements de la population.

    SECTION DE NAMUR A GIVET

    JEAN. - Je ne reviendrai pas sur les motifs de la construction de cette voie puisque je te les ai exposés antérieurement.

    JACQUES. - Je me rappelle très bien. Prévue par le cahier des charges et réalisée à la suite d'un décret impérial.

    JEAN. - Cette ligne a été construite par le Nord-Français. Je vais te donner les dates d'autorisation de mise en exploitation des différentes sections.

    28 Kilom. Namur à Dinant 11-9-1862 voyageurs
        5-2-1862 marchandises
    19 Kilom. Dinant à la frontière 5-2-1863 marchandises
    9 Kilom. Frontière belge à Givet (date qui devrait constituer l'époque où la ligne entière a été mise en exploitation.)

    soit 50 Kilomètres à simple voie, non compris le raccordement de Namur-Meuse exploité en commun.

    JACQUES. - A simple voie ?

    JEAN. - Oui. C'est seulement pendant la guerre que les occupants ont construit sur tout le parcours une ligne parallèle à la première.

    Namur en 1852, vue sur la ville

    JACQUES. - Je la connais, cette ligne, pour y avoir admiré bien des fois les merveilles que la nature y a prodiguées. De Namur à Dinant, le chemin de fer suit la rive droite du fleuve et nous laisse entrevoir des décors enchanteurs, franchit la Meuse et continue à travers des sites admirables jusque Givet. Cette partie édifiée sur un terrain difficultueux a, paraît-il, donné beaucoup de «fil à retordre», pendant la construction.

    JEAN. - Pour ta gouverne, la ligne Nord-Belge ne va pas jusque Givet, le point de jonction avec l'ancien chemin de fer des Ardennes est situé un peu au-delà de la frontière.

    JACQUES. - Par ce prolongement, la ligne de Liège à Namur a ainsi été mise en relation avec l'Est de la France et a contribué à l'extension du trafic.

    JEAN. - Les nombreux envois de charbon expédiés vers cette région empruntent notre ligne sur toute sa longueur. Au point de vue pécuniaire, c'est intéressant.

    NOTICE TECHNIQUE ET STATISTIQUES SUR L'EXPLOITATION DES LIGNES LIEGE-NAMUR ET NAMUR-GIVET PENDANT LES PREMIERES ANNEES

    JEAN. - Je n'ai pas l'intention de te faire un cours de technologie, ni de t'en f... plein la vue avec des statistiques qui, aussi bien établies qu'elles soient, sont fausses. Je me bornerai à te donner quelques indications qui te permettront de faire la comparaison avec la situation actuelle.

    JACQUES. - Je n'ai d'ailleurs pas retenu grand'chose en fait de mécanique ni de mathématiques, ça s'oublie si facilement, lorsqu'on ne pratique plus.

    JEAN. - Dans les premières années d'exploitation, le service de la Traction employait 10 locomotives pour trains-express, 17 mixtes, 28 à marchandises et 3 pour manœuvres de gare, soit 58 moteurs et 36 mécaniciens qui avaient effectué plus de 40.000 kilomètres en 1865.

    JACQUES. - Quel type de machine était-ce ?

    JEAN. - A six roues couplées aux marchandises et au service de gare et deux ou quatre aux machines mixtes.

    JACQUES. - Etaient-elles lourdes ?

    JEAN. - Les locomotives à voyageurs pesaient vides 22,7 Tonnes, les roues motrices avaient 1 m 83, elles pouvaient supporter une charge moyenne de 11.800 Kgs ; les machines mixtes, 20 à 20,5 tonnes, diamètre des roues entre 1 m 54 et 1 m 74 supportant 8.200 à 9.200 Kgs ; les moteurs à marchandises 22,9 tonnes, roues 1 m 44, charge 8.900 Kgs ; les locomotives de gare 20,6 tonnes, roues 1 m. 06, charge 9.200 Kgs.

    JACQUES. - Ce n'était pas si mal que cela. Comme voitures, que possédait la Compagnie en ces temps anciens ?

    JADIS.

    FLECHE D'OR

    JEAN. - 85 voitures à voyageurs, 53 à bagages et 2.208 wagons divers à marchandises.

    JACQUES. - Que pouvait-on transporter avec ce matériel ?

    JEAN. - 3.400 voyageurs et 17.544 tonnes de marchandises.

    JACQUES. - Combien de trains circulait-il en moyenne par jour ?

    JEAN. - En 1865, 33 trains à voyageurs et 45 mixtes et à marchandises.

    JACQUES. - Les trains étaient-ils bien utilisés ?

    JEAN. - En 1850, on avait transporté 26.941 voyageurs pour arriver à 1.163.406, en 1865.

    JACQUES. - Et les grosses marchandises ?

    JEAN. - De 73.964 tonnes en 1851, on arrivait a 1.590.766 T. en 1865.

    JACQUES. - Les dépenses d'exploitation augmentaient évidemment en proportion du trafic.

    JEAN. - Si nous prenons l'année où la Compagnie du Nord a commencé à exploiter, 1855, nous avons 1.860.024 fr. comprenant l'intérêt et l'amortissement des obligations et 4.575.509 francs, en 1865.

    JACQUES. - Il est vrai que depuis le 11 novembre 1862 la ligne de Namur à Givet est comprise.

    JEAN. - Je te ferai grâce des recettes brutes, des bénéfices par jour-kilomètre, des parcours des locomotives et des trains, des kilomètres par jour-voiture et par jour-wagon.

    JACQUES. - Tu me donneras au moins les résultats ?

    JEAN. - Dans les premières années, l'exploitation n'a pas toujours accusé des bénéfices, ainsi en 1855, 1856, 1860 et 1861, le coefficient d'exploitation était de 109 - 103 - 100,5 - 104.

    JACQUES. - Qu'est-ce que cela veut dire ?

    JEAN. - Cela signifie que les dépenses ont excède les recettes de 9 - 3 - 0,5 et 4 p. c, sans tenir compte des charges financières.

    JACQUES. - Il n'en a pas toujours été ainsi ?

    JEAN. - Heureusement, non. Mais il a fallu attendre 1864, pour obtenir un coefficient d'exploitation de 38,9, soit 61,1 p. c. de bénéfice et pour donner pour la première fois un rapport de 6,37 p. c.

    JACQUES. - Quel rapport ?

    JEAN. - C'est le pourcentage des bénéfices par rapport aux dépenses de premier établissement.

    JACQUES. - La situation depuis, s'est consolidée et le dernier bilan que notre qualité d'actionnaire nous a permis de publier dans notre revue, le prouve à suffisance, bien que l'on juge que le «rendement et les efforts» des agents Nord-Belges soient équivalents à ceux du réseau Nord-Français !

    JEAN. - Nous ne pouvons pas nous éterniser dans les bilans, comptes, etc., «notre actionnaire» nous renseigne amplement à ce sujet. Passons à un autre chapitre.

    LIGNE DE CHARLEROI A LA FRONTIERE DE FRANCE

    JEAN. - Je vais continuer par où j'aurais dû commencer, cette concession étant antérieure à celles dont nous venons de parler.

    JACQUES. - Ça n'a aucune importance.

    JEAN. - Par arrêté royal du 28 mai 1845, sanctionnant la loi du 21 mai et remplaçant les accords provisoires des 5 et 28 mai de la même année, la concession fut accordée à MM. A.-H. Neville et C°.

    JACQUES. - Ça n'a pas l'air d'être anglais ce nom là ?

    JEAN. - Il y avait des français, des anglais et des belges, dans cette association.

    JACQUES. - Le nouveau chemin de fer à double voie devait partir d'Erquelines jusque Charleroi ?

    JEAN. - Non, de la frontière jusque Marchienne-au-Pont, pour se relier au railway de l'Etat près de Charleroi. Les concessionnaires furent autorisés, à des conditions déterminées, à exploiter en commun la gare de Charleroi.

    JACQUES. - Quel était le terme d'exécution ?

    JEAN. - Deux ans après la promulgation de la loi, soit le 21 mai 1847.

    JACQUES. - Comme pour l'autre ligne, les travaux n'étaient sans doute pas terminés ?

    JEAN. - Le délai a été successivement prorogé jusqu'au 21 mai 1850 par la loi du 18 juillet 1848, A.R. du 9 août ; au 21 mai 1851, A.R. du 26 juin et finalement au 1er juillet 1852, par la loi du 24-9-1851, A.R. du 24 septembre.

    JACQUES. - Pourquoi toutes ces prorogations ?

    JEAN. - A cause des crises financières de 1846, 1847 et 1848...

    JACQUES. - L'argent manquait ?

    JEAN. - Les actionnaires ont même dû réclamer le concours du Gouvernement qui avait garanti, pendant 10 ans un minimum de recettes de 90.000 francs afin de faciliter les appels de fonds.

    JACQUES. - Ils ont eu beaucoup d'obstacles à surmonter ?

    JEAN. - Enormément, le chemin de fer coupe et recoupe 15 fois la capricieuse Sambre.

    JACQUES. - A ce compte là, la construction revenait cher.

    JEAN. - Le coût du kilomètre revenait à 800.000 francs.

    JACQUES. - Quel était le capital social ?

    JEAN. - Il était formé de vingt-six mille actions de cinq cents francs chacune, soit 13 millions de francs.

    JACQUES. - Combien d'actions les membres du Conseil d'administration devaient-ils posséder ?

    JEAN. - 75 actions.

    JACQUES. - Touchaient-ils quelque chose comme rémunération ?

    JEAN. - 40.000 francs par an pour tous les membres a répartir suivant accord et ce, pendant la durée des travaux.

    JACQUES. - Etaient-ils nombreux au Conseil ?

    JEAN. - Seize.

    JACQUES. - Ils ne touchaient pas lourd !

    JEAN. - L'approbation de l'acte du 28 juin 1845, relatif à ces dispositions a eu lieu par A.R. du 10 août 1845.

    JACQUES. - Le contrat était-il conclu pour 90 ans comme le précédent ?

    JEAN. - Oui, à partir de la mise en exploitation de la ligne sur toute sa longueur.

    JACQUES. - Quand fut-elle livrée au trafic ?

    JEAN. - Si mes renseignements sont exacts, les 30 kilomètres à double voie, y compris 4 kilomètres de voies appartenant à l'Etat et exploitées en commun, ont été livrés à l'exploitation le 6 novembre 1852.

    29.069 mètres, y compris 3150 mètres construits par :

    650 m. Compagnie Charleroi 1853
    550 m. Centre 1853
    775 m. Sambre et Meuse 1852
    1175 m. Compagnie Nord 1855

    JACQUES. - La concession finirait donc le 6 novembre 1942.

    JEAN. - Oui. Sans tenir compte évidemment de l'interruption 14-18.

    JACQUES. - Comment la ligne est-elle passée aux mains de la Compagnie du Nord ?

    JEAN. - De la même manière que la ligne de Liège à Namur.

    PRISE A BAIL PAR LA COMPAGNIE DU NORD

    JACQUES. - La Société du «chemin de fer de Charleroi à la frontière de France», sollicita l'autorisation de remettre l'exploitation de la ligne à une autre société, sous condition que celle-ci remplirait les obligations découlant de la concession.

    JEAN. - L'acte du 15 novembre 1853, approuvé par A.R. du 20 du même mois apporta les modifications nécessaires aux statuts. Ces modifications avaient été votées par l'assemblée générale du 12 septembre 1853

    JACQUES. - La société pouvait alors transférer ses droits et obligations à une autre.

    JEAN. - Un traité provisoire avait déjà été passé le 17 juin 1853 avec le Nord Français. Celui-ci fut ratifié par l'assemblée générale des actionnaires du 29 octobre 1853.

    JACQUES. - Quand l'acte définitif fut-il passé ?

    JEAN. - Le 3 novembre 1854.

    JACQUES. - Quelle était la date d'entrée en jouissance ?

    JEAN. -. Le 1er janvier 1854.

    JACQUES. - La durée du bail ?

    JEAN. - La même que celle de la concession moins un jour, soit jusqu'au 5 novembre 1942.

    JACQUES. - Dans quelles conditions l'exploitation a-t-elle été cédée ?

    JEAN. - Moyennant paiement d'une somme égale à la dette flottante, soit 1.264.367 francs, la Compagnie pouvait disposer du mobilier et du matériel.

    JACQUES. - Rien que cela ?

    JEAN. - Elle devait en outre payer 16 f 875 par action, soit 293,929 francs, un fonds pour l'amortissement des dites actions, soit 562 f 50 pendant toute la durée du contrat et les intérêts à 5 p. c. et le fonds d'amortissement de 2 millions d'obligations émises, à rembourser au pair.

    JACQUES. - Conditions très heureuses, si l'on considère les raisons qui ont poussé la Compagnie à faire cette opération. Ce sont certainement celles que tu as développées précédemment pour la ligne de Liège à Namur et surtout les résultats qu'elle présumait obtenir.

    JEAN. - Juste. La ligne d'Erquelines à Charleroi constitue un prolongement naturel des lignes Nord-Françaises, vers Cologne.

    JACQUES. - C'est une ligne de transit très importante. Cette considération n'avait certainement pas échappé à l'œil aigu de ceux qui s'en sont réservé l'exploitation.

    JEAN. - Néanmoins, le Gouvernement avait bien voulu accorder la garantie d'un minimum de recette ; la puissante compagnie du Nord, certaine du rendement qu'elle pourrait obtenir refusa cette faveur.

    JACQUES. - Et les sections de la Sambre à Marchienne-au-Pont et à Marcinelle ?

    JEAN. - Celles-ci sont exploitées en commun par le Nord-Belge et la S.N.C.F.B.

    PETITE NOTICE TECHNIQUE ET STATISTIQUE

    JEAN. - Dans les premières années, on utilisait 36 locomotives dont quelques-unes pour les fortes rampes avaient 8 roues.

    JACQUES. - Quel était le matériel afférent aux transports ?

    JEAN. - Le service des voyageurs s'effectuait au moyen de voitures du Nord-Français. 255 wagons à marchandises étaient en service et pouvaient véhiculer 2378 tonnes.

    JACQUES. - Le nombre de trains en circulation était-il important ?

    JEAN. - En moyenne 59 : 12 à voyageurs et 47 mixtes.

    JACQUES. - L'exploitation de cette section rapportait-elle ?

    JEAN. - Pour te donner une idée, je ne te citerai que quelques chiffres assez suggestifs.

    Bénéfices par Klm. exploité, charges d'intérêts déduites :

    1863 2.347,00
    1864 4.500,00
    1865 13.415,00

    Je pourrais te «sortir» ainsi successivement les résultats de nombreuses années, mais cela suffit.

    JACQUES. - Ce n'est pas mal du tout.

    JEAN. - Nous allons maintenant passer à la dernière section.

    LIGNE DE MONS A QUEVY FRONTIERE

    JEAN. - Pour ne pas embrouiller les affaires, je ne te parlerai que de la ligne actuelle de Mons vers Feignies frontière et passerai sous silence les tractations relatives aux chemins de fer de Saint-Ghislain et embranchements et Thulin à Elouges.

    JACQUES. - Je t'écoute.

    JEAN. - La loi du 15 juin 1853 accorda la concession de cette ligne à la Société Générale et à M. le Baron James de Rothschild. Un décret impérial du 19 août 1854, autorisa le prolongement de cette voie, de la frontière belge jusque Hautmont.

    JACQUES. - Quel était le terme d'exécution.

    JEAN. - Les travaux devaient être terminés deux ans après la publication de l'A.R. du 15 janvier 1854 sanctionnant la loi de concession précitée, soit le 15 janvier 1856.

    JACQUES. - Comme toujours, ce n'était pas fini ?

    JEAN. - Naturellement. Par A.R. du 17 juillet 1856, le délai d'exécution fut prorogé jusqu'au 1er mai 1858.

    JACQUES. - A quelle date est reportée la fin du contrat ?

    JEAN. - Contrairement aux deux autres concessions, et suivant le cahier des charges du 19 décembre 1853, le terme de 90 ans commence à partir du moment où, d'après l'A.R., les travaux devaient être terminés et comme le terme a été prorogé au 1er mai 1858, ce serait donc le 1er mai 1948.

    JACQUES. - A moins qu'une prolongation ne soit accordée.

    JEAN. - La ligne comprenait :

    1202 mètres, partie commune avec l'Etat depuis Mons jusqu'au point de jonction avec la ligne vers Feignies.

    14727 mètres jusque la frontière.

    soit 15929 mètres.

    JACQUES. - Quand fut-elle mise en exploitation ?

    JEAN. - Le 1er janvier 1858.

    JACQUES. - J'ai cependant déjà entendu dire qu'il y avait encore, partant de Frameries, deux petits bouts de lignes qui appartiennent encore actuellement au Nord-Belge.

    JEAN. - C'est exact : une à simple voie de 426 m 80, vers Warquignies et ne desservant plus qu'un raccordé et une autre ligne de 199 m 69 à double voie, vers Flénu Central et Produits. C'est par là que les charbons du Couchant de Mons parviennent pour être dirigés sur la France.

    JACQUES. - Quand et comment la ligne passa-t-elle sous la férule du Nord ?

    JEAN. - Le cahier des charges dont je t'ai déjà parlé permettait de céder l'exploitation à une autre société. Les formalités étaient donc plus simples que pour les concessions dont nous avons parlé précédemment.

    JACQUES. - Pas de modifications aux statuts, c'est cela.

    JEAN. - Par un traité du 4 juin 1858, approuvé par les assemblées du 17 juin (société du chemin de fer de Mons à Hautmont) et 20 juillet (Compagnie du Nord) ratifié par acte du 15 octobre de la même année, le chemin de fer de Mons à Hautmont, y compris le prolongement du raccordement de Saint-Ghislain à Frameries était cédé à la Compagnie du Nord.

    JACQUES. - Celle-ci cherchait visiblement à s'approprier toutes les voies affluentes à son propre réseau et à venir chercher le charbon nécessaire jusqu'aux fosses mêmes.

    JEAN. - De plus, cette ligne est la voie la plus rapide, la plus économique et, partant, la plus empruntée entre la Hollande, Bruxelles et le centre de la France.

    JACQUES. - Peux-tu me donner quelques indications au sujet du résultat d'exploitation de cette ligne ?

    JEAN. - Non et voici la raison : Jusques et y compris 1866, les dépenses et recettes afférentes à la ligne de Mons et de Saint-Ghislain ont été mêlées et par conséquent il ne m'est pas possible de déterminer la part de la voie qui nous intéresse.

    JACQUES. - Ainsi, voilà notre revue de détail terminée et afin de mieux fixer mes idées, je te serais reconnaissant de vouloir bien m'exposer la situation actuelle du réseau.

    JEAN. - Comme tu l'entends, mon cher. Je pourrais encore te parler de la ligne du Chimay et des vicinaux, mais ce sera pour une autre fois.

    LES PREMIERES LOCOMOTIVES DES LIGNES NORD-BELGES ET QUELQUES AUTRES TYPES.

    Locomotive à voyageurs, Liège-Givet 1 essieu moteur, Buddicom 1846 Locomotive N. F., en service sur le N.-B.

    Locomotive à voyageurs, Liège-Givet, 1 essieu moteur Cockerill 1856, type Etat-Belge.

    Locomotive à voyageurs, Liège-Givet. 2 essieux couplés, Cockerill 1849, modifiée en 1858.

    Locomotive à voyageurs, Liège-Givet, 2 essieux couplés, Derosne & Cail 1846. - Stephenson transformée en mixte en 1850.

    Locomotive à voyageurs, Liège-Givet, 2 essieux couplés Cockerill 1850, foyer allongé à St-Martin en 1867.

    Locomotive à marchandises, Liège-Givet, 3 essieux couplés, St-Léonard 1850, modifiée à St-Martin en 1871.

    Locomotive à marchandises, Liège-Givet, 3 essieux couplés, Cockerill 1851, modifiée à St-Martin en 1861.

    Locomotive à marchandises, Charleroi-Erquelines 3 essieux couplés, Cockerill 1854.

    Locomotive de gare. Liège-Givet, 3 essieux couplés, St-Léonard 1856, modifiée à St-Martin en 1862 et en 1872.

    Locomotive à marchandises, Charleroi-Erquelines, 4 essieux couplés Cockerill 1855, type Engerth.

    Ancienne machine N° 10 à essieux indépendants, système Crampton, pour trains express (Série 1 à 11 construite en 1859, aujourd'hui démolie).

    Machine N° 3395 (ancien 3101), Compound à 3 cylindres, 3 essieux accouplés et essieu porteur à l'avant, pour service mixte (construite en 1887, modifiée en 1895).

    Machine N° 2156, à vapeur saturée. Compound à 4 cylindres, tiroirs plans, 2 essieux accouplés et bogie, pour trains express.
    (Série 2138 à 2157, construite en 1895-96).

    Machine «Grande-Banlieue» dite «Revolver» 2 cylindres H. P., 3 essieux moteurs entre deux bogies.

    Machine N° 2159 à vapeur saturée, Compound à 4 cylindres, tiroirs plans, 2 essieux accouplés et bogie, pour trains express. (Série 2158 à 2160, construite en 1897).

    Locomotive Compound, 4 cylindres, 4 roues accouplées et à bogie, Série 2116 à 2180. Type 1898, pour trains de grande vitesse.

    Machine N° 3100, à vapeur saturée, Compound à 4 cylindres tiroirs plans, 3 essieux accouplés et bogie à l'avant, pour service mixte (Série 3078 à 3120, construite en 1899-1901).

    Machine N° 2646, Compound à 4 cylindres, 4 roues accouplées, bogie avant et essieu porteur arrière, type «Atlantic» pour trains rapides (Série 2643 à 2675, construite en 1901-1904).

    Machine n° 3518, à vapeur saturée Compound à 4 cylindres, tiroirs plans, 3 essieux accouplés et bogie à l'avant pour service mixte (trains lourds) (série 3513 à 3537 construite en 1908-1909).

    Ancienne machine N° 2741, à vapeur saturée, foyer à tubes d'eau. Compound à 4 cylindres, tiroirs plans 2 essieux accouplés compris entre 2 bogies, pour trains rapides (machine construite en 1907, munie d'un bogie à l'arrière en 1908, et d'une nouvelle chaudière plus puissante en 1909, aujourd'hui modifiée et portant le n° 3999.

    Machine n° 3-1154, à surchauffeur Schmidt. Compound à 4 cylindres, tiroirs B. P. plans, tiroirs H. P. cylindriques. 3 essieux accouplés, bogie à l'avant et essieu porteur à l'arrière, type «Pacific» pour trains rapides lourds (Série 3-1151 à 3-1170 construite en 1912).

    Machine série 421a, N.-B. Compound à 4 cylindres, bissel avant et 4 essieux moteurs, à surchauffe, réchauffeur d'eau, alimentation par pompe ACFI, éclairage électrique par turbo-dynamo pour trains très lourds.

    UN VIEUX «COUP DE CHIEN»

    Un tamponnement en 1850.

    EN 1862, DEJA !
    Une 4 cylindres à surchauffe au N.-B.

    Locomotive à voyageurs, Mons-Quévy, 2 essieux moteurs indépendants, 4 cyl, sécheur de vapeur, Couin 1862. Locomotive N. P. affectée à la ligne Mons-Maubeuge-Hautmont.

    LES «ULTRA-MODERNES».

    Machine «Montain» de la Compagnie P.-L.-M., dernier type de Grande Puissance, des Compagnies Françaises, Compound 4 cylindres, à tiroirs cylindriques et à surchauffe, quatre essieux moteurs, bogie à l'avant et essieu porteur sous le foyer, construite en 1927.

    Machine «Super-Pacific», 3.1201 à , Compound 4 cylindres à surchauffe et à réchauffeur d'eau d'alimentation et pompe ACFI, éclairage électrique par turbo-dynamo pour trains très rapides et très lourds. 3 essieux moteurs, bogie à l'avant et essieu porteur sous le foyer.

    CHEMINS DE FER DU NORD-BELGE

    JEAN. - Comme nous venons de le voir en détail, l'exploitation des lignes Nord-Belges résultent de la prise à bail, pour toute la durée des concessions moins un jour, de trois sociétés, Namur à Liège et extensions. Mons à Hautmont et Charleroi à Erquelines.

    JACQUES. - Le Nord-Français jouit des droits accordés aux concessionnaires.

    JEAN. - Mais il doit aussi se soumettre aux obligations du cahier des charges.

    JACQUES. - Au point de vue comptable, comment a-t-il régularisé la situation ?

    JEAN - Au moyen d'obligations Nord doit la valeur avait été employée pour l'exécution de travaux et achat de matériel ; il a balancé le capital des lignes nord-belges.

    JACQUES. - Ces titres avaient-ils un caractère définitif ?

    JEAN - Non. Par une décision du 28 avril 1862, la Compagnie a réinscrit à son crédit la valeur de l'émission dont je viens de te parler et l'a remplacée par une nouvelle de 100.000 obligations nord-belges de 295 francs, remboursables à 500 francs et à intérêt de 3 p. c.

    JACQUES. - Quelle est l'affectation de ce poste ?

    JEAN. - Ressources disponibles à réaliser en temps opportun !

    Elles sont réparties comme suit :

    11.000 Mons Hautmont
    44.450 Charleroi Erquelines
    44.450 Namur Liège et extensions.

    JACQUES. - Si nous abandonnions la comptabilité pour passer dans un domaine plus tangible. Expose-moi un peu d'une façon claire, quelles sont les lignes que nous exploitons en Belgique, en me donnant force détails, en établissant des distances : je ne m'y retrouve plus.

    JEAN. - En règle générale, on n'envisage que les sections suivantes :

    Liège-Guillemins à Namur 60 Klm.
    Longdoz à Flémalle-Haute 13
    Namur à Givet 50
    Erquelines (fre) à Charleroi 30
    Quévy (fre) à Mons 16

    JACQUES. - Oui, c'est bien cela que je veux.

    JEAN. - Il faut cependant tenir compte des courbes de Garde-Dieu à Val-Benoit (516 m.), utilisée surtout pour le trafic des locomotives et des voyageurs, et de celle des Aguesses vers Angleur (501 m.).

    JACQUES. - Petits bouts de lignes qui, empruntés à partir de la bifurcation de Froidmont par les trains de la S.N.C.F.B., nous rapportent une part de recette calculée sur 2 Klm. pour le parcours entier (grande ligne jusque la bifurcation de Garde-Dieu, plus la courbe).

    JEAN. - En outre, nous avons encore les tronçons communs de :

    Liège-Guillemins à Liège-Entrepôt environ 2 Klm.
    Namur à Namur-Meuse » 2
    La Sambre à Marchienne-au-Pont » 2
    La Sambre à Marcinelle » 2
    Charleroi à Charleroi-Entrepôt » 1

    JACQUES. - Plus les deux prolongements partant de Frameries dont tu m'as parlé récemment.

    JEAN. - Avant d'aborder définitivement l'exploitation, je ne puis m'empêcher de te parler du résultat obtenu pour l'année 1926. Tu as certes lu le bilan publié dans notre revue après l'avant dernière assemblée des actionnaires de la Compagnie.

    JACQUES. - Je lis toujours entièrement le «Tampon».

    JEAN. - Eh bien, tu n'as pas été émerveillé de la façon dont les lignes Nord-Belges sont exploitées, ce qui d'ailleurs fait honneur aux dirigeants supérieurs, mais aussi à l'armée des travailleurs Nord-Belges du Rail.

    JACQUES. - Si, j'ai constaté qu'il y avait un boni de plus de 50 millions de francs.

    JEAN. - 50.000.000, toutes charges financières déduites, ce qui donne 64 millions en chiffres ronds, de produit net ou, si tu veux, des chiffres plus petits. 64.000.000 : 5.000 agents, soit plus de 12.000 francs par agent.

    JACQUES. - Ah !

    JEAN. - Cela représente un coefficient d'exploitation de 65,4, alors que le Nord-Français accuse 72,4.

    JACQUES. - Alors, sans paraître présomptueux, on peut émettre que le rendement des agents Nord-Belges est au moins égal ( !)...


    TROISIEME PARTIE

    REVUE CINEMATOGRAPHIQUE DU NORD-BELGE

    JEAN. - Pas plus que tu ne t'es enquis de la chronologie et de l'historicité des chemins de fer Nord-Belges, je gage que tu n'as jamais cherché à connaître les particularités relevant de l'histoire, de la technologie et des arts, intéressant les localités traversées par les lignes N.B.

    JACQUES. - Aurais-tu l'intention de passer en revue les villes et villages avoisinant les gares du réseau ? Ça serait plus distrayant que le chapitre précédent et à tout le moins aussi instructif.

    JEAN. - Beaucoup qui, utilisant les facilités de circulation que la Compagnie accorde à ses agents, seraient à même de te décrire, avec force détails inhérents à l'art architectural, sculptural et pictural, la fameuse chapelle Sixtine, à Rome, bâtie, ornée et décorée par les surhommes de l'époque éminemment fertile en génies artistiques de la Renaissance (Bramante, Michel-Ange Buonarotti, Raphaël), ne pourraient te donner que de vagues renseignements sur leur propre «patelin».

    JACQUES. - Quelle phrase cicéronienne pour me dire qu'on va parfois chercher bien loin pour trouver de l'inédit et qu'on ignore que l'on possède des trésors à proximité. Je connais un hurluberlu qui a fait visite aux troublantes ruines romaines de Timgad, en Algérie, et qui jamais n'a franchi la première marche de l'escalier intérieur de notre riche musée archéologique gîtant en la maison Curtius.

    JEAN. - Notre film documentaire ne s'attardera évidemment pas aux myriades de détails afférents à chacune des bourgades rencontrées, il n'a d'autres prétentions que de mettre en relief les productions, les industries susceptibles d'apporter un surcroît de trafic ; de signaler brièvement les attraits artistiques ou «folkloriques» ; remémorer certains épisodes de l'histoire.

    JACQUES. - Aperçu rapide. Immanquablement, dans une description aussi longue, des agglomérations seront sacrifiées. Peut-être commettrons-nous des inexactitudes résultant d'indications erronées, «chapardées» à des chroniqueurs trop véloces.

    LIEGE A GIVET

    JEAN. - Liège, par où nous commencerons notre voyage est peut-être la ville qui a le plus mérité son surnom.

    JACQUES. - La Cité Ardente !

    JEAN. - Ardente, elle l'est par la vie intense de ses multiples industries : forges, usines, houillères, etc.

    JACQUES. - Ses manufactures d'armes de luxe et de guerre lui ont, de tout temps, valu une réputation mondiale.

    JEAN. - Les armuriers liégeois, ces artisans de premier plan, ne le cèdent en rien à ceux des meilleures usines britanniques ! Ils furent d'ailleurs les premiers éducateurs de cet art, dans lequel ils eurent bien vite de nombreux élèves.

    JACQUES. - Elle possède une fonderie de canons, de nombreuses fabriques d'autos, de motos, de vélos et une réputée usine pour la fabrication des objets en caoutchouc de toutes espèces.

    JEAN. - Ses foires st marchés qui sont très suivis, sont aussi d'une importance très grande au point de vue des nombreuses transactions qui s'y réalisent.

    JACQUES. - Liège qui mire ses monuments et ses universités dans l'onde de son beau fleuve, n'est pas seulement, célèbre par la vie intense de ses industries mais encore par les manifestations de la vie intellectuelle.

    JEAN. - Si elle forma des artisans d'élites, elle révéla aussi des savants, des hommes de science et principalement des artistes de haute valeur : peintres, graveurs, sculpteurs, compositeurs et instrumentistes.

    JACQUES. - La Commission Royale d'Art et d'Archéologie qui a classé les monuments de Belgique en trois catégories, d'après leur importance, a attribué à Liège quatre monuments de première classe, cinq de deuxième et quatre de troisième.

    JEAN. - L'église Saint-Paul, jadis collégiale, saccagée en 1212, cathédrale depuis 1803. Le temple actuel reconstruit dans le style gothique, s'acheva lentement de siècle en siècle, 1811 le vit compléter par la construction de la tour dont la flèche à 90 mètres de hauteur. On l'a restauré extérieurement en 1855.

    JACQUES. - On y admire de beaux vitraux du XVIe siècle, des toiles de maîtres et la châsse de Saint-Lambert : buste reliquaire en vermeil qui contient le chef du patron de la cité. Le buste est supporté par un socle hexagone, du style gothique tertiaire, dont les 6 faces représentent en personnages complètement détachés, les scènes légendaires de la vie du martyre.

    JEAN. - Il fallut du temps pour exécuter une pareille œuvre d'art ?

    JACQUES. - De 1509 à 1512.

    JEAN. - L'église Sainte-Croix fondée et consacrée par Notger en 986. D'abord conçue dans le style roman, elle fut réédifiée partiellement en gothique au XIV et XVe siècles. A noter là, une superbe porte en cuivre Louis XV qui ferme la chapelle baptismale.

    JACQUES. - C'est sous le règne de Notger que la principauté s'agrandit. L'histoire rapporte que, comme Louis XI de sinistre mémoire, il avait recours à la ruse pour s'emparer des domaines qu'il convoitait. Pour se débarrasser du voisinage gênant du seigneur de Colonstère, dont la demeure était située au sommet d'une colline dominant la vallée de l'Ourthe, il ne trouva rien de mieux que de prier le propriétaire de l'accompagner dans un long voyage en Allemagne. Lorsqu'ils revinrent, deux ans après, le château était rasé et une église s'élevait à la place.

    JEAN. - Quel stratagème !

    JACQUES. - Il a montré plus de perfidie encore pour mettre à exécution son projet de destruction du château qui s'élevait jadis au-dessus de la montagne de Chèvremont. Cette forteresse jugée imprenable avait jusque là, résisté à tous les assauts des conquérants. Notger s'étant invité à venir baptiser le fils du sire de l'endroit, arriva solennellement avec un long cortège de prêtres armés de cierges. A l'intérieur du castel, sur un signe de l'évêque, les faux ecclésiastiques jetèrent leurs cierges et la garnison affolée vit avec effroi, des centaines d'hommes d'armes prêts au combat. Surpris, les occupants furent tous massacrés et le château démoli. Le seigneur se précipita du haut de la colline dans la Vesdre et sa femme se noya dans un puits avec son enfant.

    JEAN. - Quelle ignominie ! Procédé rapide, mais peu digne d'un prince de l'église.

    JACQUES. - C'est sa soif inextinguible de la possession qui le faisait agir ainsi.

    JEAN. - Continuons notre visite. Le joyau des monuments religieux de la vieille cité mosane est incontestablement Saint-Jacques.

    JACQUES. - Parbleu, de la dentelle, de la broderie de pierre ; la décoration intérieure est d'une immense richesse.

    JEAN. - Du temple roman qui datait du XIe siècle, il ne subsiste plus que le narthex à l'ouest. C'est maintenant un magnifique édifice du style ogival flamboyant, à trois nefs, avec chœur polygone et chapelles rayonnantes.

    JACQUES. - Il y a encore le portail renaissance, au nord, qui est un hors d'œuvre ajouté par Lambert Lombard en 1558. Cette église a été restaurée avec magnificence et goût en 1833.

    JEAN. - Le chœur avec ses stalles sculptées du XVIe reçoit la lumière à travers de magnifiques vitraux de cette époque.

    JACQUES. - De nombreuses œuvres d'art, garnissent l'intérieur et un riche jubé du XVIe soutient un merveilleux jeu d'orgues du XVIIe siècle.

    JEAN. - C'est à Saint-Jacques qu'autrefois étaient conservées les chartes de liberté et qu'à leur élection les bourgmestres prêtaient serment.

    JACQUES. - Saint-Servais (la plus antique paroisse de la ville) reconstruite à la fin du XVIe siècle et complétée dans la première partie du XVIIe. Elle fut restaurée en 1846 et en 1883, elle possède de belles œuvres d'art.

    JEAN. - Notamment une curieuse chaire de vérité du style Louis XIII qui est d'ailleurs celui de toute la décoration de cette église.

    JACQUES. - Voici Saint-Denis avec sa massive tour romane et son chœur gothique au toit pointu, consacrée en 1011.

    JEAN. - Un bras de la Meuse baignait autrefois le pied de cette tour qui par sa situation devait être un ouvrage défensif.

    JACQUES. - L'église fut en partie reconstruite au XIVe siècle, après avoir été incendiée. On y travailla surtout au XVIIIe siècle.

    JEAN. - Le bras gauche du transept renferme un retable en bois, richement sculpté. C'est une merveille d'art du XVIe siècle qui représente la Passion de Jésus-Christ et le martyre de Saint-Denis.

    JACQUES. - Au haut d'une colline qui domine la ville s'élève Saint-Martin, tristement célèbre par sa sanglante journée du 4 août 1312 pendant laquelle 200 nobles qui s'y étaient réfugiés pour échapper aux bourgeois, y furent brûlés vifs. Ce sanglant épisode est rappelé sous le nom de Mâle Saint-Martin.

    JEAN. - Après avoir été abattue en 1468, lors du sac de Liège par Charles le Téméraire, elle fut reconstruite en 1542 dans le style gothique secondaire.

    JACQUES. - Ce qui frappe surtout dans cette église, c'est l'uniformité, sans monotonie, du style et l'harmonie des proportions, qui lui donnent une grande majesté.

    JEAN. - Avec un délicieux cachet d'archaïsme, dû à son ensemble de moellons de grès, voici Saint-Barthélémy dans le style roman du XIe siècle.

    JACQUES. - Ses deux tours carrées sont très typiques. Sa chapelle baptismale contient une célèbre cuve coulée en bronze, en 1112. Elle repose sur 12 bœufs et est ornée de bas-reliefs qui représentent Saint-Jean-Baptiste prêchant et baptisant Jésus-Christ ; Saint-Pierre et le centurion Corneille ; Saint-Jean l'Evangéliste répandant les eaux du baptême sur la tête du philosophe Craton.

    IEAN. - Non loin de là, au bord de la Meuse, l'ancien Mont-de-piété, bâti en 1560, aujourd'hui musée d'archéologie, montre sa haute toiture et ses tours originales.

    JACQUES. - Revenant vers le centre de la ville, nous rencontrons l'hôtel de ville édifié en 1714. C'est le type classique de l'architecture liégeoise du XVIIIe siècle.

    JEAN. - Les pillages de la Révolution française ont peu laissé des œuvres d'art qui en garnissaient l'intérieur, mais on y admire encore de belles choses.

    JACQUES. - Sur la place du Marché, en face de la maison communale, se dresse fièrement le Perron, emblème des libertés de la Cité, symbole tant de fois renversé par les exactions des grands, mais toujours relevé avec plus de vigueur par l'opiniâtre résistance des petits.

    JEAN. - Tout près, le palais des Princes-évêques présente son imposante masse.

    JACQUES. - C'est l'édifice le plus considérable de la ville.

    JEAN. - Construit de 971 à 1008 par Notger et agrandi de 1145 à 1164 par Henri de Leyen, il fut incendié en 1185. Réédifié peu de temps après, il fut complètement dévoré par les flammes en 1505. En 1526, Erard de la Marck entreprit sa reconstruction qu'il fit pousser avec la plus grande célérité jusqu'à sa mort en 1538. Ce prince-évêque restreignit tant qu'il put les libertés accordées au peuple par certains de ses prédécesseurs.

    JACQUES. - En 1531, les Rivageois (habitants de Tilleur, Ougrée, Seraing et Jemeppe) outrés des procédés coercitifs d'Erard de la Marck se soulevèrent. La répression fut terrible. Les meneurs furent condamnés à mort, leurs biens confisqués et leurs habitations rasées. Afin de découvrir les coupables, on mit à la torture ceux que l'on parvenait à saisir. Plusieurs furent décapités et leurs têtes plantées sur des piques, exposées aux quatre coins de la ville. Une troupe de malheureux riverains conduite par le bourreau dut venir implorer le pardon de ce monstre.

    JEAN. - C'est également sous son heureux (!) règne que l'on vit apparaître le fameux moine fanatique, Jean Jamolet, appelé «inquisiteur ecclésiastique, exerçant son ministère avec l'autorisation du Pape et de l'Evêque». Les hérétiques étaient brûlés vifs. Toutes ces exactions n'allaient pas sans mécontenter le peuple liégeois foncièrement catholique, mais qui n'aimaient nullement à voir tant d'inutiles cruautés exercées sous le couvert de la religion. Beaucoup d'habitants luthériens se sauvèrent et allèrent établir leurs industries dans des lieux plus hospitaliers.

    JACQUES. - Ce prince mourut enfin, en 1538, d'une indigestion causée par une trop grande absorption d'huîtres (!).

    JEAN. - Revenons maintenant au grandiose édifice construit par ce diable d'homme.

    JACQUES. - Il est beau ce palais flanqué de tours élégantes, beaux aussi ses cours et jardins entourés de colonnades.

    JEAN. - Je te crois. Sais-tu qu'avec ses appartements richement décorés et somptueusement meublés, il constituait une des plus magnifiques demeures princières de la chrétienté.

    JACQUES. - Ainsi pendant neuf siècles, au même emplacement, il a abrité des Princes-Evêques.

    JEAN. - Oui, jusqu'en 1794. Il est maintenant le siège du Gouvernement provincial, des institutions judiciaires et des archives de l'Etat.

    KINKEMPOIS. - SITUATION ACTUELLE. (En face du « Bâtiment voyageurs », le Siège Social du S.A.N.B.)

    JACQUES. - Voici le Théâtre Royal construit de 1808 à 1822, sur le modèle de l'Odéon de Paris avec devant lui la statue de l'illustre musicien Grétry.

    JEAN. - Plus loin, un des bâtiments de l'Université créée en 1817 qui provient en partie d'un ancien collège de Jésuites avec sur la place la statue du grand géologue André Dumont, dont le doigt prophétise l'existence du noir trésor des sous-sols.

    JACQUES. - En suivant le fleuve, nous arrivons aux terrasses décorées de très beaux groupes en bronze parmi lesquels un taureau avec son gardien.

    JEAN. - «Djozef qui tint l'torè». C'est cette statue qu'il faut avoir vue, paraît-il, pour qu'un voyage à Liège puisse compter.

    JACQUES. - Certes, à bien des lieues à la ronde, on demandera toujours à toute personne que l'on sait revenir de Liège : «Avez v' vèyou l'torè ?»

    JEAN. - Derrière les terrasses, le magnifique square d'Avroy, à côté la superbe statue équestre de Charlemagne dont le socle de style roman est orné des statues de Pépin de Landen, de Sainte-Bègue, de Pépin d'Héristal, de Charles Martel, de Pépin le Bref et de la reine Berthe.

    JACQUES. - Revenant à la Meuse, nous admirons en passant le beau jardin d'Acclimatation avec son palais des Beaux-Arts, le pont de Fragnée qui nous présente l'élégance de ses ors et la majesté de ses grandes colonnes que surmontent des anges en bronze doré.

    JEAN. - Sans compter les merveilleux groupes de bronze qui décorent toute sa portée. Il est d'ailleurs le grand ouvrage qui nous rappelle la magnificence et le succès de l'Exposition Internationale de 1905.

    JACQUES. - Nous ne parlons pas des autres ponts, ils sont toux beaux cependant.

    JEAN. - Jamais nous n'aurions fini. Rien ne nous empêcherait alors de grimper, par de merveilleuses promenades aux hauteurs de Cointe.

    JACQUES. - Tu as raison, les 600 degrés de la Montagne de Bueren, en nous conduisant à la Citadelle, pourraient aussi, de là, nous faire découvrir un bien joli panorama de la ville.

    JEAN. - C'est dommage tout de même, car je ne crois pas qu'aucune contrée belge puisse rivaliser avec Liège vue d'une de ces hauteurs là.

    JACQUES. - C'est vrai. Les nombreux clochers de l'antique cité, assise sur la croupe et au pied d'une montagne, les eaux de la belle Meuse qui y reçoivent l'Ourthe ; une forêt de cheminées qui témoignent de l'industrie florissante, une vallée verdoyante et renommée pour la culture maraîchère, tout surprend agréablement le voyageur à l'approche de la ville.

    JEAN. - Holà ! Comme te voilà parti ! On dirait que tu l'aimes bien ta ville, car tu es liégeois, toi ! Je comprends que l'on dise que les liégeois sont durs à la peine, avides de leurs libertés et de leurs droits, n'admettant guère ni empiétement, ni oppression : On défend bien ce que l'on aime.

    JACQUES. - Ils l'ont prouvé dans la succession presque ininterrompue de luttes sanglantes qu'ils durent livrer, jusqu'au XIXe siècle, contre leurs oppresseurs. Peuple éminemment sympathique, ayant le cœur sur la main, mais aussi les cheveux près de la tête. Gare à ceux qui l'ignorent... En 1914, notamment...

    JEAN. - T'emballes pas. Quittons Liège, Jacques, car des volumes seraient nécessaires pour parler à son aise des nombreuses péripéties vécues. Celles-ci résultaient de la lutte qui éternellement a divisé le monde : liberté qui s'affirme, autocratie qui ne veut pas abandonner ses prérogatives.

    JACQUES. - D'accord.

    JEAN. - Après nous être embarqués à Longdoz et avoir traversé l'Ourthe à Fétinne, nous arrivons à...

    JACQUES. - Casablanca.

    JEAN. - ? ? ?... ! ! !

    JACQUES. - Qu'est-ce que c'est que cette mosquée là-bas ?

    JEAN. - Tu es mûr, mon pauvre vieux, ce n'est pas plus la mosquée d'Omar à Jérusalem qu'une cloche à melons, c'est un collège.

    JACQUES. - Ah !

    JEAN. - Voici Kinkempois et sa grande gare à marchandises.

    JACQUES. - Station de transit très importante.

    JEAN. - La colline que l'on aperçoit du train est couverte de ce qui reste d'un versant du grand bois de Kinkempois, plusieurs fois détruit par les flammes. L'ancien château était autrefois considéré au pays de Liège, comme une forteresse importante... du bon goût et de la joyeuse vie.

    JACQUES. - N'est-ce pas là qu'en 1313 fut conclue la «Paix d'Angleur», après la funeste journée de la Mâle Saint-Martin, entre les nobles, le peuple et le chapitre ?

    JEAN. - Non, c'est en l'autre beau château dit Nagelmackers, en vente actuellement pour un million et demi si le cœur t'en dit. Mais quittons le paysage boisé pour entrer dans l'enfer. Après le port de Renory et les aciéries d'Angleur, rougeoient les premières fournaises de la puissante Société d'Ougrée-Marihaye, avec ses houillères, hauts-fourneaux, laminoirs pour tôles, acier, zinc, cuivre, laiton, construction de machines, fabrique de fer, ammoniaque, etc...

    Vue de la gare de Kinkempois, prise de la lisière du bois (situation actuelle).
    Au fond, la ville de Liège, entourée de collines. (Rapprocher cette vue de celle figurant à la page 55).

    JACQUES. - Comme enfer, c'est réussi.

    JEAN. - Un chroniqueur, cheminot, accrédité auprès d'un journal incolore de la ville, n'a-t-il pas, un jour, prenant bœuf pour vache, ce qui est compréhensible d'ailleurs, dit, dans une relation de voyage que lorsqu'on passait en face de ces établissements, on était suffoqué par la bonne senteur de l'azote.

    JACQUES. - Un cheminot n'est pas forcément chimiste et notre collègue ignorait que l'azote (Az) est un métalloïde inodore.

    JEAN. - L'odeur acre qui prend à la gorge provient des gaz qui s'exhalent des fours à coke. Ces fumées contiennent en effet du gaz d'éclairage, de l'ammoniaque, de l'anhydride carbonique, de l'hydrogène sulfuré et du méthane.

    JACQUES. - Espérons qu'il ne trouvera rien de froissant dans notre conversation, adressons lui notre bien cordial bonjour... et une carte syndicale.

    JEAN. - Ougrée, qui jadis s'appelait Ougraie, avait un château-fort original, bâti en briques dans le style du XVIe siècle. Sur la rive gauche de la Meuse et desservie par l'autre embranchement de notre ligne, la commune de Sclessin dépendant de celle d'Ougrée, avait aussi un château seigneurial qui s'élevait sur l'emplacement d'un antique manoir, ruiné en 1254 par l'armée liégeoise.

    JACQUES - Mais continuons si tu veux, la rive droite. Nous arrivons à Seraing où sur bien des hectares s'élèvent les usines John Cockerill à la renommée mondiale, Comme pour Ougrée-Marihaye, on peut dire que l'on y fait aussi tout ce qui intéresse la métallurgie et en plus la mécanique.

    JEAN. - Je te crois, les minerais qui y entrent en d'impressionnantes rames de wagons talbots, en sortent transformés en produits ouvrés les plus divers.

    JACQUES. - Connais-tu l'histoire des établissements Cockerill ?

    JEAN. - Bien sûr. Le beau château de Cockerill et son grand parc était, jusqu'en 1794, la maison de campagne des Princes-Evêques de Liège. Devenu bien national à la suite de la révolution française, il passa au Gouvernement des Pays-Bas après 1815 et fut cédé par celui-ci, en 1817, à Charles-Jam-John Cockerill qui y établit son usine. Jusqu'à la révolution de 1830, cette propriété appartenait pour moitié au Roi des Pays-Bas, Guillaume 1er. Après la libération de notre patrie, Cockerill acheta la part de son royal co-propriétaire et se trouva seul maître de l'entreprise.

    JACQUES. - C'est sans doute à cause de ses puissants villégiaturistes dont nous venons de dire un mot il n'y a qu'un instant, que Seraing doit d'avoir une aussi belle église ?

    JEAN. - Bien que d'aspect extérieur vétuste et peu accueillant, ce vaste édifice à trois nefs, qui est d'époque Louis XIV (1736), présente au maître-autel un christ et des «anges adorateurs» de l'école de Delcour, le célèbre artiste liégeois.

    JACQUES. - On dit que ce maître-autel provient de l'antique collégiale Saint-Paul, à Liège.

    JEAN. - C'est exact. A signaler aussi deux belles portes intérieures en marbre et des fonds baptismaux du XIIe siècle.

    JACQUES. - Toujours sur le territoire de la ville de Seraing, s'élèvent les usines de l'Espérance-Longdoz. Un peu plus loin, les Cristalleries du Val-Saint-Lambert dont la renommée est universelle. On m'a souvent dit que la production ne parvient pas à satisfaire les demandes.

    JEAN. - Elles font de si jolies choses : rappelle-toi la coupe offerte à notre Secrétaire Général. C'est dans un ancien monastère qu'est établie l'usine.

    JACQUES. - Non ! !

    JEAN. - Si mon vieux. Bâti en 1202, ce monastère fut supprimé à la Révolution française et vendu en 1797 pour 205.000 livres. L'église qui était très vaste fut démolie et la cristallerie occupe depuis 1826, le reste de l'établissement.

    JACQUES. - Y a-t-il encore d'autres usines avant d'arriver à Flémalle ?

    JEAN. - Certainement, et d'importantes encore, ne t'ai-je pas dit naguère que cette ligne était véritablement «émaillée» d'entreprises de toutes sortes. Nous n'aurions jamais fini s'il fallait, tout le long du parcours, mentionner tout ce qui pourrait attirer l'attention en fait de productions.

    JACQUES. - Alors, va... Agis à ta guise.

    JEAN. - Flémalle-Haute ou petite Flémalle commence la série des carrières, fours à chaux et industries similaires que nous rencontrerons presque partout jusque Givet.

    JACQUES. - Il existe aussi des fabriques de produits et engrais chimiques, produits réfractaires, et surtout les galvanisés de la firme Phénix-Works.

    JEAN. - La petite Flémalle que l'on appelait ainsi par opposition à la grande Flémalle était sous la juridiction des seigneurs du Château de Flémalle-Grande. Son premier seigneur Makaire de la Heyd de Flémalle eut ses trois petits-fils tués en 1298 à la bataille de Loncin pendant la guerre des Awans et des Waroux.

    JACQUES. - C'est ceux-là que l'on rappelle sous le nom des «trois frères de Flémalle».

    En gare de Flémalle-Haute.

    JEAN. - Engis !...

    JACQUES. - Tant que tu y es, finis donc la rive gauche, nous arrivions à Jemeppe.

    JEAN. - Jemeppe est aussi un centre industriel qui est d'ailleurs relié à Seraing par un pont sur la Meuse de 120 mètres de portée. Deux vieux châteaux qui sont bien conservés : un du XIIIe siècle et un autre, le château d'Ordange, de la première moitié du XVIIIe siècle.

    JACQUES. - Mince ! Tu l'as bloquée ton époque médiévale.

    JEAN. - Pour en finir avec le bassin de Liège, citons encore Tilleur avec ses charbonnages, hauts-fourneaux, fonderies et autres fours à coke.

    JACQUES. - Toujours un massif important à ajouter à la forêt de cheminées fumantes que l'on aperçoit des hauteurs environnantes.

    JEAN. - L'ancienne église qui, croit-on, avait été dédiée en 1332 à Saint-Hubert, dont elle avait abrité les restes depuis 817 jusqu'au jour de leur translation à la ville de Saint-Hubert, ne servant plus au culte depuis 1865 fut, l'année suivante, utilisée comme hôpital pour les cholériques.

    JACQUES. - Revenons en arrière maintenant. En quittant Flémalle-Haute, j'ai toujours été frappé d'admiration par le beau château de Chokier majestueusement assis, tel un nid d'aigles, à une hauteur de près de 300 pieds et paraissant inexpugnable.

    JEAN. - Plus loin, sur la cime d'un rocher sourcilleux, se dresse le formidable manoir d'Aigremont.

    JACQUES. - C'était le repaire d'un prince d'Aremberg, surnommé «Le Sanglier des Ardennes». Seigneur qui, grâce à sa franchise, sa loyauté et sa bravoure, s'était créé une popularité très grande parmi les liégeois. Trop longue serait la sublime histoire de sa vie. Citons seulement deux faits caractéristiques. En lutte contre l'évêque Louis de Bourbon, pour sauver les libertés du peuple, Guillaume d'Aremberg, Comte de la Marck, au cours d'un combat livré à Grivegnée, traversa la gorge du prince d'un coup d'épée et ordonna à un garde d'achever le malheureux. Après cette affaire, il fut nommé mambour, mais ne profita pas longtemps de sa charge. Attiré dans un guet-apens, il fut garotté et transporté à Maestricht où sur les ordres et en présence du nouvel évêque, il fut décapité. Le prince d'Aremberg mourut crânement, non sans avoir reproché à son «auguste» (!) agresseur sa conduite perfide.

    Sur la rive droite et au pied d'une roche calcaire qui domine le fleuve, le château d'Engihoul.

    JEAN. - Engis ! La Nouvelle-Montagne y travaille le zinc, le plomb, les pyrites. Il y a aussi des carrières, des charbonnages, des fabriques d'engrais concentrés, d'acide sulfurique et de mèches de sûreté pour mines.

    Hermalle, dont le château du XIIe siècle fut détruit par les hutois en 1313 et reconstruit après. Encore des carrières et fours à chaux.

    JACQUES. - Inutile de rallumer les guerres civiles en rappelant aux hermallois que les hutois leur ont, au temps jadis, f... une «tournée». Regarde plutôt le remarquable site que présente l'abbaye de Flône.

    JEAN. - Amay a pris en ces derniers temps un certain air d'élégance, si l'on en juge par les jolies bâtisses que l'on aperçoit, sitôt passé la gare. Son église de style roman fut jadis collégiale et archidiaconale. On y admire la châsse de Sainte Odile et de Saint Georges, elle date de 1230.

    JACQUES. - Je l'ai vue, elle est ornée d'émaux mosans, de filigranes striés et de 12 reliefs très délicats représentant les 12 apôtres.

    JEAN. - L'église possède aussi un christ en bois dû au ciseau de Delcour et qui, à juste titre, passe pour un chef-d'œuvre.

    JACQUES. - Des carrières, charbonnages, briqueteries, fabrique de céramique, de fruits séchés et de sirop apportent à la voie ferrée de nombreux transports. Tiens ! je me rappelle que le 1er mai, on va chercher à l'église, de la terre bénite tirée d'une grotte où se trouve le sépulchre de Saint Pompée.

    JEAN. - Pour quoi faire ?

    JACQUES. - Pour la mélanger aux fourrages que l'on donne aux bestiaux malades. Cette mixture a pour effet, dit-on, de guérir ces pauvres animaux.

    JEAN. - Nous approchons de Huy et de ses vignobles jadis si florissants. Ampsin aussi cultive encore un peu la vigne. De nouveau des carrières, produits réfractaires et chimiques, ateliers de construction.

    JACQUES. - Le ruisseau de Bende, alimente le moulin du même nom.

    JEAN. - A Ampsin qui est un diminutif d'Amay, on a découvert à un endroit dénommé «Cimetière des Sarrasins», 60 caveaux renfermant des squelettes et des bijoux rudimentaires des IVe ou Ve siècle.

    Vue de Huy : Le Pont, la Collégiale et sa Rosace, le vieux fort.

    JACQUES. - Après la traversée du tunnel, voici la ville de Huy. Les treilles de la colline fournissent encore un petit vin agréable mais combien rare. Les marchés sont très suivis. Corphalie et beaucoup d'autres industries en font une ville très industrieuse, notamment les papeteries Godin (Springuel est disparu !).

    JEAN. - Ses trois merveilles sont très connues : «Li pontia, li rondia, li bassinia».

    JACQUES. - Tu dis ?

    JEAN. - Le pont, la rose de la collégiale et la fontaine de la grand'place. Cette rosé si renommée est d'une élégance qu'on a comparée, sinon préférée, aux roses tant vantées du dôme de Plaisance et de l'église de Saint-Zéno à Vérone.

    En gare de Huy (situation actuelle).

    JACQUES. - La citadelle sur un rocher, en face du pont, surplombe l'église collégiale Notre-Dame de style gothique, un des plus beaux monuments religieux du XIVe siècle. On y admire la magnifique châsse de Saint Marc.

    JEAN. - L'église Saint-Mengold possède un marbre du célèbre Delcour «La vie et la mort». L'hôtel de ville de 1766 du style Louis XV, possède un cachet tout particulier.

    JACQUES. - Le pont doit être ancien ?

    JEAN. - Construit en 1294, il fut détruit par les français en 1693 et rétabli en 1714. Des centaines de pèlerins le passent chaque année pour se rendre au célèbre pèlerinage de la Sarthe, dont l'église est perchée depuis le XVIIe siècle au sommet d'une roche schisteuse.

    JACQUES. - Au bout de ce qu'on appelle encore l' «Ile», se dresse l'ancienne abbaye de Neufmoustier, actuellement maison de campagne et dans le jardin de laquelle s'élève la statue de Pierre l'Ermite qui y mourut le 8 juillet 1115, et en fut le premier prieur.

    JEAN. - Huy eut de très nombreuses tribulations dans les guerres du moyen-âge. On peut dire que ses annales sont à la fois sanglantes et glorieuses.

    JACQUES. - Le tunnel qui relie Huy à son faubourg Statte, nous montre à sa sortie, une gare de transit importante. Les lignes de Ciney et de Landen y aboutissent. Au-dessus des moulins de Statte, on aperçoit sur le rocher en promontoire, l'église et le cimetière du village.

    JEAN. - Vers Bas-Oha, après avoir traversé la Méhaigne, les sucreries de Wanze étendent leurs vastes installations.

    JACQUES. - Tu as sans doute remarqué qu'au milieu de la vallée qui conduit à Bas-Oha, se dresse une curieuse arête de rochers ? Sur leur cîme aérienne subsiste encore les ruines du château de Beaufort détruit en 1554.

    JEAN. - Java...

    JACQUES. - Pourquoi cette appellation, si loin de Sumatra ?

    Le tunnel entre Huy et Statte (vu de la gare de Huy).

    JEAN. - That is the question ! Mais nous gagnons Seilles dont le territoire, contrairement à ce que d'aucuns croient, est uniquement traversé par le chemin de fer, mais qui dans le vocable, a dû céder la place d'honneur à sa voisine, Andenne, plus importante.

    JACQUES. - C'est la limite des provinces de Liège et de Namur ; tandis que Seilles sur la rive gauche de la Meuse est le dernier point de la province de Liège. Andenne reliée à son vis-à-vis par un pont sur le fleuve, est la première bourgade de la province de Namur.

    JEAN. - C'est juste. Seilles possède un coquet château flanqué de tours. Andenne, comme sa sœur siamoise d'ailleurs, possède ses carrières. On y extrait la terre plastique. (la crawe !) et le sable.

    JACQUES. - Elle a de plus des ateliers de construction, fonderies de fer, fabriques de faïence, de porcelaine, de pipes et de briques réfractaires.

    JEAN. - Tu oublies la papeterie que John Cockerill y fonda. Au point de vue monumental, cette ville possède la curieuse église de Sainte Begge de style renaissance à façade d'ordonnance ionique. On y admire la châsse de Sainte Begge, fille de Pépin de Landen.

    JACQUES. - La ville eut énormément à souffrir des hordes allemandes en 1914. Ces atrocités me remémorent un épisode ancien, connu sous le nom de «Guerre de la Vache». Tuerie qui dura deux ans, causa la mort de 15.000 hommes et valut les plus terribles désastres à quatre principautés. Un paysan avait volé une vache sur le territoire du seigneur de Ciney. Celui-ci avait promis la vie sauve à l'auteur du larcin, s'il restituait l'animal. Lorsque le voleur vint ramener la vache, il fut pendu, malgré la promesse formelle qui lui avait été faite. Comme le paysan n'était pas sous la juridiction de Jean d'Halloy, grand bailli de Condroz et mayeur de Ciney, mais bien sous celle du seigneur de Gosnes, une guerre désastreuse se déclancha entre les intéressés et leurs alliés, sous ce prétexte on ne peut plus futile.

    JEAN. - On n'y allait pas avec le dos de la cuillère à ce temps-là ! Les beaux rochers rouges de Sclaigneaux, en partie corrodés par les émanations des usines à plomb et à zinc, nous apparaissent ensuite.

    JACQUES. - Sclaigneaux qui est un hameau de Vezin possède des carrières d'oligiste. Tiens ! en parlant de cette localité, c'est paraît-il un des patelins qui fournit le plus de réformés lors de l'incorporation.

    JEAN. - Parce que...

    JACQUES. - ... les hommes ne sont pas plus forts que les rochers de Sclaigneaux dont je te disais tout à l'heure qu'ils étaient en partie corrodés par les émanations délétères des fabriques du voisinage. Alors...

    Paysage de la vallée de la Meuse au km. 44, entre Andenne et Sclaigneaux.

    JEAN. - Encore des carrières et c'est Namêche. Dans l'église, on voit la dalle tumulaire de Mésilinde de Hierges «de la lignée des rois de Jérusalem».

    JACQUES. - Cette bourgade fut, en 1833, dévastée avec une grande violence par le choléra (500 morts sur 725 habitants). A cette occasion, on a élevé, en l'honneur de Saint Roch, une chapelle dont la devise contraste singulièrement avec les désastres essuyés. Celle-ci est ainsi conçue : «Saint Roch, Vous avez éloigné les maux de cette paroisse !». Ce sont les 225 rescapés qui parlent !

    JEAN. - Il y a aussi le «Trou des Nutons» où se réunissaient, dit la légende, de petits êtres trapus, noirs et velus, espèce de gnomes bienveillants, chargés de venir en aide aux pauvres.

    JACQUES. - Les hauts-fourneaux d'Hainiau maintenant disparus sont remplacés par des exploitations de dolomies.

    JEAN. - Ah ! Voilà Marche-les-Dames, le pays de la féerie...

    JACQUES. - Des fées et des types charmants !

    JEAN. - Tout le monde connaît les beaux rochers devenus propriété nationale et ainsi sauvés de la destruction. Leurs flancs grisâtres bordent la route, leurs crêtes escarpées et sauvages s'élèvent orgueilleusement dans les airs.

    JACQUES. - Le lierre qui tapisse ce bloc énorme est célèbre à la ronde.

    JEAN. - Marche-les-Dames qui jusqu'au XIXe siècle s'appelait Marche-sur-Meuse est un des joyaux de la vallée Mosane.

    JACQUES. - La fabrique de naphtaline, l'exploitation de dolomies et les aciéries en font aussi un pays industrieux. Connais-tu la raison de la modification survenue dans l'appellation de cette bourgade ?

    JEAN. - L'abbaye dont les restes subsistent encore près de l'église paroissiale, (style ogival du XIVe siècle) a porté seule d'abord, le nom de Marche-les-Dames : les épouses des seigneurs namurois partis aux croisades au Xlle siècle se réunirent au Val Notre-Dame. Ces réclusionnaires volontaires y fondèrent l'abbaye qui par suite de sa situation sur la «marche» (frontière) des principautés de Liège et de Namur et de la présence des «Dames» qui y habitèrent pris le nom de Marche-les-Dames.

    JACQUES. - Le château blanc à l'italienne, qui avant la guerre était situé à proximité de la voie, a été dynamité en 1914 pour des raisons stratégiques. La reconstruction en manoir féodal à l'air rogue, décèle le caractère et la nationalité de ses anciens propriétaires.

    Le château de Marche-les-Dames.

    JEAN. - A 11 mètres au-dessus du niveau de la Meuse, on a découvert dans les rochers dolomitiques, une caverne de 13 mètres de profondeur sur 6 mètres de haut et 4 mètres de large. Elle est très sèche et bien éclairée. On y a recueilli de nombreux vestiges de l'âge néolithique.

    JACQUES. - Les régionaux faillirent y passer aussi à l'état de «vestiges» quand, en 1914, les allemands allumèrent à l'entrée de la caverne de grands feux de paille afin d'y asphyxier les malheureux qui s'y étaient réfugiés. Heureusement, un départ précipité des «hordes», sauva la situation et les intéressés.

    JEAN. - Sur la rive droite de la Meuse, en face de Marche-les-Dames, se dresse, au milieu d'un parc aux frais ombrages, le château de Brumagne à l'allure reposante et sympathique.

    JACQUES. - Nous nous sommes attardés dans ce coin perdu. Toujours dans la vallée et en direction de Namur, voici Beez à l'appellation chevrotante. Regarde ses moulins, ses carrières, ses fours à chaux, son église romane, son château et ses villas paresseusement assises au bord du fleuve.

    JEAN. - Sais-tu qu'en 1695, Beez avait son pont sur la Meuse, pont jeté par des armées assiégeant Namur.

    JACQUES. - Il est malheureusement «Kapout», sinon comme il servirait au Nord-Belge pour le raccordement de ses deux sections Liège-Givet, sans s'engager dans la «nasse» de Namur.

    JEAN. - Namur, où nous arrivons. Halte ! Buffet, 5 minutes.

    La vallée de la Meuse à Marche-les-Dames.

    JACQUES. - Evidemment ! ! !

    ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...

    JEAN. - Non mon vieux, trois byhrr-citron, c'est assez. Nous n'avons pas de temps à perdre. Allons plutôt faire visite à la citadelle.

    JACQUES. - Ouf ! 100 mètres au-dessus du niveau de la Meuse, heureusement que l'on peut emprunter le tramway.

    JEAN. - Tu ne regretteras certainement pas cette merveilleuse promenade d'où l'on découvre un panorama vraiment unique en Belgique. Bâtie en 1817 sur les ruines de l'ancien château des Comtes de Namur, cette forteresse domine la ville de sa masse blanche.

    JACQUES. - N'est-ce pas la cathédrale là-bas ?

    JEAN. - Si, l'église Saint-Aubain, plusieurs fois démolie, avec sa façade aux 20 colonnes corinthiennes en granit, les statues du Christ et des quatre évangélistes qui, avec des gestes typiques, ont l'air de se raconter une histoire savoureuse.

    JACQUES. - C'est là qu'en 1578, furent célébrées les funérailles de don Juan d'Autriche, fils naturel de Charles-Quint.

    JEAN. - On y admire de très belles choses, telles les statues de Saint-Pierre et de Saint-Paul en marbre de Carrare, provenant de l'ancienne abbaye des Prémontrés à Floreffe. Un crucifix attribué à Van Dyck et d'autres toiles de l'Ecole de Rubens.

    JACQUES. - Et cette autre ?

    JEAN. - L'église Saint-Loup du XVIIe siècle construite par les Jésuites.

    JACQUES. - C'est un magnifique temple.

    JEAN. - Les douze colonnes doriques en marbre rouge, au soubassement de marbre noir ou bleu belge sont très belles. Le chœur contient des tables en porphyre, le banc de communion et les dix confessionnaux en chêne sculpté sont de réelles œuvres d'art.

    «Le Train Economat Liège-Givet» et les rochers de Marche-les-Dames.

    JACQUES. - Que d'églises ! On dirait quasi qu'on ne trouve des manifestations de l'art que dans les temples.

    JEAN. - Ta remarque est fondée. Ces lieux de recueillement sont, en effet, presque seuls à posséder les trésors inestimables dus au ciseau et au pinceau des artistes qui ont illustré les siècles précédents.

    JACQUES. - D'après toi, quelle est la raison de cet accaparement ?

    JEAN. - Avec la diffusion du christianisme, l'art de sculpter et de peindre, jusqu'alors réfugié dans l'obscurité des catacombes, s'épanouit, régénéré par une incommensurable force mystique. Il se passionne pour l'émouvante histoire de la passion qui envahissait l'humanité toute entière. C'est alors qu'apparaissent : la figure souffrante du sauveur crucifié, la Vierge souriante couvant d'un regard énamouré l'enfant divin et toutes les douces madones, que certains visionnaires peignaient même à genoux.

    JACQUES. - Ces hallucinations engendraient des productions géniales.

    JEAN. - L'idée morale et pieuse, soucieuse également de la beauté humaine, exalta charnellement la sainte Famille, les disciples, les vierges, les saints, les bambins angéliques et les mères virginisées que nous avons tant de plaisir à contempler maintenant.

    JACQUES. - La foi seule n'a pas produit tous ces chefs-d'œuvre. Des auteurs païens ont certes contribué à embellir les églises. Celles-ci disposant d'immenses richesses pouvaient se payer le luxe de commander aux artisans de belles et grandes fresques.

    NAMUR (Vive Namur !...)

    JEAN. - L'hôtel de ville de 1828 fut incendié par l'ennemi en 1914 et n'est pas reconstruit.

    JACQUES. - Là-bas, la tour du beffroi du XIe siècle (couronnement du XVe).

    JEAN. - Le vieux pont de Jambes et ses six arches qui relie cette bourgade à Namur.

    JACQUES. - En somme Namur souvent ruinée par les guerres, conserve peu de monuments antiques.

    JEAN. - Longtemps considérée comme une position stratégique importante elle a subi des sièges restés fameux dans l'histoire.

    JACQUES. - N'empêche qu'elle est maintenant une ville très commerçante. Sa coutellerie lui vaut une renommée solide.

    JEAN. - Aussi ses tabacs, sa vannerie, son commerce de fruits et légumes ainsi que de nombreuses industries, la classent parmi les villes d'affaires (vive Nameur po tot...).

    JACQUES. - Séparé de Namur par la Meuse, Jambes possède ses usines.

    JEAN. - On y fabrique de la dynamite, du noir de fumée, du bitume pour toitures et des confitures.

    JACQUES. - Son usine de ponts métalliques est surtout à mentionner.

    JEAN. - L'église est de 1750. Les restes du vieux Géronsart rappellent un épisode de la prise de Namur par Louis XIV.

    JACQUES. - Lequel ?

    JEAN. - C'est dans cette retraite que le marquis de Boufflers établit son Quartier-Général en 1692. Permets-moi de rappeler, en passant, à ton souvenir, le fameux critique Boileau qui composa sur ce sujet, une ode à la façon de Pindare. Poésie lyrique destinée à servir de modèle classique et qui souleva tant de controverses littéraires.

    JACQUES. - Racine, le grand tragique, peintre sublime des passions humaines, en même temps historiographe du Roi-Soleil assistait, sans doute, à cet événement ?

    JEAN. - Peut-être. Continuons, vois-tu se profiler les énormes rochers de Dave. Sur leur crête, une petite tourelle marque aujourd'hui la place qu'occupait jadis le manoir des puissants seigneurs de Dave.

    JACQUES. - Le château actuel au bord du fleuve succède à bien d'autres qui ont occupé le même emplacement et ont disparu successivement, saccagés, pillés, brûlés au cours des guerres de l'époque moyenâgeuse.

    JEAN. - Il fut bâti par feu le Duc Fernand Nunez. Une superbe forêt de 500 hectares de parc entièrement clos de murs ou de palissades en font une idéale propriété.

    JACQUES. - La terre de Dave pouvait passer, jadis, pour la plus considérable de la province de Namur tant par ses revenus que par ses droits honorifiques.

    JEAN. - C'est peut-être en souvenir de cela qu'en 1914, les descendants des Huns infligèrent au petit fort triangulaire de Dave, une grêle d'environ 750 obus.

    JACQUES. - Des carrières de marbre, pierres à chaux, de taille, à paver, des fabriques de ciment et fours à chaux, nous montrent Lustin et son industriel hameau : Tailfer.

    JEAN. - Les rochers de Néviaux et les gorges de Frênes avec leurs grottes appelées «Grande Eglise» sont très curieux.

    JACQUES. - En 1870, lors de la construction de l'écluse on a découvert les vestiges d'une forge primitive, qui est le plus antique appareil de ce genre connu en Belgique.

    JEAN. - En face, Profondeville et son «Trou d'Haquin», superbe site bien connu qui représente en un important «chantoir», un pittoresque ravin boisé, considéré comme un des plus remarquables et des plus curieux de la vallée de la Meuse.

    JACQUES. - Si Lustin a des carrières de marbre, à Godinne on fabrique des lames pour le sciage des marbres.

    JEAN. - De loin, l'église paraît appartenir au même ensemble de construction que le château-ferme dont le pied est baigné par le fleuve. Le collège que l'on aperçoit du train et récemment terminé, attire de nombreux étudiants dans ce village.

    JACQUES. - Un peu d'histoire : au XVIIe siècle, Godinne (y compris Rivière et Mont) était divisé entre les deux familles de Waha et d'Harscamp, qui adjugeaient la pêche et nommaient alternativement la cour de justice.

    JEAN. - Féodalité ! Situé entre deux montagnes à l'entrée du vallon du Bocq, Yvoir possède des carrières de pavés en grès et de pierres à chaux.

    JACQUES. - Connue anciennement sous le nom d'Yvoy, cette localité existait déjà, paraît-il, du temps des Gaulois-Germains. En 1562, ses fortifications furent rasées par les armées du Roi de France.

    JEAN. - Plusieurs châteaux, parmi lesquels, l'un porte le millésime de 1679.

    JACQUES. - Non loin d'Yvoir, près de la ferme Venatte, existait encore il n'y a pas longtemps, une fontaine intermittente, dont les eaux montaient régulièrement de 7 en 7 minutes.

    Vue d’Yvoir du haut des Rochers.

    JEAN. - C'était une curiosité. On ne s'explique pas sa disparition.

    JACQUES. - Yvoir devait sans doute, en 1914, partager le sort des communes environnantes, mais il eut la chance inespérée de ne pas tant souffrir.

    JEAN. - A signaler aussi non loin de là, la jolie vue dont on jouit du haut des rochers de Champalle et les beaux rochers de Fidevoye.

    JACQUES. - Encore et toujours des carrières de marbre, de pierres de taille, de pavés en grès, de pierres à chaux, de sable.

    JEAN. - C'est Dinant renommé pour sa chaudronnerie fine dénommée «Dinanderie», ses pains d'épices et couques dits «de Dinant». On y fabrique aussi les réputés tissus de mérinos.

    JACQUES. - Au bord de la Meuse, le rocher Bayard que «les faiseurs de tableaux» évoquent régulièrement dans toute image de Dinant qui se respecte.

    JEAN. - La légende veut que le cheval «Bayard » des 4 fils Aimon l'a «mis de côté» pour se frayer passage. Fameux «canasson» qui tira ses maîtres d'une foule de situations périlleuses.

    JACQUES. - La réalité n'est pas moins attrayante. Lieu de villégiatura très connu, Dinant possède en face de son pont sur le fleuve, la magnifique collégiale gothique Notre-Dame, que les envahisseurs n'épargnèrent guère en 1914 : son clocher fut rasé.

    JEAN. - Sur l'énorme masse rocheuse de 80 mètres, coupée à pic, qui domine l'église, est bâtie l'ancienne citadelle. Construite en 1530 par Erard de la Marck, 39e évêque de Liège, elle fut démantelée en 1690 par les français.

    Dinant.

    Réparée en 1818, par le Gouvernement des Pays-Bas, elle est depuis longtemps déclassée. On y accède du côté de la vallée par un escalier de 408 marches.

    JACQUES. - En 1914, triste souvenir, des fantassins français acculés dans une de ses galeries en cul de sac, s'y firent héroïquement tuer.

    JEAN. - Elle fut d'ailleurs plusieurs fois détruite et réédifiée. En 1040, il y avait déjà eu un château-fort construit, mais il fut rasé en 1466 par Philippe le Bon, lors du mémorable sac de la ville.

    JACQUES. - En 1904, au cours de l'établissement d'une ligne vicinale, on découvrit une grotte «La Merveilleuse», une des plus belles après celles de Han.

    JEAN. - L'étrange grotte de Montfat creusée dans un étroit promontoire mérite que les touristes lui fassent visite.

    JACQUES. - A propos du royaume des taupes, la cité des «copères» possède encore un curieux ruisseau qui coulait jadis dans le vallon de Sorinne pour se jeter dans la Meuse. Maintenant, il s'évanouit par de multiples fissures pour reparaître par plusieurs sources, au pied de la superbe falaise rocheuse qui domine la ville.

    JEAN. - Toutes curiosités vraiment trop peu connues.

    JACQUES. - Sur une des places de la ville, une des sources sourd sous le nom de «Fontaine Patenier», parce que le monument d'où elle jaillit supporte la statue de Patenier, peintre dinantais.

    JEAN. - L'origine de Dinant a une certaine analogie avec celle de Liège.

    JACQUES. - Comment cela ?

    JEAN. - Tout comme Monulphe le fit sur les bords de la Légia, Saint Materne, au IVe siècle, vint y prêcher l'évangile et se hâta de consacrer un petit oratoire à la Vierge, au pied du rocher : ce fut l'embryon de la ville future.

    Waulsort.

    JACQUES. - Encore une malheureuse ville. Son histoire qui fut archi-tourmentée, n'a cependant pas eu de plus terribles épisodes que la tragédie que cette infortunée cité vécut en 1914, avec les effroyables atrocités des «hordes déchaînées».

    JEAN. - Waulsort avec ses hôtels pour gens «high life», est un centre de villégiature très connu. Son origine est-elle très ancienne ?

    JACQUES. - Son château qui dépendait de la célèbre abbaye de Waulsort fondée en 969, fut incendié et reconstruit plusieurs fois. Maints grands guerriers le démantelèrent.

    JEAN. - C'est au château de Freye que fut signé le 25 octobre 1675, le fameux traité de commerce entre la France et l'Espagne.

    JACQUES. - Du haut de cette demeure seigneuriale, on admire au milieu de collines boisées le double coude que fait la Meuse en traversant la contrée.

    JEAN. - Tu oublies de parler du panorama enchanteur que l'on peut admirer du château de Waulsort.

    JACQUES. - En 1819, on a découvert une grotte de 8 salles, reliées entre elles par des corridors naturels, vraisemblablement creusés par la Meuse à une époque très reculée. Elle contient des stalactites de la plus riche architecture. Les débris qui y subsistaient ont permis de définir l'époque du mamouth.

    JEAN. - Dans l'histoire, Waulsort fut presque toujours assujetti aux mêmes péripéties effroyables que Dinant.

    JACQUES. - Hastière, deux villages : Hastière-Lavaux et Hastière-par-Delà, reliés entre eux par le pont sur la Meuse.

    JEAN. - Le premier possède le château de Thylerre et deux cavernes au rocher de Tahaux, sur la route d'Anthée, au-delà du ruisseau de Féron.

    JACQUES. - On a retrouvé des vestiges de l'âge préhistorique de la pierre.

    JEAN. - C'est en l'an 1300 qu'eut lieu la séparation de Hastière en Hastière-Lavaux (ou la Vaux) et Hastière-par-Delà.

    JACQUES. - Hastière-par-Delà possède une intéressante église au point de vue historique et archéologique. Elle date de 1033, et est de style roman, sauf le chœur gothique qui date de 1264.

    JEAN. - C'est le reste d'un ancien et célèbre prieuré de l'ordre de Saint Benoît dont la fondation remonte au XIIe siècle.

    JACQUES. - Au milieu de ce temple, se trouve une crypte de laquelle on a retiré, il y a une trentaine d'années, des sarcophages anciens.

    JEAN. - Cette église est une des rares où le prêtre dit la messe face aux fidèles. Presque adossé à l'église, le castel de l'Abbaye complète ce cadre rustique.

    JACQUES. - Vois-tu, là-bas, le Château des Six-Monts.

    JEAN. - Six-Monts !

    JACQUES. - Son propriétaire s'appelle Simon.

    JEAN. - Compris.

    JACQUES. - Dans la direction d'Heer-Agimont admirons la merveilleuse vallée de l'Hermeton où coule capricieusement le ruisseau du même nom.

    JEAN. - Encore deux bourgades : Heer et Agimont. On y admire le beau château d'Agimont.

    JACQUES. - Rebâti en 1880 par la famille Puissant d'Agimont, ce superbe manoir avait été acheté par Charles-Quint en 1545. Détruit en 1554, par les troupes de Henri, roi de France, il avait alors sous sa dépendance, toutes les résidences féodales des environs.

    JEAN. - Lors de sa reconstruction, on à laissé subsister les restes d'une vieille tour ronde.

    JACQUES. - Givet ! ! !... - Qu'est-ce qu'on peut vous servir, m'sieur ?... - Un picon citron, et toi Jean ?...

    Givet.

    Alors, un vieux marc et un picon, patron. (Jacques qui a poussé un soupir de satisfaction en voyant devant lui le brun liquide, y ajoute délicatement un morceau de glace et avec l'eau de Seltz, comble aux trois-quarts de sa capacité le verre. Jean le regarde faire, puis, d'un accord tacite, ils « s'expédient »... la chose...).

    JEAN (après un claquement de langue significatif). - C'est meilleur qu'un verjus.

    JACQUES. - Tu parles !... Avec de pareils ingrédients, on comprend que la France soit le plus beau pays du monde.

    JEAN. - Que les spiritueux te rendent loquace i

    JACQUES. - Givet serait un désert qu'il aurait quand même un grand mérite : recevoir comme pas un le S.A.N.B.

    JEAN. - C'est vrai, les réceptions qui nous y sont faites montrent bien l'estime qu'on nous porte.

    JACQUES. - Les voyageurs des trains de plaisir apprécient hautement, eux aussi, les délices que leur réserve cette première ville française.

    JEAN. - Givet, dont la vieille ville est massée sous le fort de Charlemont, avait, en 1914, une très forte garnison.

    JACQUES. - Forte pour le nombre d'habitants !

    JEAN. - Bien entendu. Cette garnison favorisait son commerce et donnait à la petite cité l'entrain et la vie qu'elle n'a plus, son fort étant désaffecté.

    JACQUES. - Ses usines de soie artificielle commencent heureusement à la sortir de sa torpeur. Bientôt, espérons-le, cette période de stagnation forcée ne subsistera plus qu'à l'état de souvenir.

    JEAN. - Nous avons «tourné» le principal épisode de notre film, la pellicule aura peut-être des défauts, mais nous nous consolerons en pensant que notre appareil de prise de vues avait des «ratés».

    Erquelines (vue prise en avion).

    ERQUELINES A CHARLEROI

    JACQUES. - Délaissant la Meuse et sa pittoresque vallée, nous allons maintenant entrer dans le pays noir où, se trouve, comme le disait Madame Andrée Viollis dans l' «Europe Nouvelle», «le dur, le puissant royaume de la métallurgie belge avec ses régiments de cheminées portant toutes sur l'oreille leur plumet de fumée jaune, ses tours de métal bleu, crachant nuit et jour des flammes, ses grues gigantesques aux bras dressés et ses dentelles de fer, tendues, sur la face du ciel, aussi noire qu'est blanche la dentelle de Bruges».

    JEAN. - D'accord, mais voyons d'abord Erquelines et sa gare de passage au trafic très chargé où de nombreux transitaires exercent leur métier lucratif. Son sol renferme du sable et du marbre ; Solre-sur-Sambre et son château-fort du XIIIe siècle, ses carrières à marbre et à pierres à bâtir, ses fours à chaux, forges, fonderie, meunerie et sucrerie.

    JACQUES. - Cette dernière localité est très connue par la gent colombophile.

    JEAN. - Labuissière et les ruines du château dit Montellano, du nom des derniers seigneurs, il est aussi dénommé château César ; une usine importante exploitant le marbre y est établie, on y trouve aussi les pierres à bâtir.

    JACQUES. - Tout cela procure évidemment des envois au chemin de fer.

    JEAN. - Fontaine-Valmont qui jadis fit partie de la principauté de Liège, possède des carrières de marbre très renommé, appelé Sainte-Anne, moellons, pierres de taille, fabrique de sucre, fours à chaux.

    JACQUES. - La fabrication du sucre doit nécessiter de nombreux arrivages de betteraves qui rapportent au railway.

    JEAN. - Lobbes, autrefois, Lobbes-la-Noble, localité célèbre dans l'histoire tourmentée du Pays de Liège. Le terminus du voyage de la «Belle garce» et d'Alain est joyeusement conté dans «Les Joyaux de la Mitre».

    Lobbes.

    JACQUES. - En effet, permets-moi de faire étalage de mon érudition, toute livresque d'ailleurs. J'ai lu (note 149) que les amateurs de franche-lippée avaient surnommé ce lieu de délices où s'ébaudissaient la joyeuse et nombreuse compagnie des moines de l'endroit : «la Vallée d'Or»

    JEAN. - L'évêque Rathère du diocèse de Liège (953) tenta, sans succès, de mettre ordre à ces dérèglements et ses satires acerbes sont restées célèbres. Il mourut à Namur en 974, mais il avait, depuis longtemps déjà déposé la crosse et la mitre. Si je t'en parle, c'est uniquement parce que ce prélat fut enterré à Lobbes et qu'il avait composé lui-même son épitaphe : «Conculcate, pedes hominum, sal infatuatum ».

    JACQUES. - Tu ferais mieux de m'en donner l'exégèse.

    JEAN. - La voici : «Pieds des hommes, foulez le sel affadi».

    JACQUES. - Me voilà bien avancé. Tu assaisonnes tes discours maintenant !

    JEAN. - Mais non, cher ami, ce n'est pas bien compliqué, il te suffirait de te rappeler que dans le «Nouveau Testament» (note 150), il est dit quelque part, que le sel affadi n'est plus bon qu'à être rejeté à la mer.

    JACQUES. - J'y suis. Par extension on a voulu dire que les hommes dont les vertus, les qualités morales, étaient, comme celles des ouailles de ce prélat, passées à l'état de souvenir, devraient être écartés comme dangereux.

    JEAN. - Oui et ayant commencé la répression, l'évêque Rathère invitait ceux qui viendraient après lui, à continuer son œuvre.

    JACQUES. - Assez d'histoires et d'histoire, revenons-en aux localités côtoyées.

    JEAN. - A Lobbes encore, des carrières, fabrique de chicorée et petites clouteries.

    JACQUES. - Tu oublies l'église romane et la Portelette que l'on aperçoit du chemin de fer.

    JEAN. - Je les ignorais. Thuin, pittoresque localité dont la moitié (ville haute), se trouve perchée comme un nid d'aigles sur un rocher qui domine les environs. Les voyageurs des «Rapides» admirent la tour penchée de son Beffroi, illusion d'optique dont ils ne se rendent pas compte et qui crée une renommée inattendue à la belle petite ville.

    JACQUES. - Ah ! la curieuse ville aux jardins suspendus de la Pierraille.

    JEAN. - Carrières, tanneries, corroiries, savonneries, chantier de construction de bateaux, fonderies de fer, laminoirs, charbonnages. Mais voilà les usines d'Hourpes de la malheureuse Société qui eut dû méditer les proverbes : «Rien ne sert de courir, il faut partir à point» et aussi «qui trop embrasse mal étreint» - douloureuse, regrettable faillite d'une belle entreprise.

    Mais voici le trou d'aine bordé de la longue colline couverte du bois Navez et au passage sur la Sambre, la brusque apparition d'un tableau merveilleux : Au tournant d'un méandre de la Rivière, encadrée de côtes verdoyantes, parmi les vergers et les fleurs, les ruines somptueuses de la belle Abbaye d'Aulne ou d'Alne fondée par Saint Landolin et incendiée lors de la Révolution Française.

    «Abbaye d’Aulne».

    Brutalement l'obscurité du tunnel bruyant paraît vous transporter aux antres de l'enfer, pour faire chèrement payer le coup d'œil dont le voyageur a joui. Puis c'est Landelies et sa jolie église ogivale du XVIe siècle, centre agricole, carrières, pierres, castines, calcaire blanc, fours à chaux, chantier pour la construction des bateaux.

    JACQUES. - Lieu de pèlerinage au sentier «Ride cul», dont il est fait mention dans le «Joyau de la Mitre», œuvre admirable de notre compatriote émigré, Maurice des Ombiaux, Roi des Gastronomes.

    JEAN. - Marchienne-au-Pont, nous entrons dans le pays des Cyclopes, les grands ateliers de la Compagnie, à Saint-Martin, puis les charbonnages, chaudronneries, boulonneries, sucreries, meuneries, brasseries, clouteries, fonderies de fer, de cuivre, tréfileries, poêleries, aciéries, hauts-fourneaux, laminoirs, bois. La localité possède aussi son château qui appartint à la famille Cartier de Liège.

    JACQUES. - Et gros centre du S.A.N.B. ! mais tu ne rates pas une occasion de mentionner le nom de cette dernière ville. Aurais-tu des affinités avec Liège et ses liégeois...es ?

    JEAN. - Peut-être bien, ton reproche est justifié, mais qui n'a pas son petit travers. J'aime la Cité Ardente et tout ce qui a rapport à elle m'intéresse : je ne puis m'empêcher de tenter de faire partager mon amour pour elle. Pour la ville, s'entend !

    JACQUES. - C'est curieux, ce que ces noms évoquent de souvenirs ! En outre, il est très intéressant de connaître les productions, comme disait jadis le «maître d'école», des endroits, tant au point de vue connaissances personnelles que pour renseigner éventuellement le voyageur ou le client.

    «Saint-Martin».

    JEAN. - Arrivons enfin à Charleroi, ville bâtie en amphithéâtre sur le penchant de la colline et dont le sol est d'une richesse pour ainsi dire inépuisable en charbon. On y a, paraît-il, découvert 70 couches de charbon fossile.

    JACQUES. - C'est la justification de l'appellation «bassin de Charleroi».

    JEAN. - C'est le pays du charbon, du fer et du verre. Nombreuses sont aussi les usines, telles que fonderies, chaudronneries, boulonneries, clouteries, manufactures de glaces, produits réfractaires, etc...

    JACQUES. - Tu ne dis pas «soieries, fabriques de tissus», comme le fit le roi d'Espagne qui, lors de sa visite, se trompant de discours avait confondu avec une autre ville belge !

    JEAN. - Tous ces établissements ont contribué à en faire une ville industrielle d'une importance considérable. Il en découle évidemment que de nombreux transports nous sont acquis. Jadis c'était un village très modeste du nom de Karnoit, Charnoy.

    JACQUES. - Je ne puis m'empêcher de te signaler le violent contraste qui m’a singulièrement surpris, lors de la première visite que je fis à la capitale des carolorégiens : Je fus étonné, après avoir parcouru une région d'aspect plutôt sombre, de rencontrer en débarquant de jolis coins de verdure, de maisons blanches et des magasins luxueux ; cela était tellement différent du décor que je venais de traverser.

    JEAN. - Tu ne devais pas être stupéfié par ce que tu appelles le luxe ; Charleroi est le centre des affaires commerciales et industrielles du bassin et le lieu de réunion des puissantes sociétés métallurgiques environnantes. C'est une véritable grande ville, elle se tient à l'avant-garde du Pays.

    MONS A QUEVY

    JACQUES. - Cette région apporte également sa contribution à notre trafic général.

    JEAN. - J'te crois ! Mons et son riche bassin houiller, ses fabriques de machines, de chocolat, papier, épingles, porcelaines, tabacs, sucres et ses petites industries diverses amènent naturellement des envois et des voyageurs.

    Le Beffroi de Mons.

    JACQUES. - Et aussi des arrivages et des visiteurs. La collégiale de Sainte-Waudru, inachevée comme beaucoup d'autres monuments de l'art religieux du moyen-âge, mérite qu'on lui fasse une visite. A voir aussi, l'hôtel de ville, le beffroi et ses curieuses sculptures, sans négliger la Tour du Val des Ecoliers et le singe de l'hôtel de ville. Les loustics aiment également faire admirer le profil de la statue du Roi, en face de la gare.

    JEAN. - Tu le connais le patelin.

    JACQUES. - Je !e confesse, je m'y suis rendu à plusieurs reprises, je voulais m'assurer si la queue du Doudou était aussi grande que le faisait ressortir le facétieux rapport d'un inspecteur, aujourd'hui disparu. Paix à ses cendres administratives.

    JEAN. - Cuesmes, petite localité éminemment industrielle ; carrières de pierres grises dites «Tuffeau», charbonnages du Levant de Flénu, couvrant plus de 3000 hectares et nécessitant l'emploi de milliers d'ouvriers et employés. En outre, il s'y trouve un vaste arsenal de la S.N.C.F.B.

    JACQUES. - Petite ligne bien située.

    JEAN. - Frameries, riche en produits minéralogiques : houille feuilletée, craie. Aussi des cokeries, des fours à chaux, des briqueteries, minoterie et autres établissements y prospèrent.

    JACQUES. - La Compagnie du Nord s'est empressée de se placer dans une situation favorable vis-à-vis du couchant de Mons.

    JEAN. - Quévy le Grand, sa vieille église datant de 1720, son château de Warelles, ses carrières de craie, sucrerie, est un centre d'agriculture qui, jadis dépendait de Quévy-le-Petit possédant quelques brasseries et meuneries. Trafic local peu important mais grande gare de passage où s'accomplissent les formalités douanières des nombreux envois de et vers le centre de la Belgique, la Hollande et la France.

    JACQUES. - C'est là que se trouve le château du Petit Cambrai.

    JEAN. - Castel du XVIe siècle. On y remarque, au bout de l'enclos, les terrassements effectués par les troupes du Duc de Villars qui assiégeait Mons et qui voulait ainsi empêcher l'eau d'aller remplir les fossés des fortifications de cette ville.

    JACQUES. - Voilà maintenant notre film «kaléidoscopique» terminé.

    JEAN. - Bravo !... Bravo !... Je t'enverrai du monde.

    AVERTISSEMENT

    JEAN. - J'attire tout spécialement ton attention sur ce que toutes les dispositions dont il sera fait état dans la longue et aride dissertation qui va suivre ne peuvent, en aucune façon, être considérées comme des références officielles.

    JACQUES. - Seuls, les innombrables instructions, conventions et tarifs publics par l'Administration constituent la Réglementation applicable.

    JEAN. - Tous ces commentaires ne sont exposés que pour mieux te faire pénétrer le sens, la cause et les effets du Règlement et de compléter ainsi ton instruction administrative.

    JACQUES. - Excellente idée, il est indéniable qu'en perfectionnant le rendement des agents, on améliore le prix de revient, par conséquent le bénéfice. Nos conditions de travail sont rendues plus productives, plus agréables et, partant, plus humaines.

    JEAN. - C'est incontestable. Chaque agent devrait posséder, indépendamment des connaissances approfondies sur sa spécialité, des notions générales relatives aux nombreuses parties de l'exploitation de façon à pouvoir au besoin, après les quelques tâtonnements inévitables, exécuter une autre besogne que celle qu'il effectue habituellement et ne pas entraver les opérations de ses collègues.

    JACQUES. - Comme tout s'enchaîne, il est indispensable que le travail en série s'accomplisse sans heurt. Si une partie du service est négligée toutes les autres s'en ressentent et ça ne «marche» plus.

    JEAN. - Dans le cas de perturbations ou d'accroissement subit du trafic, le personnel doit être très bien au courant afin de pouvoir parer à toute éventualité. Comment pourrait-il le faire si on ne lui a pas donné l'occasion de se documenter et de parfaire son bagage professionnel.

    JACQUES. - Les fonctionnaires et agents qui «mijotent» dans leurs petits services, méthodiquement réglés, manquent inconsciemment à leur devoir le plus impérieux en ne s'initiant pas et en n'initiant pas leurs collègues à toutes les subtilités du service.

    JEAN. - Hélas ! les lois, règlements, conventions, tarifs, instructions, prescriptions douanières, fiscales, sanitaires, prohibitives, etc... sont tellement nombreuses qu'il faudrait non pas des volumes mais une bibliothèque très spacieuse pour pouvoir les contenir et tout le monde ne peut pas être une encyclopédie vivante.

    JACQUES. - Rien que pour l'exploitation !... sans compter le service du mouvement auquel les agents participent.

    JEAN. - On conçoit que cette documentation que je n'hésite pas à qualifier de formidable fasse reculer les plus audacieux. Cependant si l'on voulait...

    JACQUES. - Un vade-mecum pour chaque partie, qui nous renseignerait sur la marche à suivre, nous donnerait des conseils, faciliterait singulièrement la besogne.

    JEAN. - Il existe, il est vrai, deux minuscules brochures : l'une intitulée «Notions élémentaires sur le service de factage, du pointage et sur la tenue des écritures du matériel» donnant oh ! ironie ! des indications sur la façon d'établir une «Caisse !», alors que l'autre opuscule «Règlement sur la Comptabilité des Gares» n'en souffle pas un mot.

    JACQUES. - Cela ne représente pas grand'chose !

    JEAN. - Je vais tenter de résumer, dans ses grandes lignes évidemment, les choses que l'on doit absolument savoir.

    JACQUES. - M'indiqueras-tu au moins où, le cas échéant, je pourrais approfondir les questions que tu as l'intention de débattre.

    JEAN. - Evidemment. Tu pourras, comme moi, consulter avec fruit les ouvrages suivants que tu trouveras à la bibliothèque du S.A.N.B. :

    JACQUES. - Je te remercie et n'en attendais pas moins de ta bienveillance habituelle.

    JEAN. - Je ne te parlerai que des dispositions essentielles, condensées.

    JACQUES. - Une simple analyse facilement assimilable, je l'espère.

    JEAN. - D'ailleurs, tu n'es pas un novice, ce n'est pas depuis hier que tu es entré au chemin de fer, tu as déjà vu... passer pas mal de locomotives...

    JACQUES. - Assurément. Puis, comme disait Voltaire «Le secret d'ennuyer est de tout dire».


    QUATRIEME PARTIE

    EXPLOITATION COMMERCIALE

    JACQUES. - Qu'entends-tu par exploitation commerciale ?

    JEAN. - Dans un chemin de fer, les services de la Voie, du Matériel et de la Traction ne sont que des moyens mis en œuvre pour atteindre le but qui est l'exploitation commerciale. C'est, si l'on veut, le point de vue objectif du chemin de fer.

    JACQUES. - Comment vas-tu disposer ton exposé ?

    JEAN. - C'est bien simple. Comme à toute chose il faut une règle, je commencerai par te donner un aperçu dos lois qui régissent les transports en général.

    JACQUES. - Ce n'est pas une codification que tu vas établir ?

    JEAN. - Me crois-tu donc, comme l'illustre Napoléon, capable d'édifier un code. Non, non,... je ne suis pas aussi présomptueux. Je veux simplement, par quelques éclaircissements, te faciliter la compréhension de textes nécessairement abstraits dans leur concision voulue.

    JACQUES. - Ensuite !...

    JEAN. - Nous parlerons des tarifs à marchandises et à voyageurs, de l'utilité des chemins de fer et des opérations effectuées par le personnel.

    JACQUES. - Pas en une fois, je suppose, ce serait légèrement indigeste !

    LOIS APPLICABLES AUX TRANSPORTS

    JEAN. - Avant d'aborder les lois proprement dites, il est absolument nécessaire que je te parle quelques instants du contrat. Il y en a plusieurs espèces, notamment le contrat léonin ou unilatéral, c'est-à-dire où toutes les obligations sont du même côté, et le contrat synallagmatique (bilatéral), imposant des sujétions à chacune des parties ; c'est particulièrement ce dernier qui nous intéresse. Nous avons déjà vu antérieurement ce que signifiait le contrat emphytéotique ou à longue durée.

    JACQUES. - Il y a aussi le contrat de mariage où nous avons bien plus de devoirs que de droits, il est au moins biscornu celui-là.

    JEAN. - Tu viens de le définir !... Pour en revenir à l'objet de notre entretien, dès que l'agent préposé au service de l'acceptation a apposé le timbre de l'Administration sur la lettre de voiture, le contrat entre l'expéditeur et le chemin de fer est conclu. Celui-ci s'engage à faire parvenir la marchandise à destination dans le délai réglementaire. L'expéditeur de son côté, s'oblige à se soumettre aux prescriptions faisant l'objet des tarifs et à payer les frais de transport et autres. Un contrat du même genre s'établit entre le voyageur et le railway, au moment où le premier a payé son billet.

    JACQUES. - Ainsi, chaque fois que j'ai délivré un ticket j'agissais contractuellement. Je t'avoue que je n'en savais rien. Tout comme le bourgeois gentilhomme de l'inégalable Molière qui, lorsqu'ânonant a, o, e, u, i... faisait de la phonétique sans le savoir, j'établissais un contrat sans m'en douter. Elle est bonne celle-là !

    JEAN. - La loi belge du 25 août 1891 sur le contrat de transport détermine quelles sont les obligations des parties contractantes. Je te ferai grâce des discussions savantes et interminables auxquelles a donné lieu chaque mot du texte de ladite loi. Je vais m'efforcer de te donner des précisions.

    JACQUES. - Mais, tu ne me dis pas où je puis la consulter ?

    JEAN. - Dans les premières pages du fascicule I des Conditions Réglementaires que tous les bureaux possèdent.

    JACQUES. - Est-elle la même pour les voyageurs et les marchandises ?

    JEAN. - Oui.

    JACQUES. - Applicable tant en service intérieur qu'en service mixte !

    JEAN. - Même en service international, pour les transports qui ne tombent pas sous l'application de la Convention de Berne.

    JACQUES. - La Convention de Berne ! ?...

    JEAN. - En un mot, je vais te dire ce que c'est, car nous en reparlerons plus longuement lorsque le moment sera venu. Cette Convention régit le transport des marchandises en trafic international.

    JACQUES. - Et pour les voyageurs ?

    JEAN. - Jusqu'à nouvel ordre, c'est le régime applicable sur le réseau du pays emprunté qui est observé. Prochainement, une convention internationale spéciale sera mise en vigueur.

    JACQUES. - Comme on tend à tout uniformiser ! C'est sans doute, pour se conformer à l'européanisme à la mode.

    JEAN. - Si nous passions à la loi sur le contrat de transport !

    Pendant la longue période qui va de l'établissement du premier chemin de fer en Belgique, 1835, jusqu'à 1891, les transports de marchandises étaient réglés par les dispositions du Code Civil et du Code de Commerce. Les travaux préparatoires de la loi actuelle durèrent pendant 27 ans.

    JACQUES. - 27 ans. Diable !... Si nous restions jamais aussi longtemps avant de répondre à une note de NIG.

    JEAN. - Le projet fut déposé en 1864 et soumis à diverses commissions qui en martyrisèrent le texte. Les nombreuses modifications qui survinrent dans la constitution du Gouvernement en retardèrent la présentation aux Chambres.

    JACQUES. - Les ministères tombaient aussi à ce temps-là ! Rien ne change tout de même.

    JEAN. - Après tous ces retards, enfin !... la loi fut sanctionnée, c'est-à-dire approuvée par le Roi et promulguée le 25 août 1891.

    JACQUES. - Promulguée. Qu'est-ce ?...

    JEAN. - La promulgation, c'est la proclamation solennelle de l'existence de la loi. A partir de ce moment, elle devient exécutoire.

    JACQUES. - Etait-il bien nécessaire de créer une loi spéciale ?

    JEAN. - Evidemment. L'ancienne législation avait été établie pour régler les transports effectués par les voituriers et les commissionnaires, auxquels il était permis de se livrer au libre jeu de la concurrence, tandis que le chemin de fer bénéficie en quelque sorte d'un monopole.

    JACQUES. - Un monopole !...

    JEAN. - Mais oui, c'est en somme un transporteur privilégié. Le client n'est pas autorisé à débattre les prix et conditions de transport. Il doit se plier aux conditions imposées et payer les taxes exigées. D'un autre côté le chemin de fer est tenu d'effectuer le transport...

    JACQUES. - Je comprends. Avec les entrepreneurs privés on pouvait discuter et se mettre d'accord sur une somme déterminée, un prix forfaitaire, quoi : le contrat de roulage dont nous avons parlé antérieurement. Tandis qu'avec les chemins de fer, c'est un prix fixe, le même pour tout le monde. C'est à prendre ou à laisser.

    JEAN. - C'est bien ça. Dans les conventions qui étaient ainsi conclues entre les clients et les entrepreneurs, la loi ne pouvait intervenir que pour homologuer la convention verbale. C'était, si tu veux, la consécration de l'usage.

    JACQUES. - Le chemin de fer, lui, ne laisse plus aucune liberté au public.

    JEAN. - Absolument aucune, le client n'est pas libre de choisir, de débattre le prix, il doit se soumettre aux exigences du chemin de fer. En échange, il n'est que juste qu'une loi vienne déterminer les obligations respectives des deux parties et édicter des prescriptions rigoureuses, draconiennes même, auxquelles est subordonnée la reconnaissance du privilège concédé au railway ;

    JACQUES. - Dans ces conditions, on conçoit qu'une loi était absolument nécessaire, afin d'empêcher que le chemin de fer n'agisse, comme les despotes, suivant son bon plaisir.

    JEAN. - En résumé, la loi s'inspire du bon sens, du droit naturel. Elle oblige le chemin de fer, en matière légale, à se conformer aux principes généraux et immuables du droit, auxquels les entrepreneurs n'étaient pas astreints à se soumettre.

    JACQUES. - Alors, la loi doit être divisée en deux parties : une concernant les transports en général et une seconde réservée spécialement aux transports par rails.

    JEAN. - Parfaitement. Les 10 premiers articles traitent des transports intérieurs, des personnes et des objets, sur terre et par eau douce, soit au moyen du train, du tram, de l'omnibus, du camion ou de la voiture, soit par chemin de fer vicinal et quel que soit le mode de traction (vapeur, électricité, animal, carburant) etc...

    JACQUES. - Le tramway aussi !...

    JEAN. - Oui, mais il est nécessaire d'établir une distinction, les trams sont considérés comme transporteurs libres alors que les chemins de fer de la S.N.C.F.B., le nôtre et tous les concédés sont des transporteurs privilégiés.

    JACQUES. - Tu disais que les transports par eau étaient également intéressés.

    JEAN. - A l'origine, il en était ainsi mais actuellement, ceux-ci sont réglés par le Code de Commerce qui s'inspire évidemment de la loi que nous discutons pour le moment.

    JACQUES. - Je te remercie. Il serait difficile de me donner plus de précisions.

    JEAN. - La seconde partie (art. 11 à 46) concerne d'une façon toute spéciale tout ce qui a rapport aux envois par fer.

    JACQUES. - Mais, permets-moi encore une question, j'en ai déjà tant posées. Tu ne dis mot des nouveaux moyens de locomotion, je veux parler des aéroplanes, aérobus, autos, autocars, autobus.

    JEAN. - Ces moyens de transport relèvent de la même loi (art. 1 à 10), ce ne sont que des transporteurs libres comme les tramways.

    JACQUES. - Je n'ai pas encore pensé à lire cette loi et encore moins à la méditer. Mais, je manquais de directive.

    JEAN. - Tu n'en as pas besoin et tu as eu grand tort. Cette loi renferme des stipulations très intéressantes et si tu l'approfondissais, tu constaterais immédiatement que les conditions réglementaires que tu appliques, par empirisme, ne sont que la mise en pratique des articles de la loi.

    JACQUES. - Tu as raison, c'est entendu..., mais les textes juridiques ne sont pas assez explicites. Malgré ma bonne volonté, je ne parviens pas aisément à assimiler ces matières. Ce serait, pour moi, un supplice que d'être obligé de les extérioriser.

    JEAN. - Tu admets tous ces règlements d'une façon axiomatique et tu les exécutes, ce qui est pis.

    JACQUES. - Allons... Allons... ne m'engu... pas, explique-moi plutôt ce que signifie ce nouveau terme à soixante-quinze !

    JEAN. - Je veux dire, comme des dogmes, quoi ! des choses évidentes par elles-mêmes, qu'il faut appliquer parce que c'est la règle et qu'on a toujours fait ainsi.

    JACQUES. - Dura lex, sed lex. Ha !... Ha !... Tu croyais que tu étais seul à posséder la langue de Virgile.

    JEAN. - On doit avoir plus d'initiative et tâcher de comprendre pour quelles raisons on procède de telle ou telle façon, plutôt que d'une autre. Chaque phrase, chaque mot même, pourrait donner lieu à de longues dissertations. Mais, je me bornerai à te donner quelques renseignements généraux.

    JACQUES. - C'est ça et je t'en suis d'avance très reconnaissant.

    JEAN. - L'article 1, nous dit que le contrat de transport se constate par tous moyens de droit. Le billet ou la lettre de voiture en est la preuve complète.

    JACQUES. - Si je rapproche cela, de ce que tu me disais tout à l'heure à propos des contrats, c'est parfaitement clair.

    JEAN. - En ce qui concerne la responsabilité, ce ne sont que les prescriptions générales du droit commun. Ainsi, on voit, à l'article 3, que le voiturier doit, sauf le cas fortuit ou de force majeure, rendre, les personnes et les objets, à destination, dans le délai convenu.

    JACQUES. - Application des Conditions Réglementaires purement et simplement.

    JEAN. - C'est d'après le texte de la loi qu'elles ont été établies. Je t'en faisais précisément la remarque, il y a quelques instants à peine.

    JACQUES. - C'est juste.

    JEAN. - De l'article 4, il résulte que, sauf stipulations contraires, en cas de retard, avarie, perte des objets transportés ou accidents occasionnés aux voyageurs, le transporteur est présumé fautif. Il ne peut se soustraire au paiement de l'indemnité demandée qu'en prouvant le cas de force majeure ou le cas fortuit.

    JACQUES. - Cas fortuit, cas de force majeure... Voilà deux fois que tu emploies ces expressions, fort peu compréhensibles pour moi, je te l'avoue franchement. Quelle différence fais-tu entre ces termes ?

    JEAN. - La loi ne dit mot à ce sujet. De l'avis de la jurisprudence, il ressort que la «force majeure» est un événement résultant du fait de l'homme, que sa vigilance ou sa prudence ne peuvent ni prévoir, ni empêcher.

    JACQUES. - La guerre civile par exemple !

    JEAN. - Oui. Le «cas fortuit» est un événement qui se produit inopinément, un effet du hasard.

    JACQUES. - Une crue subite de notre belle et parfois si méchante «Meuse» qui vient submerger une partie de la voie !

    JEAN. - Parfait. C'est un rapport de cause à effet bien plus subtil que tu ne le penses.

    JACQUES. - Explique-toi ?

    JEAN. - En ce qui concerne la cause, il est absolument indispensable que le cas fortuit ou le cas de force majeur n'ait pu être prévu, en aucune façon, il ne peut s'élever le moindre doute à ce sujet ; qu'il ne résulte point d'une imprévoyance, ni d'une négligence tant du personnel que de l'Administration. Il faut, dis-je, que l'événement ait un caractère de spontanéité. En outre, l'Administration doit avoir mis tout en œuvre pour empêcher les effets de se produire.

    JACQUES. - C'est au chemin de fer qu'il incombe au faire la preuve que sa responsabilité n'est nullement engagée !

    JEAN. - Oui. Il doit encore établir qu'il a été impuissant à éviter les effets.

    JACQUES. - Supposons qu'à la suite de pluies torrentielles, la voie soit interceptée, c'est un cas fortuit. Mais cette inondation perdurant, occasionne le fléchissement d'un pont ; le chemin de fer ayant pu prévoir cet effet et prendre les mesures nécessaires est resté passif ; le cas fortuit ne peut être admis.

    JEAN. - C'est bien ça. Tu es encore meilleur élève que je n'aurais cru.

    JACQUES (ironique). - Merci !

    JEAN. - Il n'y a vraiment pas de quoi.

    JACQUES. - Une autre hypothèse maintenant. Un déraillement a été causé par la rupture d'un bandage de roue. Il y a-t-il force majeure.

    JEAN. - Il y a cas fortuit, si la cassure ne révèle aucun défaut et si l'épaisseur du bandage est supérieure au minimum réglementaire.

    JACQUES. - Et si la cassure avait fait constater un vice quelconque ?

    JEAN. - Si le défaut ne pouvait être constaté lors des différentes épreuves de traction, de torsion, de résistance, de la qualité de l'acier, etc., que le service de réception du matériel doit faire subir aux bandages avant de les accepter, il y a force majeure. Dans le cas contraire, la responsabilité est engagée.

    JACQUES. - Assez sur ce chapitre. Continuons.

    JEAN. - Suivant l'article 6, le droit exclusif de disposer de la marchandise appartient à l'expéditeur seul.

    JACQUES. - Cela se conçoit, c'est pour éviter tout embarras par suite des instructions contradictoires qui pourraient être données par les expéditeurs ou les destinataires pendant que s'effectue le transport.

    JEAN. - Hormis le cas de réserves spéciales ou d'avaries occultes, la réception de l'envoi par le destinataire dégage entièrement la responsabilité du transporteur (art. 7).

    JACQUES. - Avaries occultes, qu'est-ce que cela signifie ?

    JEAN. - Avaries cachées, que l'examen superficiel ne peut faire découvrir immédiatement, manquant à l'intérieur d'un colis que rien ne pouvait déceler à première vue.

    JACQUES. - Tu veux dire un bris ou un vol qu'aucune trace extérieure ne pouvait révéler.

    JEAN. - Juste !...

    JACQUES. - Le client peut-il introduire une demande d'indemnité après coup, bien que la constatation n'ait pas été faite lors de la livraison de l'envoi.

    JEAN. - Absolument, mais c'est à lui qu'incombe alors la preuve de la faute ou de la soustraction. L'article 9 dit précisément dans quels délais les réclamations de ce genre peuvent être faites. En ce qui concerne les marchandises en services intérieur et mixte, il y a prescription, c'est-à-dire extinction du droit de réclamation, lorsque celle-ci est introduite après 6 mois révolus, 1 an en service international.

    JACQUES. - Et pour les voyageurs ?

    JEAN. - Un an.

    JACQUES. - Sans doute suffit-il d'adresser une simple réclamation pour qu'il soit fait droit à la demande ?

    JEAN. - Parfois, oui, mais je dois te faire remarquer que celle-ci n'est ni interruptive, ni suspensive de la prescription.

    JACQUES. - Comprends pas !

    JEAN. - Attends ! C'est-à-dire qu'elle n'interrompt ni ne suspend le délai de 6 mois ou 1 an, selon le cas.

    JACQUES. - Interruption et suspension : deux synonymes !...

    JEAN. - Pas du tout. L'interruption rompt la continuité. Elle a pour effet de rendre nul, le temps écoulé avant la réclamation introduite par un acte judiciaire.

    JACQUES. - Un acte judiciaire !...

    JEAN. - Parfaitement, toute demande, même écrite, adressée au chemin de fer n'a, juridiquement parlant, aucune valeur intrinsèque.

    JEAN. - La suspension, elle, arrête la prescription dans son cours, mais le temps qui s'est écoulé doit être pris en considération.

    JACQUES. - Pour concrétiser ta pensée, tu devrais prendre un nouvel exemple !

    JEAN. - Soit. En service international, la prescription étant d'un an, supposons que l'intéressé, après huit mois, introduise une réclamation écrite et qu'après une instruction de trois mois, l'Administration réponde que la demande est repoussée. La prescription a été suspendue pendant trois mois ; le client n'a plus que quatre mois pour agir.

    JACQUES. - Je suppose qu'on répare le dommage, dans l'hypothèse où, le délai étant échu, le destinataire adresse une demande d'indemnité alors qu'il est de toute évidence que le chemin est en faute ?

    JEAN. - Quand bien même celui-ci le voudrait, il ne pourrait renoncer à la prescription ; la loi l'interdisant formellement.

    JACQUES. - Pour quelles raisons ?

    JEAN. - Parce que nul ne peut déroger aux lois et que tous les usagers du chemin de fer doivent être placés sur le même pied d'égalité.

    JACQUES. - En effet, s'il n'en était pas ainsi, ce serait arbitraire. On pourrait faire ou ne pas faire état de la prescription, suivant qu'il s'agirait de tel ou tel client. Ordinairement, l'action au sujet d'une avarie ou d'un manquant survenu au cours d'un transport est introduite par le destinataire. Tu m'as cependant dit que celui-ci n'intervenait pas dans le contrat et que ce dernier était conclu entre le chemin de fer et l'expéditeur. Où le destinataire prend-t-il ce droit puisqu'il ne fait pas partie du contrat ?

    JACQUES. - Si cependant celui-ci répond, comme il est de règle d'accuser réception, en disant que la requête est soumise à un examen et que le résultat sera communiqué ultérieurement.

    JEAN. - Non plus, à moins que l'Administration ne fasse une offre d'indemnité, ce qui constituerait évidemment, une reconnaissance de la faute et substituerait ainsi la prescription trentenaire à celle de 6 mois ou un an.

    JACQUES. - Trente ans, on aurait tout le temps alors ! Et dans le cas où la marchandise serait perdue ?

    JEAN. - Si l'Administration se borne à reconnaître la perte par une formule banale, sans faire aucune proposition ou demander les prétentions du demandeur, il n'y a pas non plus interruption.

    JACQUES. - Prends un exemple, s'il te plaît, ce sera plus clair.

    JEAN. - Une caisse a été égarée par le chemin de fer, le client reste passif pendant trois mois. Tout d'un coup, il se décide, et par exploit d'huissier, fait notifier officiellement ses réserves au transporteur. Les trois premiers mois écoulés n'entrent plus en ligne de compte ; l'intéressé a de nouveau 6 mois pour poursuivre son action et régler l’affaire, soit à l'amiable, ce qui est préférable ou judiciairement si cela lui convient.

    JACQUES. - Si pendant que l'affaire est en instruction, il envoie de nouvelles lettres relatives à la même affaire !

    JEAN. - Il n'y a que la première qui compte, toutes les réclamations subséquentes sont sans effet.

    JACQUES. - Cela va de soi, les délais n'arriveraient jamais à extinction.

    JEAN. - Ta remarque est fondée. En pratique, c'est presque toujours le destinataire, étranger au contrat, qui introduit la réclamation. Du moment que celui-ci manifeste son intention d'accepter l'envoi, il entérine le contrat concu à son profit par l'expéditeur qui n'est que le mandataire du client. De ce fait, il bénéficie du droit à réclamation Le Code Civil permet d'ailleurs de contracter en faveur d'une tierce personne.

    JACQUES. - Après réflexion, ça paraît logique.

    JEAN. - La première partie de la loi que nous venons de voir, s'applique à tous les transports en général. La seconde, que nous allons examiner, concerne tout particulièrement les chemins de fer.

    JACQUES. - Je me rappelle que tu me l'as dit dans l'introduction.

    JEAN. - Les transporteurs libres peuvent agir au gré de leur fantaisie. Il leur est loisible de refuser des transports, de faire des prix différents, d'établir des conventions particulières, d'insérer des clauses spéciales mitigeant leur responsabilité.

    JACQUES. - Pour le chemin de fer, rien de tout cela n'est possible, je le sais.

    JEAN. - Avoue qu'il se trouve tout de même dans une situation paradoxale. Aurait-il même trop de transports pour la capacité de ses lignes, qu'il ne peut les refuser.

    JACQUES. - Aucune disposition de la loi ne permet de dérogations ?

    JEAN. - Impossible d'avoir une loi sans «toutefois». Elle dit, en effet, que s'il se présente des situations tout à fait extraordinaires, inattendues, comme une grande affluence de transports, tout à fait imprévue, qui excède les possibilités d'absorption, le chemin de fer n'est pas tenu à respecter entièrement les stipulations relatives à l'obligation de transporter. Il est absolument indispensable que les circonstances invoquées soient fortuites et solidement établies.

    JACQUES. - C'est draconien !

    JEAN. - Evidemment, mais comme tu le disais si bien naguère, «Dura lex, sed lex».

    JACQUES. - Bien joué, ça !

    JEAN. - Pour le chemin de fer, comme pour le client, les transports s'effectuent aux prix et conditions des Tarifs et Règlements légalement publiés.

    JACQUES. - Auxquels, l'un comme l'autre, doivent obligatoirement se soumettre. Que faisait-on avant qu'on ait légiféré à ce sujet ?

    JEAN. - Les tarifs n'avaient alors aucun caractère obligatoire puisqu'ils n'étaient pas exprimés d'une façon formelle. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et nul ne peut être censé ignorer la loi.

    JACQUES. - Parfait. Comme tu me l'as déjà répété, les Conditions Réglementaires ne sont que la mise en pratique des différents articles de la loi.

    JEAN. - Naturellement... et ces Conditions règlent tout ce qui a trait aux transports des voyageurs, bagages et marchandises.

    JACQUES. - Par qui sont-elles arrêtées ?

    JEAN. - Par le Ministre, qui seul, a le pouvoir de les modifier.

    JACQUES. - Une Compagnie quelconque ne peut donc y apporter aucun changement, ni consentir des diminutions de prix, même si ses conditions d'exploitation le lui permettent ?

    JEAN. - La loi l'interdit formellement.

    JACQUES. - Les tarifs spéciaux concèdent cependant diverses réductions sur les tarifs normaux !

    JEAN. - Celles-ci, accordées dans le but de favoriser le commerce et l'industrie, sont accessibles à tous dans les mêmes conditions. Elles ne sont donc pas illégales et, partant, ce ne sont pas des dérogations au sens propre du mot.

    JACQUES. - Compris.

    JEAN. - Les articles suivants concernent la responsabilité en cas d'accidents survenus aux personnes. Je ne crois pas utile de te donner des explications à ce sujet.

    JACQUES. - Ce serait sortir de notre cadre, d'ailleurs les accidents sont tellement rares chez nous.

    JEAN. - Les entrepreneurs privés peuvent effectuer les transports qui leur sont confiés dans n'importe quel ordre. Pour le railway, rien de semblable, il est tenu de les accepter dans l'ordre où ils sont présentés et ne peut su soustraire à cette obligation que pour des raisons tout à fait spéciales, excessivement graves ou revêtant un caractère, bien défini, d'urgence.

    JACQUES. - C'est sévère !

    JEAN. - Nous avons vu précédemment que l'article 3 rendait responsable le commissionnaire, de l'arrivée à destination, dans le délai convenu, des personnes et des choses ; l'article 34 étend cette responsabilité, pour le chemin de fer, au refus dans l'acceptation ainsi que dans la fourniture du matériel.

    JACQUES. - Ces prestations précèdent cependant le contrat de transport.

    JEAN. - C'est précisément parce que le chemin de fer est obligé de transporter, qu'il a été nécessaire d'introduire cette disposition dans la loi. Sans quoi, les stipulations qui régissent le contrat de transport deviendraient illusoires.

    JACQUES. - L'expéditeur est alors fondé à réclamer une indemnité de refus ou de retard dans la fourniture du matériel.

    JEAN. - Il le peut, mais il faut qu'il démontre péremptoirement quel est le dommage qu'il a subi de ce fait.

    JACQUES. - Et en cas de retard dans la livraison au destinataire ?

    JEAN. - Ici, c'est tout simple. Il y a manquement aux clauses essentielles du contrat et bien qu'il n'y ait pas faute, le chemin de fer doit dédommager le client.

    JACQUES. - L'attribution de ces indemnités est-elle réglée ?

    JEAN. - Nécessairement. L'article 42 indique la marche à suivre dans les différents cas qui peuvent se présenter.

    JACQUES. - Si le destinataire ne se déclare pas satisfait de la somme conventionnelle qui lui est allouée !

    JEAN. - Il peut obtenir une indemnité supérieure, mais il doit prouver d'une façon irréfutable le dommage qui lui a été causé.

    JACQUES. - Avant de terminer l'exposé de cette loi, je voudrais encore te poser une question.

    JEAN. - Vas-y !...

    JACQUES. - Le chemin de fer peut-il limiter sa responsabilité ?

    JEAN. - Oui, ainsi dans les tarifs spéciaux, les prix réduits ne sont octroyés que moyennant une atténuation de la responsabilité.

    JACQUES. - Ce petit exposé est très intéressant : Je t'assure que maintenant, je suis mieux à même d'apprécier la portée des Conditions Réglementaires que j'appliquais sans trop me rendre compte jusqu'à quel point l'inobservation de telle ou telle clause aurait pu entraîner la Compagnie qui m'emploie.

    JEAN. - Mon but est atteint alors, passons, veux-tu, à autre chose...

    CONVENTION DE BERNE

    Convention Internationale pour le transport des marchandises (C. I. M.)

    JEAN - Nous venons de voir avec quelles difficultés la loi de 1891 avait été élaborée. On comprend aisément qu'une convention réglant les trafics internationaux ait aussi été très laborieuse à établir.

    JACQUES. - Chaque pays, suivant ses us et coutumes, avait un régime particulier auquel les transports étaient nécessairement soumis.

    JEAN. - Les expéditeurs devaient se conformer à la législation et à la réglementation en vigueur dans tous les pays à franchir.

    JACQUES. - La loi n'étant pas la même partout, cela devait susciter pas mal de controverses juridiques.

    JEAN. - Il arrivait même que des interprétations totalement opposées étaient soutenues.

    JACQUES. - Dans ces conditions, il appert comme une chose indispensable qu'une réglementation régissant le transport du point de départ au point de destination, sans tenir compte des frontières, devait être établie au plus tôt.

    JEAN. - Des juristes suisses émirent, les premiers, l'idée d'une réunion de délégués des différentes puissances européennes pour l'élaboration d'une Convention applicable à tous les chemins de fer participants.

    JACQUES. - Quand se réunirent-ils ?

    JEAN. - Le 13 mai 1878, les délégués de neuf puissances prirent contact à Berne et discutèrent le projet rédigé par la Suisse. Les allemands opposèrent le leur, plus complet, et celui-ci servit de base pour l'établissement de la Convention actuelle qui contient les propositions allemandes légèrement modifiées.

    JACQUES. - Une seule réunion a suffi pour régler une chose d'une importance aussi capitale ?

    JEAN. - Non, il y en eut encore en 1881 et en 1886. Mais dans l'intervalle, chaque pays étudiait spécialement la chose et les plénipotentiaires qui se réunissaient n'arrivaient aux conférences qu'abondamment pourvus de documents parfaitement mis au point. Néanmoins, le texte définitif ne fut accepté qu'en 1886. Il ne reçut l'approbation des Gouvernements intéressés que le 14 octobre 1890. En Belgique, ce fut la loi du 25 mars 1891 qui sanctionna définitivement cette Convention, publiée seulement au Moniteur du 7 septembre 1892.

    JACQUES. - Commencée en 1873, publiée en 1892, presque vingt ans !

    JEAN. - Des modifications, peu importantes d'ailleurs, furent introduites à la suite des conventions additionnelles de 1898 et 1906.

    JACQUES. - C'est la Convention dont nous nous servons actuellement ?

    JEAN. - Oui, mais par suite des perturbations économiques, nées de la guerre, elle ne répondait plus exactement à la situation.

    JACQUES. - Un remaniement était donc nécessaire ?

    JEAN. - Il eut lieu en mai 1923 et la contexture nouvelle mise à jour, sera considérablement améliorée. Tout en reprenant toutes les stipulations de l'ancienne, corrigées comme il convenait, elle comprendra les dispositions réglementaires et conditions complémentaires uniformes qui, jusqu'à présent, faisaient l'objet de brochures particulières.

    JACQUES. - Que sont ces conditions complémentaires uniformes ?

    JEAN. - Ce sont des arrangements spéciaux entre nations intéressées à certains trafics internationaux établis dans le but de régler diverses dispositions particulières à ces relations ferroviaires.

    JACQUES. - Quand l'appliquera-t-on cette nouvelle Convention, il y aura bientôt dix ans que la guerre est terminée !

    JEAN. - Elle est soumise aux Gouvernements intéressés. Dès que ceux-ci auront donné leur adhésion, elle sera publiée. Ca ne tardera sans doute plus ! (note 180)

    JACQUES. - Laquelle allons-nous examiner ! L'une sera bientôt périmée, l'autre n'est pas encore entrée en vigueur ?

    JEAN. - Je me bornerai à te donner quelques considérations d'ordre général sur celle que tu appliques, parce que tu la connais mieux.

    JACQUES. - D'accord.

    JEAN. - Pour les envois soumis à la Convention de Berne, il faut une lettre de voiture par wagon. Jusqu'à présent ces dispositions ne s'appliquaient qu'aux chemins de fer, mais la nouvelle Convention prévoit l'entrée des lignes automobiles et de navigation dans la Convention. Elles compléteront ainsi le parcours par fer.

    JACQUES. - Le progrès tout de même ! Ces compagnies offrent-elles assez de garantie pour entrer comme membre ?

    JEAN. - Seules, celles ayant un service régulier et dont les opérations seront garanties par un Etat contractant ou un chemin de fer adhérent, pourront en faire partie.

    JACQUES. - La C. I. M. impose-t-elle aux chemins du fer l'obligation formelle d'accepter tous les transports comme le fait la loi de 1891.

    JEAN. - Parfaitement, pour autant que l'expéditeur se conforme aux prescriptions du règlement international. Comme en service intérieur, le chemin de fer a l'obligation d'effectuer les transports dans l'ordre où ils se présentent.

    JACQUES. - Peut-il acheminer les transports par l'itinéraire qui lui convient le mieux ?

    JEAN. - Il doit suivre les instructions qui lui sont données par l'expéditeur.

    JACQUES. - Et si celui-ci ne revendique aucun itinéraire ?

    JEAN. - Le chemin de fer doit choisir l'acheminement le plus avantageux pour les intérêts de l'expéditeur.

    JACQUES. - La conclusion du contrat se fait, sans doute, de la même façon que pour le service intérieur ?

    JEAN. - Oui, par l'apposition du timbre à date du bureau expéditeur. Seulement l'Administration doit délivrer un duplicata de la lettre de voiture.

    JACQUES. - Celui-ci n'a évidemment pas la même valeur que la lettre de voiture, il ne peut servir que de récépissé.

    JEAN. - Comme la loi de 91, la Convention interdit les traités particuliers que les Administrations pourraient établir en vue de favoriser certains expéditeurs au détriment d'autres.

    JACQUES. - Il y a encore certainement une restriction pour les tarifs spéciaux, ceux-ci étant accessibles à tous dans les mêmes conditions ?

    JEAN. - Naturellement. Contrairement aux dispositions en vigueur en services intérieur et mixte, le droit de disposer de la marchandise appartient à l'expéditeur jusqu'au moment où la lettre de voiture a été remise au destinataire.

    JACQUES. - Tandis qu'en service interne belge, ce droit appartient au destinataire à partir du moment où l'avis d'arrivée est mis à la poste.

    JEAN. - C'est très important, surtout au point de vue de réclamations éventuelles. Le droit n'appartenant qu'à celui qui peut disposer de la marchandise.

    JACQUES. - Plusieurs Administrations étant intéressées, il y a responsabilité collective probablement ?

    JEAN. - Oui, puisque chaque Administration participe au contrat.

    JACQUES. - C'est à peu de chose près, le même régime que celui de la loi de 1891 pour les pertes, avaries, etc... ?

    JEAN. - Les règles à suivre sont déterminées par la Convention.

    JACQUES. - Comme il y a plusieurs administrations intéressées, à qui le client doit-il s'adresser ?

    JEAN. - A son gré, au chemin de fer expéditeur, destinataire ou au réseau sur lequel la faute est présumée avoir eu lieu.

    JACQUES. - Quand la responsabilité est-elle éteinte ?

    JEAN. - Au moment où le destinataire a pris livraison de l'envoi. Mais la Convention est moins rigoureuse que la loi belge, elle admet la suspension du délai de prescription dont je t'ai parlé précédemment.

    JACQUES. - En cas de réclamation, l'Administration qui règle n'a-t-elle aucun recours vis-à-vis des autres ?

    JEAN. - Si, la Convention le prévoit. Il arrive presque toujours que l'indemnité est répartie au prorata des distances parcourues sur le réseau de chaque Administration empruntée.

    JACQUES. - Celles-ci usent-elles de ce recours ?

    JEAN. - En pratique, non. Elles ont conclu des traités particuliers qui consacrent le principe de non recherche. Les indemnités sont réparties, comme je viens de te le dire.

    JACQUES. - C'est un régime de confiance mutuelle. Il ne pourrait guère en être autrement pour ne pas compliquer la paperasserie déjà si embrouillée.

    JEAN. - Une Administration qui agirait déloyalement serait immédiatement exclue des Membres de la Convention.

    JACQUES. - Au point de vue de l'équité, on ne «chipote» pas et, ma foi, on a raison.

    JEAN. - Pour en finir, je te dirai que dans la nouvelle Convention, figurent certaines dispositions relatives aux perturbations apportées par l'état anormal qui a suivi la guerre, notamment les variations intempestives des changes.

    LES TARIFS

    JACQUES. - Qu'appelle-t-on tarifs ?

    JEAN. - Ce sont les Recueils Officiels contenant les prix et conditions de transport, auxquels doivent obligatoirement se soumettre les clients qui veulent user du chemin de fer pour leurs expéditions.

    JACQUES. - Il y a tant de choses transportables et transportées. Il est facilement compréhensible, qu'il est bien difficile, sinon impossible, d'établir une tarification appropriée pour chaque chose.

    JEAN. - C'est pour cette raison qu'on s'est vu obligé de les classifier. On a rangé sous une même rubrique les marchandises ayant à peu près la même valeur. Mais, comme d'autres facteurs doivent aussi entrer en ligne de compte pour l'établissement des prix, il a paru nécessaire de distinguer les modes de transport : charges incomplètes, charges complètes, tarifs I, II, III, IV, V et VI, qui te sont bien connus.

    JACQUES. - Il serait illogique de faire payer le même prix à une marchandise expédiée en grande vitesse ou en petite vitesse ; les sujétions n'étant pas les mêmes.

    JEAN. - C'est précisément pour régler toutes ces questions de détails que les tarifs ont été établis et aussi pour assurer une application uniforme des prescriptions régissant les transports.

    JACQUES. - Comme ils sont applicables à tout et à tous, dans des conditions identiques, un Règlement unique était indispensable .Mais qui lui donne force de loi ?

    JEAN. - Il doit être approuvé par le Ministre qui en consacre ainsi la légalité et le rend exécutoire. Les Administrations doivent le porter à la connaissance du public par un avis annonçant que les tarifs peuvent être consultés aux guichets.

    JACQUES. - Ceux-ci sont évidemment trop volumineux pour être affichés. Ainsi, d'après toi, la publication au journal officiel et l'affichage sont considérés comme suffisants.

    JEAN. - Oui, au gré de la loi.

    JACQUES. - Nul n'est censé ignorer la loi... je l'oubliais.

    JEAN. - L'établissement d'un tarif varie naturellement suivant le but que se propose d'atteindre l'exploitant.

    JACQUES. - Je comprends. Si comme chez nous, c'est une affaire commerciale, il est naturel que l'on tente de réaliser le plus grand bénéfice possible. Au contraire, si l'Administration ne vise que l'intérêt général du pays, les tarifs doivent nécessairement être établis de façon à favoriser l'expansion nationale.

    JEAN. - Tout en favorisant le commerce et l'industrie, il n'en est pas moins vrai, que le chemin de fer doit au moins «boucler son budget» et ne pas clôturer en perte, parce que «toute industrie qui périclite est une industrie à supprimer», a dit je ne sais plus qui.

    JACQUES. - Dans le cas où il y aurait un boni ?

    JEAN. - Celui-ci serait versé au Trésor dans le but d'alléger les charges si écrasantes de l'impôt.

    JACQUES. - Depuis la création de la S.N.C.F.B. tout ça est bien changé !

    JEAN. - Ce n'est plus tout à fait la même chose qu'auparavant, il y a le capital à rémunérer.

    JACQUES. - C'est vrai.

    JEAN. - Les résultats qu'on attend de l'exploitation, influencent la constitution des tarifs. Je te parlerai tout d'abord des différents systèmes employés pour leur établissement.

    JACQUES. - Je suis attentif.

    JEAN. - Certains tarifs ne tiennent compte que du poids et de la place que la marchandise occupe, toutes autres considérations étant abandonnées.

    JACQUES. - C'est un peu rudimentaire comme conception !

    JEAN. - Elle est cependant bien naturelle. C'est elle qui, la première se présente à l'esprit.

    JACQUES. - D'après ce système, les marchandises pesant beaucoup sous un petit volume sont avantagées.

    JEAN. - Entendu, mais il permet une bonne utilisation du matériel et par conséquent une taxe économique. La tarification au poids n'est pas meilleure que celle au volume, les marchandises légères occupant énormément de place, paient le même prix que les marchandises pondéreuses nécessitant une surface beaucoup moindre.

    JACQUES. - Bien que l'application des taxes soit très facile, ce n'est guère l'idéal.

    JEAN. - Ces systèmes assez simplistes ont été employés par quelques administrations, mais ils ont vite été abandonnés, parce que ne tenant pas compte de la valeur de la marchandise. On se trouvait parfois placé dans des situations paradoxales. Ainsi, on payait la même taxe pour un sac de sel de cuisine ou un paquet de tabac (même volume ou même poids).

    JACQUES. - Des anomalies aussi criantes ne pouvaient subsister.

    JEAN. - D'autres considérations que le poids et le volume doivent être examinées pour établir les prix d'un tarif. Voyons un peu ce que donne le système à la valeur.

    JACQUES. - Il est compréhensible qu'une marchandise d'un prix élevé puisse supporter une taxe plus forte et permettre ainsi l'attribution de taxes plus réduites aux produits de peu de valeur.

    JEAN. - Sans cela, ces derniers ne pourraient être transportés, la taxe perçue par le chemin de fer ajoutée à la valeur intrinsèque de la marchandise rendraient impossible la vente de ces produits, en dehors d'un rayon déterminé.

    JACQUES. - D'un autre côté, le transport à prix réduit de grosses marchandises remises en grandes quantités permet une utilisation plus rationnelle du matériel et engendre ainsi une diminution du prix de revient.

    JEAN. - Vendre bon marché pour vendre beaucoup, en d'autres termes : transporter à bon marché pour transporter beaucoup.

    JACQUES. - Bon principe qu'il faudrait étudier de plus près.

    JEAN. - Il n'est malheureusement pas possible de taxer toutes les marchandises à leur valeur propre, celle-ci variant pour ainsi dire à l'infini. De plus, elle est, surtout à cette époque, sujette à des fluctuations aussi subites que fréquentes.

    JACQUES. - Il faudrait une infinité de classes auxquelles, il serait nécessaire d'apporter constamment des modifications. Ce ne serait guère pratique.

    JEAN. - Il est encore un autre facteur qu'il ne faut pas perdre de vue. Non seulement on doit considérer la valeur intrinsèque de la marchandise, mais surtout sa valeur relative, c'est-à-dire le prix que les produits atteignent rendus au lieu de destination, compte tenu des frais de transport.

    JACQUES. - Il ne faut pas trop grever le prix de la marchandise et la rendre invendable au point d'arrivée, car c'est de cette différence que le commerce tire son profit.

    JEAN. - En résumé, ce système ne peut donner satisfaction ni au public ni aux chemins de fer. Du mariage des deux systèmes que nous venons d'examiner, il résulte une combinaison qui donne d'excellents résultats. C'est celle qui est en vigueur sur nos chemins de fer.

    JACQUES. - C'est la bonne manière.

    JEAN. - Je ne suis pas aussi présomptueux, mais je le pense. La taxation est basée sur la valeur, tout en donnant des avantages aux expéditeurs qui remettent des envois importants et, partant, qui utilisent d'une façon plus complète le matériel mis à leur disposition.

    JACQUES. - C'est là, la raison des prix plus réduits octroyés aux marchandises, selon qu'elles sont expédiées par 20, 15, 10 ou 5 tonnes.

    JEAN. - Parfaitement. Les prix des séries C sont moindres parce qu'ils ne sont accordés que pour des expéditions comportant un minimum plus élevé.

    JACQUES. - Néanmoins, le chemin de fer y trouve son compte, car les sujétions auxquelles il est soumis ne sont pas beaucoup plus fortes pour fractionner 20 tonnes que 15, 10 ou 5.

    JEAN. - On tient également compte du matériel qui suit à véhiculer la marchandise. Certaines transportées à découvert paient moins que si elles étaient remises dans un wagon fermé.

    JACQUES. - Je le sais, c'est d'une application journalière.

    JEAN. - Pour certaines situations spéciales, il y a lieu d'envisager l'intérêt supérieur du pays au point de vue commercial et industriel. Nous parlerons de cela plus tard quand nous discuterons les tarifs spéciaux.

    JACQUES. - S'il est intéressant de, faire des sacrifices au point de vue général, je ne vois pas bien pourquoi il faut que ce soit le railway qui les supportent. On pourrait tout aussi bien accorder aux industriels, une prime gouvernementale à l'exportation, par exemple ; le railway ne peut cependant pas transporter en dessous de son prix de revient.

    JEAN. - C'est juste, mais jusqu'à présent, on n'est pas encore entrer dans cette voie, du moins en Belgique.

    DE LA TAXE

    JEAN. - La taxe est en rapport direct avec les frais occasionnés au chemin de fer pour transporter le voyageur ou la marchandise.

    JACQUES. - Tu veux dire les frais d'exploitation.

    JEAN. - Non seulement, il faut tenir compte de ces dépenses, mais on doit encore envisager les charges financières ; c'est-à-dire, l'amortissement du capital engagé et l'intérêt à payer aux souscripteurs.

    JACQUES. - C'est équitable.

    JEAN. - Conséquemment, la taxe doit être basée sur ces deux éléments. Elle comprend deux parties bien distinctes : 1) la taxe variable ; 2) la taxe fixe.

    JACQUES. - Tant de fois déjà, ces vocables ont résonné à mes oreilles, mais j'avoue humblement que je ne sais pas trop ce qu'ils signifient exactement. Dans mon esprit, je me suis toujours représenté la taxe comme une et indivisible.

    JEAN. - La taxe variable est celle qui diffère suivant le tarif réclamé, la distance à parcourir, le poids et la nature de l'envoi. La taxe fixe représente la rémunération pour les opérations effectuées au départ, à l'arrivée et au point d'échange.

    JACQUES. - En théorie, cela doit être l'équivalence du prix de revient augmenté des charges financières et, si la somme perçue pour le transport est plus élevée que le total des prestations fournies par le chemin de fer, celui-ci réalise un bénéfice ; dans le cas contraire, il y a mali.

    JEAN. - C'est une «lapalissade». Néanmoins, il arrive que pour des raisons spéciales, certaines taxes sont plus réduites que le prix de revient. Ce qu'il importe, c'est qu'à la clôture d'un exercice, le total des dépenses d'exploitation soit moindre que celui des recettes.

    JACQUES. - Quelles sont ces raisons spéciales ?

    JEAN. - Les transports avec réduction pour le compte de divers départements ministériels, les tarifs spéciaux de marchandises, les réductions accordées à certaines catégories de voyageurs, etc...

    JACQUES. - Raisons d'ordre majeur, militaire, commercial, industriel, humanitaire.

    JEAN. - Indépendamment de cela, dans l'ordonnancement général d'un tarif, il faut encore envisager les limites entre lesquelles la taxe peut varier.

    JACQUES. - Comprends pas ?

    JEAN. - C'est ce que l'on est convenu d'appeler la limite inférieure et la limite supérieure.

    JACQUES. - Je ne suis pas un sphinx et ne suis guère habile à déchiffrer les énigmes.

    JEAN. - La limite inférieure est le prix en dessous duquel on ne peut descendre sans occasionner une perte au transporteur.

    JACQUES. - Le prix de revient quoi ! Aucun commerçant ne peut agir ainsi sans courir à une ruine certaine.

    JEAN. - La limite supérieure, c'est le prix de transport que l'on ne peut dépasser sous peine de rendre le tarif prohibitif.

    JACQUES. - C'est-à-dire rendre la marchandise trop chère lorsqu'elle est arrivée au lieu où elle doit être vendue.

    JEAN. - Entre ces deux extrêmes, il y a une marge suffisante pour que le négoce puisse tirer son profit et provoquer le déplacement de la marchandise à écouler.

    JACQUES. - La fixation du prix de revient doit être chose bien malaisée à établir ?

    JEAN. - Pas tant que cela, mais il faudrait pouvoir disposer des éléments nécessaires, relevant de la statistique.

    JACQUES. - Quels sont ces éléments ?

    JEAN. - Ici encore il faut distinguer...

    JACQUES. - Distinguer... Distinguer... Dire qu'il y a des gens, parfois même parmi les cheminots qui croient que c'est si simple l'exploitation. Faire ou voir rouler des wagons, çà représente pour eux tout le railway et ils ne soupçonnent même pas les considérations importantes qu'il a fallu peser et soupeser pour établir une règle logique pour la fixation du prix à percevoir. «Foutaises» que tout cela, prétendent-ils. «C'est l'enfance de l'art». Ah les...

    JEAN. - Psst !... Disons... mais ne médisons point... Je voulais dire que pour établir le coût du transport, il y a les dépenses fixes et celles qui augmentent ou diminuent suivant l'ampleur du trafic.

    JACQUES. - D'après ce que tu m'as déjà dit, on peut considérer le capital de premier établissement, les intérêts à payer, le matériel de traction, de transport, des ateliers, les bureaux des gares, comme des dépenses fixes.

    JEAN. - Parfait et ce poste est déjà d'une certaine importance. Mais tu en oublies certaines qui restent pour ainsi dire fixes, telles sont : les frais des services centraux et inspections, entretien des lignes, des gares et dépendances, services électrique et des signaux, personnel.

    JACQUES. - Elles représentent certes, la plus grande partie des frais. Mais, je ne vois pas bien comment opérer la discrimination de la part afférente aux voyageurs et aux marchandises.

    JEAN. - Ce n'est guère possible qu'en se basant sur des approximations, toujours sujettes à caution. On procède habituellement au moyen des normes.

    JACQUES. - Des normes !...

    JEAN. - Cela veut dire des moyennes établies empiriquement.

    JACQUES. - La résultante logique de tout ceci est que le prix de revient diminue en raison directe de l'augmentation du trafic, sans que celle-ci nécessite de nouvelles installations bien entendu.

    JEAN. - Toutefois, il y a une limite de capacité que l'on ne peut dépasser et c'est un merveilleux résultat quand, comme chez nous, sur certaines sections, on l'approche.

    JACQUES. - Cependant, les dépenses variables doivent avoir une influence !

    JEAN. - Il est évident que les frais de traction augmentent avec l'intensité du trafic, mais comme ces dépenses sont de beaucoup inférieures aux autres, il est incontestable que le développement du trafic fait diminuer le prix de revient du transport.

    JACQUES. - Ainsi, tous ces trains homogènes, directs, complets, à grande vitesse et à forts tonnages (marotte de l'archaïste dont il a déjà été question au commencement de nos entretiens), véhiculant de lourdes masses, contribuent efficacement à l'abaissement du prix de revient de la tonne-kilomètre.

    JEAN. - Naturellement, c'est conforme à la loi de l'utilisation des masses.

    JACQUES. - Je l'admets bien volontiers. Mais où sont tes preuves ?

    JEAN. - Hélas !... Je ne puis t'opposer que la logique. Car il est impossible de déterminer d'une manière mathématique la part totale de frais grevant une marchandise quelconque sur un parcours de x à y.

    JACQUES. - Etant donné toutes ces difficultés, il est bien difficile de forger des taxes qui soient à l'abri de toute critique.

    JEAN. - Heureusement, il existe des facteurs connus qui permettent de graduer les taxes d'après les prestations que les transporteurs doivent fournir.

    JACQUES. - Les sujétions ne sont évidemment pas les mêmes pour tous les envois.

    JEAN. - La distance par exemple.

    JACQUES. - Le tarif réclamé.

    JEAN. - Le poids.

    JACQUES. - Le caractère spécial de la marchandise.

    JEAN. - Suivant que le transport est effectué en grande ou en petite vitesse, la taxe varie.

    JACQUES. - Ça se comprend. Les frais de traction étant plus importants, la marchandise devant être rendue plus rapidement à destination et les risques de retard plus grands, de même que les indemnités à payer éventuellement aux expéditeurs, il n'est que juste que la taxe de grande vitesse soit plus élevée que celle inhérente aux expéditions effectuées en petite vitesse.

    JEAN. - Une cassette de pierres précieuses ou un paquet de nougat de même poids ne représentent pas la même valeur. Ils ne peuvent dès lors être taxés de la même façon.

    JACQUES. - Tu veux dire que la valeur est aussi un élément.

    JACQUES. - Ça s'explique.

    JEAN. - Un baril de nitro-glycérine ou un sac de son ne nécessitent pas les mêmes précautions et par conséquent le prix de transport ne doit raisonnablement pas être le même.

    JEAN. - Des fauteuils en rotin ou des blocs de calcaire n'utilisent pas la capacité d'un wagon de la même manière et il est équitable que ces marchandises soient soumises à des régimes différents.

    JACQUES. - C'est la raison de la majoration de 50 p. c. de poids que l'on fait supporter aux marchandises encombrantes.

    JEAN. - Si un client présente au transport un envoi de 5.000 kgs de charbon qui ne nécessite pas l'emploi exclusif d'un wagon et qu'un autre remette une charge de 60.000 kgs de combustible, il est parfaitement logique que la taxe à la tonne soit plus élevée pour le premier que pour le second.

    JACQUES. - C'est un principe courant dans le commerce, plus on achète, plus forte est la ristourne.

    JEAN. - Un autre facteur encore la distance.

    JACQUES. - Ah ! Oui ! La taxe s'accroît proportionnellement avec la distance, c'est naturel !

    JEAN. - Erreur, mon cher. Elle s'accroît, mais pas comme tu sembles le croire, d'une manière directement proportionnelle, du moins pour les marchandises.

    JACQUES. - Pourquoi cela ?

    JEAN. - Si tu veux bien faire un petit effort de mémoire et te rappeler ce que je te disais tout à l'heure à propos de l'évaluation du prix de transport, les charges fixes sont à peu de chose près les mêmes pour un transport à 100 kilomètres que pour 5 kilomètres.

    JACQUES. - Je me souviens très bien, je n'ai pas la mémoire si courte.

    JEAN. - Les charges fixes étant les mêmes, il n'y a que l'élément variable qui joue, c'est là, la raison de la décroissance de nos barèmes.

    JACQUES. - J'ai comme une vague idée que cela doit être juste, mais je comprendrais mieux, si tu voulais avoir l'amabilité de me démontrer ta proposition par un exemple frappant.

    JEAN. - Prenons des chiffres ronds, ce sera plus commode. Examinons un même transport de 1.000 Kgs à 50 kilomètres et à 100 kilomètres. Supposons une taxe fixe de 5 francs pour les deux distances et des taux variables de :

    Nous aurons, pour le premier cas : 5,00 + (0,40 X 25) + (0,25 X 25) = 21,25 par tonne à 50 klm., taxe qui sera inscrite au barème et qui représente une perception de 21,25 : 50 = 0 f 425 par klm.

    Pour le second cas : 5,00 + (0,40 X 25) + (0,25 x 25) + (0,15 X 50) = 28,75 par tonne à 100 klm., taxe qui sera inscrite au barème et qui représente une perception de 28,75 : 100 = 0,2875 par klm.

    JACQUES. - Rien de tel qu'un exemple, c'est parfait.

    JEAN. - La somme de 5 francs ou taxe fixe est indépendante de la longueur du parcours à effectuer, elle couvre les prestations fournies au départ et à l'arrivée qui sont les mêmes pour les deux transports.

    JACQUES. - Création des documents, acceptation, vérification, mise du wagon au bon endroit, pesage, chargement, bâchage, etc... et les opérations à l'arrivée, que nous avons effectuées tant de fois.

    JEAN. - Les sommes de 0 f 40, 0 f 25, 0 f 15 sont les bases kilométriques diminuant au fur et à mesure que la distance augmente.

    JACQUES. - Ce qui représente les frais de traction qui diminuent suivant la distance.

    JEAN. - Tu en comprendras les raisons plus tard lorsque nous parlerons des barèmes à taux différentiels.

    ESPECES DE TARIFS

    JEAN. - Sous le rapport des conditions d'application, on distingue les tarifs normaux et les spéciaux.

    JACQUES. - Je sais.... je sais..., les premiers, ce sont les prescriptions générales qui les régissent et les seconds ne sont concédés que sous des conditions spéciales d'acceptation (chargement minimum) et de responsabilité (prolongation des délais).

    JEAN. - Je ne reviendrai pas sur les motifs de l'octroi de ces réductions. Parlons plutôt des tarifs à taux invariables et à taux inégaux ou variables.

    JACQUES. - Comme tu l'entends.

    JEAN. - Je ne te donnerai pas d'explications détaillées au sujet du barème à taux invariable ou directement proportionnel à la distance, un dessin te fera comprendre de suite le mécanisme.

    JACQUES. - Allons, tant mieux !

    Fig. 1.

    JEAN. - Supposons que la base soit d'un franc par 10 kilomètres, nous aurons, comme la fig. 1 le démontre, une ligne A. B. qui prouve la succession uniforme des taxes.

    JACQUES. - C'est plus clair que n'importe quelle démonstration verbale.

    JEAN. - Cette formule est appliquée, avec une légère correction, pour l’établissement de nos tarifs voyageurs.

    JACQUES. - Quelle correction ?

    JEAN. - On ne peut pas partir de 0 et la taxe initiale étant la même pour les 5 premiers kilomètres, la ligne A. B. de la fig. 1 est remplacée par celle A. B. C. de la fig. 2.

    Fig. 2.

    JACQUES. - Ce système ne pourrait être employé pour le trafic des marchandises ; les prix aux grandes distances deviendraient beaucoup trop élevés et souvent, ne seraient plus en rapport avec la valeur de la marchandise.

    JEAN. - C'est pour éviter cet inconvénient que l'on se sert des tarifs à base décroissante.

    JACQUES. - Barèmes où le taux varie suivant la distance.

    JEAN. - Parfaitement. Au moyen de cette formule, les taux varient suivant une périodicité déterminée, ou d'une façon constante.

    JACQUES. - Une démonstration graphique me comblerait d'aise.

    JEAN. - Le tarif par zones, par exemple, se présente comme suit : (fig. 3). Comme tu le vois, le prix de base diminue suivant que la distance augmente.

    Fig. 3.

    JACQUES. - Le simple examen du diagramme prouve que ce barème ne répond pas encore à l'idéal. En effet, la différence entre 10 et 11 klm. ; 20 et 21 klm. est absolument trop forte.

    JEAN. - Voyons maintenant le barème différentiel à base décroissante qui nous donne le schéma ci-contre (fig. 4).

    Fig. 4.

    JACQUES. - Ce système plus rationnel que tout autre, répond certes aux exigences du commerce.

    JEAN. - Tu as déjà entendu parler des tarifs intérieurs et directs.

    JACQUES. - Oui. Le tarif intérieur est celui qui s'applique entre deux gares d'un même réseau et le tarif direct, entre deux gares de réseaux différents.

    JEAN. - Tarif mixte, quand les transports s'échangent entre administrations d'un même pays ; international, s'il s'agit de nations voisines. En outre, nous avons encore les tarifs de transit lorsque les expéditions viennent de l'étranger et sont embarquées dans nos ports de mer ou bien dirigées vers d'autres pays étrangers.

    TARIFS SPECIAUX

    JEAN. - Outre les classes générales de tarifs ordinaires à marchandises, il existe dans tous, les pays une grande quantité de tarifs spéciaux.

    JACQUES. - Accessoirement, nous en avons déjà parlé. Ils sont consentis dans le but de favoriser l'industrie, le commerce ou l'agriculture. Ils concèdent des taxes plus réduites à des conditions spéciales bien déterminées.

    JEAN. - Une foule d'articles rentrent dans les tarifs spéciaux, les uns destinés à l'industrie sidérurgique, les autres aux produits à exporter par navire de mer par les ports belges.

    JACQUES. - L'agriculture est aussi favorisée, de même que l'industrie charbonnière.

    JEAN. - Nous avons encore les tarifs de transit pour tous produits.

    JACQUES. - Et ceux que l'Administration crée pour garder ou attirer par ses lignes des transports qui sans ces réductions emprunteraient des voies concurrentes.

    TARIFS D'EXPORTATION

    JEAN. - Une multitude de produits en provenance de nos établissements industriels : déchets de carrières, gravier, carreaux en ciment, chaux broyée, produits métallurgiques, verres à vitre, verres bruts et verres spéciaux, bénéficient de tarifs spéciaux lorsqu'ils sont destinés à nos ports belges pour être réexpédiés à l'étranger.

    JACQUES. - Les charbons ne sont pas compris dans cette énumération !

    JEAN. - C'est une affaire toute particulière. Un régime spécial, temporaire, est parfois concédé suivant les conditions internationales du marché, ou selon le stock accumulé. Lorsque la nécessité s'en fait sentir, on accorde même un dégrèvement de la taxe pour les expéditions par les frontières de terre.

    JACQUES. - Cependant les patrons charbonniers n'ont pas à se plaindre. Si on veut se donner la peine de comparer l'index des prix du charbon avec celui des taxes du chemin de fer...

    JEAN. - Je ne dis pas, mais la question des combustibles est de première importance pour la vitalité de notre pays.

    JACQUES. - Espérons qu'un jour on trouvera un carburant plus avantageux.

    JEAN. - Les réductions consenties permettent à nos industriels d'écouler plus facilement leurs productions.

    JACQUES. - Ce trafic développe en outre le mouvement de nos ports.

    JEAN. - Surtout celui d'Anvers qui est un des premiers du monde.

    JACQUES. - On comprend facilement son activité, car il est évident que les affréteurs ont tout intérêt à diriger leurs navires, là où ils sont certains de trouver un chargement au retour.

    JEAN. - De cette façon, comme ils n'arrivent pas sur lest, leurs cargaisons sont déchargées et les produits exotiques qu'ils ont amenés sont dirigés dans toutes les directions.

    JACQUES. - Tout le monde tire ainsi son profit de cette situation, car il est indéniable que cela ne peut avoir qu'une heureuse influence sur la prospérité générale.

    JEAN. - Particulièrement pour le chemin de fer, les marchandises bénéficiant des tarifs d'importation n'étant pas nombreuses.

    JACQUES. - N'y sont rangés que les produits que l'on ne peut trouver en suffisance chez nous.

    JEAN. - Les planchettes pour la fabrication des caisses employées par les verreries et l'asphalte brut, par exemple.

    JACQUES. - Les tarifs de transit nous amènent également des courants de transports très intéressants. C'est surtout ici que la lutte avec les chemins de fer étrangers est ardue.

    JEAN. - Dans ce domaine, c'est à nos fonctionnaires supérieurs à déployer leur activité et leur perspicacité.

    JACQUES. - Et les tarifs pour minerais, tu n'en parles pas.

    JEAN. - Nos nombreux hauts-fourneaux engloutissent journellement dans leur insatiable estomac, des milliers de tonnes de minerai de fer et l'on conçoit que cette situation retient tout particulièrement l'attention des sidérurgistes qui par tous moyens tentent de diminuer le prix de revient de la fonte, du fer et de l'acier qu'ils produisent, afin de pouvoir lutter sur les marchés étrangers.

    JACQUES. - Ils réclament naturellement des prix de faveur pour le transport des matières premières.

    JEAN. - Qui leur sont concédés moyennant de se conformer aux obligations qui leur sont imposées.

    JACQUES. - Le chemin de fer en tire tout de même son profit, ces produits étant ordinairement transportés par trains complets.

    JEAN. - D'autres tarifs intérieurs ont également été créés pour satisfaire aux besoins de l'industrie et du commerce, tels ceux pour le transport des cendrées, terres de remblais, cokes, argile brut, moellons, sable, boues, chaux, écume de sucrerie, fumier.

    JACQUES. - Les barèmes appliqués corrigent la rigidité des taxes du tarif général et concilient tous les intérêts.

    JEAN. - Je n'entreprendrai pas de te faire l'historique de chaque tarif spécial en particulier, ce serait allonger notre entretien et il faudrait plus de deux heures pour exposer les motifs parfois assez complexes de leur création. Ces tarifs réduits subirent jadis tant de modifications résultant soit de crises, soit de la concurrence, soit de raisons particulières, qu'il serait fastidieux et sans intérêt immédiat pour toi de les développer ici.

    JEAN. - Nous allons examiner les différents cas qui peuvent se présenter pour l'expédition de marchandises de et vers l'étranger.

    JACQUES. - Je t'écoute.

    JEAN. - Dans le cas où il n'existerait pas de règlements internationaux, l'expéditeur serait obligé de faire une réexpédition à chaque point frontière.

    JACQUES. - On ne peut cependant pas l'astreindre à se déplacer avec la marchandise pour établir une nouvelle lettre de voiture, chaque fois que son envoi empruntera un autre réseau et payer les frais, séparément, pour chaque réexpédition.

    JEAN. - Ce serait nécessaire, puisqu'il y aurait autant de contrats que de réexpéditions. A moins que de s'assurer, contre paiement, des offices d'un commissionnaire-expéditeur, à chaque point frontière.

    JACQUES. - Complications onéreuses et pratiquement irréalisables.

    JEAN. - Pour parer à ces difficultés, on a adopté un régime mieux ordonnancé : ce sont nos relations directes ou trafics directs avec la majorité des pays de l'Europe Centrale.

    JACQUES. - Système en vigueur depuis la reprise du trafic, après l'armistice.

    JEAN. - Il a été entendu que le transport pouvait s'effectuer sous le couvert d'une seule lettre de voiture de la Convention de Berne, du point de départ à destination.

    JACQUES. - L'expéditeur peut-il ainsi acquitter les frais de bout en bout ?

    JEAN. - S'il le désire, oui. Il peut payer le port jusqu'au point frontière de sortie et déposer des arrhes suffisantes pour permettre au chemin de fer de récupérer la taxe afférente aux parcours au delà.

    JACQUES. - C'est une garantie pour l'exécution du contrat, le compte définitif est réglé après que le transport est livré au destinataire.

    JEAN. - Lors du retour du bulletin d'affranchissement qui accompagnait l'envoi.

    JACQUES. - Parfait.

    JEAN. - Dans ce cas, il y a réinscription et non plus réexpédition au point frontière ; c'est-à-dire qu'il n'y a pas de nouvelle lettre de voiture. Le chemin de fer crée simplement une nouvelle feuille de route pour permettre la prise en charge de l'envoi dans ses écritures comptables.

    JACQUES. - C'est mieux conçu que le premier système.

    JEAN. - Avec les tarifs directs, il n'y a plus qu'une seule lettre de voiture, une seule inscription, une seule taxe.

    JACQUES. - On ne peut être plus pratique. Ils indiquent la taxe de bout en bout, ne nécessitent ni des recherches laborieuses, ni des qualités spéciales ; on ouvre le «bouquin» et crac, ça y est, on trouve «subito presto» toutes les indications dont on peut avoir besoin.

    JEAN. - Eh !... pas si vite... Je voudrais tout de même bien te voir établir en cinq «secs» le prix de transport d'un wagon de macaroni de Naples à Anvers. Si tu penses qu'il n'y a qu'à ouvrir le livre et que les alouettes te tomberont toutes rôties dans la bouche... tu te trompes, cher ami... N'étant pas initié, tu donnerais vite ta langue au chat et enverrais à tous les diables Mussolini et ses macaroni.

    JACQUES. - Ah !... Oh !...

    JEAN. - C'est une simplification évidemment, mais de là à croire que c'est un jeu d'enfant !...

    TARIFS DIRECTS

    JEAN. - Dans le but d'étendre les relations ferroviaires et de faciliter les transactions commerciales, les Administrations se réunissent pour élaborer des tarifs directs.

    JACQUES. - Quand on veut bien se donner la peine de réfléchir, ne fut-ce qu'un instant, aux nombreuses difficultés de toutes sortes qui ont dû être vaincues pour arriver à mettre sur pied le tarif intérieur, on conçoit que les négociations pour l'établissement d'un tarif international soient longues et difficiles. Les intérêts en jeu, tant ceux des particuliers que des chemins de fer intéressés, étant encore plus considérables que pour la formation d'un tarif intérieur.

    JEAN. - Afin de concilier des points de vue parfois diamétralement opposés, il est quelquefois utile de faire des concessions.

    JACQUES. - Avec de la bonne volonté, on parvient à surmonter tous les obstacles. «Labor omnia vincit improbus».

    JEAN. - Les chemins de fer, aussi bien que les usagers, retirent des avantages appréciables des tarifs internationaux. En outre, ils paralysent, en la réglementant, la concurrence entre réseaux, ce qui ne peut avoir qu'une heureuse influence sur le maintien de prix rémunérateurs pour le railway.

    JACQUES. - La lutte dans ce domaine ne peut conduire qu'à un abaissement exagéré des taxes.

    JEAN. - Des réunions de fonctionnaires et d'agents établissent les conditions d'application, recherchent les zones de trafic à attribuer à chaque Administration et fixent les itinéraires à suivre pour l'acheminement des envois.

    JACQUES. - Je suppose que l'on prend toujours la voie offrant la distance la plus courte. C'est un principe on ne peut plus logique d'ailleurs !

    JEAN. - Assurément. Mais il arrive que celle-ci n'est pas la plus avantageuse.

    JACQUES. - Comment cela ?

    JEAN. - Par suite du jeu de tarifs différents et de circonstances spéciales, comme l'agio ou un tarif exceptionnel, par exemple, il se fait que les prix résultant de la soudure des taxes avec les réseaux étrangers par un itinéraire plus long, procurent parfois uns taxe moins élevée qu'en utilisant la voie courte.

    JACQUES. - C'est drôle tout de même ces affaires là !

    JEAN. - L'établissement des prescriptions relatives aux itinéraires est très laborieux. Il se présente, rarement il est vrai, que l'on prévoit deux acheminements différents. Dans ce cas, on se met d'accord pour partager le trafic : chaque Administration effectue les transports pendant une période déterminée.

    JACQUES. - En résumé, on choisit habituellement la voie courte.

    JEAN. - Sur laquelle, on reporte, le cas échéant, la taxe économique. Dès que ces travaux préliminaires sont termines, on établit une classification commune en mariant les classes de chaque pays.

    JACQUES. - Les marchandises étant classifiées différemment suivant les nations, l'assimilation ne va pas toute seule.

    JEAN. -. Pour pouvoir participer d'une façon honorable, à ces travaux difficultueux, il est indispensable de posséder à fond sa propre classification au point de vue valeur, usage et nature exacte de la marchandise considérée.

    Surtout qu'il y a des milliers de produits métallurgiques, chimiques, agricoles, alimentaires... le plus souvent affectés de désignations qui ne nous sont pas familières.

    JACQUES. - La différence de langue est aussi un grave inconvénient qui nuit aux discussions inévitables.

    JEAN. - Particulièrement au point de vue technologie et sens propre des mots. Les agents qui s'occupent de ces travaux doivent avoir de solides connaissances tant générales qu'administratives et posséder une grande facilité d'assimilation. Permets-moi une petite digression à ce sujet, celle-ci te démontrera combien c'est difficile.

    Plusieurs produits distincts peuvent se ranger sous la même dénomination générique. Tel est le cas pour la silice qui est un produit chimique, le sable broyé, le silex broyé et la terre d'infusoires.

    JACQUES. - Tu ne vas pas arriver avec des formules chimiques hein !... Car en fait de formule, je ne connais plus guère que celle qui sert à calculer la prime de gestion.

    JEAN. - Les deux derniers produits, bien qu'ayant le même aspect extérieur, ne peuvent cependant pas être taxés de la même façon. Je vais m'efforcer de t'en faire comprendre la raison.

    JACQUES. - Qu'est-ce d'abord que la terre d'infusoires ?

    JEAN. - Elle est formée de débris silicifiés des squelettes d'animalcules microscopiques vivant dans les liquides et présente une structure moléculaire cristalline infiniment poreuse et, par conséquent très légère. Ce produit est employé comme calorifuge dans la construction des portes de coffres-forts, des tuyauteries, etc... et a une valeur plus élevée que le silex broyé. Celui-ci à première vue présente le même respect mais, à l'analyse, il décèle une texture quasi amorphe (sans forme), se tasse facilement et les interstices intermoléculaires étant moins grands, sa densité est plus élevée et le rend impropre à servir de calorifuge, sa valeur est donc moindre.

    JACQUES. - J'ai peine à te suivre.

    JEAN. - Tu vois comme c'est simple. Un autre exemple pour t'édifier complètement, il se présente parfois que des produits dénommés résidus atteignent des valeurs pouvant aller jusqu'à 3000 francs la tonne.

    JACQUES. - Pour des résidus, c'est cher.

    JEAN. - Tel est le cas pour les fumées arsenicales coagulées, résidus de hauts-fourneaux qui contiennent jusqu'à 85 à 95 p. c. d'acide arsénieux ou arsenic blanc. Elles proviennent du grillage (oxydation) des minerais de cuivre arsenicaux, lors de la transformation de ces minerais en mattes (première fonte) de cuivre. Il est nécessaire de les distinguer des produits arsénieux proprement dits, qui proviennent de la transformation des minerais d'arsenic (arséniures et sulfo-arséniures de cobalt ou de nickel, sulfo-arséniures de fer) qui sont en réalité des minerais de cobalt, nickel ou fer (pyrites).

    JACQUES. - Il est temps de voir juste et rapidement afin de ne pas commettre des gaffes irréparables.

    JEAN. - On calcule ensuite la taxe par la voie qui a droit au transport, en soudant les parts de chaque réseau. On tient éventuellement compte des prix réduits offerts par les tarifs spéciaux.

    JACQUES. - Lorsqu'un autre itinéraire fait ressortir une taxe plus réduite avec réinscription ou réexpédition, que fait-on ?

    JEAN. - Suivant la convention conclue, on reporte cette taxe sur l'itinéraire choisi, comme je te l'ai dit tout à l'heure.

    JACQUES. - Comment procède-t-on pour rémunérer les transporteurs dans l'un et l'autre cas.

    JEAN. - Lorsqu'il s'agit de tarifs directs comportant la juxtaposition des taxes particulières à chaque pays, on procède pour la répartition comme en service mixte : la part totale attribuée aux réseaux d'un pays se répartit normalement, c'est-à-dire, part kilométrique plus frais fixes.

    JACQUES. - Et si c'est un tarif direct comportant des taxes toutes faites ?

    JEAN. - Les charges fixes habituelles n'étant pas aussi élevées qu'en service intérieur ou mixte (un seul document, pas de réinscription), il arrive qu'on tient compte de ces particularités. Les taxes se répartissent alors comme suit : attribution de la quote-part inscrite lors de la formation du tarif, plus moitié du frais-fixe.

    JACQUES. - Pour qui les frais-fixes ?

    JEAN. - Ceux-ci ne sont attribués qu'aux administrations de départ et d'arrivée, les chemins de fer de transit n'en perçoivent pas.

    JACQUES. - Quand il y a report de la voie économique sur la voie courte, c'est plus compliqué encore ?

    JEAN. - La différence de prix est supportée par le chemin de fer qui obtient, par la voie suivie, un trajet plus grand que par la route qui a servi à établir la taxe à percevoir.

    JACQUES. - Comprends pas fort bien ! Tu me comblerais d'aise si tu voulais avoir l'amabilité d'illustrer ta proposition.

    Fig. 1.

    JEAN. - Ainsi soit-il ! Supposons un trafic entre les points A et B, séparés par la frontière C D (fig. 1), la voie la plus courte est évidemment A E B, l'autre A F B procure une taxe plus réduite. Que se présente-t-il ? Le premier réseau transporte sur 50 kil. au lieu de 80, soit 30 kil. en moins, le second sur 60 au lieu de 40 soit 20 kil. en plus. Logiquement, c'est ce dernier qui doit supporter la différence, puisqu'il transporte sur un parcours plus long.

    JACQUES. - Compris.

    Fig. 2.

    JEAN. - Faisons une autre supposition tout à fait contraire. Pour des raisons particulières, on choisit l'itinéraire A F B (fig. 2), plus long et plus onéreux, sur lequel on reporte la taxe de A E B qui cette fois est plus économique. La différence 150 (80 + 70) - 100 (50 + 50) = 50 kilomètres sera supportée au prorata des distances en plus parcourues sur chaque réseau.

    Ainsi, le premier parcours A F - A E 80 kil. - 50 = un excédent de 30 kil. et le second F B - E B 70 - 50 kil. = 20 kil. Si la différence est de 10 francs, elle se répartit comme suit :

    Premier réseau : 6 francs
    Deuxième réseau : 4 francs
        10 francs

    JACQUES. - On ne se doute guère des nombreuses difficultés qui ont présidé à l'élaboration d'un tarif direct lorsqu'on le manipule. Bien souvent on se demande la raison de certaines chinoiseries dont on ne se rend pas bien compte, parce qu'on n'est pas au courant de la manière dont le tarif a été conçu.

    NOMBREUSES MODIFICATIONS SUBIES PAR LES TARIFS

    JEAN. - Nos précédentes conversations ont démontré que la tarification des transports constitue une question d'une importance capitale et qu'il n'est pas si simple de trouver une solution qui donne satisfaction à tous.

    JACQUES. - D'après tout ce que tu m'as dit, une foule de circonstances viennent influencer la constitution des prix.

    JEAN. - Les besoins des localités traversées, le commerce régional, l'industrie nationale, l'expansion vers les pays d'outre-mer, la concurrence, sont aussi des facteurs dont on doit tenir compte.

    JACQUES. - Je suppose bien que notre système actuel n'a pas été établi en un tournemain.

    JEAN. - Je ne m'amuserai pas à te détailler toutes les nombreuses phases par lesquelles les tarifs ont passé depuis leur origine jusqu'en 1914.

    JACQUES. - Ce serait trop long et cela n'aurait qu'un intérêt historique.

    JEAN. - Mais il est tout de même bon que tu saches que nos hommes d'Etat ont dû travailler ferme pour en arriver au magnifique résultat actuel, si pas au point de vue budgétaire, tout au moins au point de vue tarifs. Car bien qu'ils ne soient pas idéaux, nous pouvons être fiers de nos méthodes de tarification, si on les compare à celles d'autres nations.

    JACQUES. - J'ai déjà entendu dire que maints pays nous avaient copié.

    JEAN. - Authentique. Bien qu'il existe encore certaines complications, on peut dire que nos tarifs sont les plus simples.

    JACQUES. - Si tu les compares à l'imbroglio que forment les volumineux tomes du Chaix français, je t'crois.

    JEAN. - Nos tarifs sont maintenant uniformisés, c'est-à-dire qu'ils sont applicables aussi bien sur les lignes de la S.N.C.F.B. que sur celles des Compagnies concédées mais il n'en a pas toujours été ainsi.

    JACQUES. - Savais pas ! La dissemblance des tarifs devait compliquer sérieusement le calcul des frais auquel les usagers devaient se livrer.

    JEAN. - La réalisation a été difficile, mais la bonne volonté et l'intérêt supérieur de la nation aidant, petit à petit la chose s'est réalisée.

    JACQUES. - Néanmoins, les grands principes en vigueur devaient être les mêmes qu'à présent ?

    JEAN. - Oui, le tarif de 1848 était basé sur : 1°) la diminution des prix de transport en raison de l'importance des envois ; 2°) augmentation de la taxe en raison de la valeur de la marchandise.

    JACQUES. - Et probablement aussi de la célérité.

    JEAN. - Naturellement, les transports à grande vitesse étaient soumis à une majoration de taxe.

    JACQUES. - Y avait-il déjà des tarifs spéciaux ?

    JEAN. - Le Gouvernement comprenant très bien que la diminution de certaines taxes relatives aux transports des produits de nos mines et de nos usines était une condition essentielle du développement du commerce intérieur et extérieur, avait créé des tarifs exceptionnels et des tarifs de transit.

    JACQUES. - Il était nécessaire de permettre à nos nationaux de concurrencer les produits importés et même, ce qui était pour nous une question primordiale, de lutter avec succès, sur les marchés étrangers.

    JEAN. - Je m'empresse d'arriver à la période qui a suivi l'armistice.

    JACQUES.- Elle est déjà suffisamment chargée pour offrir matière à nos palabres.

    JEAN. - Après la guerre, le bouleversement des conditions économiques a rendu la tâche bien difficile au Ministère des Chemins de fer.

    JACQUES. - On ne pouvait réformer les tarifs comme cela de but en blanc, cela n'eut fait qu'accroître les perturbations.

    JEAN. - Non, pour parer au plus pressé, on a d'abord décidé de majorer les tarifs de 40 p. c.

    JACQUES. - Majoration qui tout de suite a été jugée insuffisante.

    JEAN. - Jadis, il existait quatre classes ne comportant chacune qu'une série pour les marchandises. On créa, en 1919, deux séries (A et B) par classe, la première comportant une majoration de 20 p. c. sur la seconde.

    JACQUES. - Régime transitoire aussi.

    JEAN. - En 1920, la majoration initiale fut portée à 100 p. c. pour les séries B et 140 p. c. pour les séries A.

    JACQUES. - Elle ne dura pas plus longtemps que les précédentes.

    JEAN. - Au 1er juillet 1920, nouvelles modifications, le coefficient multiplicateur des taxes de 1914 devient 3,6, 3 et 2,5 pour les séries A, B et 4e classe.

    JACQUES. - Quelle besogne pour les bureaux !

    JEAN. - Une période assez calme s'ensuivit et c'est seulement en 1924 que des difficultés budgétaires obligèrent l'administration à recourir à une nouvelle majoration de 10 p. c. qui porta les coefficients à 3,36, 3,3 et 2,75 (séries A, B et 4e classe).

    JACQUES. - Causée par des difficultés financières et la hausse vertigineuse du prix des matières premières.

    JEAN. - Cette dernière augmentation n'était pas encore suffisante et l'Administration, dans le but d'inciter les expéditeurs à mieux utiliser le matériel mis à leur disposition, créa 3 séries dans chaque classe. De plus, pour obtenir un surcroît de recettes, les coefficients varièrent de 4,9 à 3,1.

    JACQUES. - Graduellement, les prix augmentaient sans pour cela qu'on atteigne le but désiré, la situation allant toujours s'empirant.

    JEAN. - Une réforme générale était nécessaire, on l'étudia et, afin de tenir compte des écarts de plus en plus grands qui se manifestaient, il fut jugé nécessaire de remanier la classification générale de façon à établir des prix mieux en rapport avec la valeur relative des produits transportés.

    JACQUES. - C'était logique tout de même.

    JEAN. - Certaines marchandises ont été rangées dans une classe supérieure à celle qu'elles occupaient et ont subi de ce fait un relèvement.

    JACQUES. - Hélas ! D'après ce que nous avons pu constater, cela ne donna pas le résultat espéré.

    JEAN. - En juin 1926, nouvelle majoration variant de 15, 10 et 5 p. c. suivant les séries, en août 10 p. c. sur tous les tarifs généraux, en octobre 25 p. c. pour en arriver au vaste rajustement du 15 janvier 1927.

    JACQUES. - Il se conçoit que les nombreuses modifications avaient apporté des perturbations dans les graphiques et que certaines situations étaient devenues anormales.

    JEAN. - C'est précisément pour redresser ces anomalies et en même temps pour obtenir un surcroît de recettes que l'on a établi les nouveaux barèmes actuellement en vigueur qui se rapprochent sensiblement du taux-or, c'est-à-dire des taxes de 1914 multipliées par 7.

    JACQUES. - Crois-tu que cela sera suffisant et qu'il n'y aura plus de changement.

    JEAN. - Peut-être bien, mais la situation actuelle bien qu'elle semble un peu éclaircie par suite de la stabilisation, n'est pas encore sûre. Qui vivra verra !

    JACQUES. - Ton laconisme me laisse supposer que cela changera encore bientôt, Pitchou l'a d'ailleurs laissé entendre (note 217).

    DISTANCES

    JEAN. - A partir du 1er janvier 1880, on a abandonné la lieue comme unité de distance et on la remplacée par le kilomètre.

    JACQUES. - Dans toutes les relations, on se sert maintenant de cette unité pour le calcul de la taxe à percevoir.

    JEAN. - Pour établir la kilométrie, on calcule d'abord la distance en mètres par la voie la plus courte absolue, c'est-à-dire d'axe en axe des bâtiments de recettes.

    JACQUES. - On arrondit au kilomètre sans doute. De ce fait 8.001 mètres = 9 kilomètres.

    JEAN. - C'est juste. Comment voudrais-tu faire autrement, toute fraction de kilomètre compte pour 1 kilomètre.

    JACQUES. - Comment procède-t-on en service mixte ?

    JEAN. - Comme pour le service intérieur, c'est-à-dire, par la voie la plus courte, en tenant compte des distances réelles en mètres arrondies au kilomètre.

    JACQUES. - Principe on ne peut plus logique.

    JEAN. - Lorsque le calcul de la distance par deux voies différentes fait reconnaître une kilométrie identique, c'est la voie sur laquelle on rencontre le moins de points d'échange, qui est tarifée.

    JACQUES. - Si le nombre de points d'échange est le même que fait-on ?

    JEAN. - On prend la voie comportant la plus petite distance en mètres.

    JACQUES. - Dans la pratique, comment procède-t-on ?

    JEAN. - On se sert de tableaux renseignant toutes les distances applicables en service mixte.

    JACQUES. - Sans doute, ont-elles été établies avec le plus grand soin.

    JEAN. - Et vérifiées avec la plus scrupuleuse attention.

    JACQUES. - C'est d'une importance capitale : toute notre recette dépend de l'acheminement des envois par la route indiquée.

    JEAN. - C'est pour nous un impérieux devoir de signaler immédiatement les irrégularités que nous découvririons, éventuellement. Nous devons veiller à ce que les dispositions des tarifs soient respectées, il y va de l'intérêt de la Compagnie, et par conséquent du nôtre.

    IRREGULARITES

    JEAN. - Bien que l'Administration mette tout en œuvre pour éviter les irrégularités, il s'en produit malheureusement encore trop.

    JACQUES. - C'est inévitable.

    JEAN. - Une exploitation aussi spéciale que le chemin de fer ne peut certes pas «marcher» sans aléa. Je pense que si l'on donnait au personnel les connaissances utiles de façon à ce qu'il soit bien pénétré de l'importance inhérente aux besognes qui, à première vue, semblent insignifiantes, bien des indemnités pour pertes, avaries, retards seraient épargnées. Toutes ces sommes que le railway doit ristourner à la clientèle constituent irrémédiablement des pertes.

    JACQUES. - D'après toi, les agents ne sont pas suffisamment au courant de leur service ?

    JEAN. - Je ne veux pas insinuer qu'ils ne connaissent pas les instructions qu'ils doivent appliquer mais, souvent, ils en ignorent la portée exacte et c'est ce qu'on devrait leur apprendre.

    JACQUES. - Je comprends. Connaissant mieux les conséquences que la moindre négligence peut avoir, ils redoubleraient d'attention dans l'accomplissement de leur tâche.

    JEAN. - Je vais essayer de te développer mon idée.

    JACQUES. - Bien !

    JEAN. - Je ne reviendrai pas sur les dispositions légales régissant les transports de marchandises, nous en avons déjà parlé antérieurement.

    JACQUES. - Conclusion du contrat, Convention, Lois, etc... parfait.

    JEAN. - Tu sais déjà que le contrat entre l'expéditeur et le transporteur s'établit lorsque la lettre de voiture a été acceptée par le chemin de fer et que le droit de disposer de la marchandise appartient aussi au destinataire, bien qu'il n'intervienne pas directement dans la convention conclue.

    JACQUES. - Je me rappelle très bien. En pratique, les réclamations se règlent presque toujours avec les destinataires : tu m'en as d'ailleurs donné succinctement les raisons. Mais tu ne m'as pas indiqué le moment à partir duquel le droit d'action appartient au destinataire.

    JEAN. - En service international, tant que la lettre de voiture n'a pas été remise au destinataire ou tant que celui-ci n'a pas demandé la délivrance de ce document et de la marchandise, le droit de disposer et, par conséquent le droit d'action reste à l'expéditeur.

    JACQUES. - Si j'interprète bien tes paroles, le destinataire ne peut intenter d'action que si l'envoi est arrivé à destination et qu'il est en possession du document.

    JEAN. - La possession du contrat n'est pas suffisante, il faut encore que l'expédition soit à destination.

    JACQUES. - Comment cette question est-elle résolu en ce qui concerne les services intérieurs et mixtes ?

    JEAN. - Je regrette de devoir te dire qu'elle n'est pas tranchée d'une façon aussi catégorique.

    JACQUES. - Comment cela ?

    JEAN. - D'après notre législation, le droit de disposer de la marchandise appartient au destinataire, dès qu'il a été informé de l'arrivée ou que l'envoi a été remis au camionneur. Il serait donc sensé de croire que l'expéditeur est déchu de tous ses droits quant aux prétentions qu'il pourrait émettre en cas d'avarie, par exemple.

    JACQUES. - Naturellement.

    JEAN. - Cet avis a d'ailleurs été émis par certains juges.

    JACQUES. - Pas par tous ?

    JEAN. - D'autres ont admis une thèse différente, suivant laquelle, l'expéditeur est fondé à réclamer «ex-contractu» des dommages pour perte ou avarie bien que son client ait pris livraison de l'envoi.

    JACQUES. - Que dois-je conclure de ces contradictions ?

    JEAN. - Que, s'il n'y a pas désistement d'un intéressé en faveur de l'autre, il est prudent de confier le règlement du litige à la justice lorsque les deux plaignants ont introduit chacun une demande. Cela te démontre qu'il n'est pas toujours facile de déterminer de quel côté le droit se trouve.

    JACQUES. - En effet.

    JEAN. - Si je t'ai rappelé ces choses, c'est pour te faire voir que dans cette partie du service, on ne saurait procéder avec trop de prudence et d'attention.

    JACQUES. - J'en ferai mon profit.

    JEAN. - Prévenir vaut mieux que guérir, dit-on toujours. Si l'on expliquait bien les causes des irrégularités, peut-être en aurait-on beaucoup moins à relever.

    JACQUES. - Très possible !

    JEAN. - Lorsqu'on remet une expédition composée de plusieurs colis, il est de notre devoir de nous assurer que le nombre et le poids indiqués sont bien exacts.

    JACQUES. - Sans quoi, on pourrait réclamer des choses qui, en réalité, ne nous ont pas été présentées et nous serions «vus» comme on dit communément.

    JEAN. - D'autre part, si on réclame la surveillance spéciale, on doit absolument se rendre compte du bon conditionnement du transport.

    JACQUES. - D'autant plus que nous percevons une taxe et qu'en cas de réclamation, les co-transporteurs auraient à supporter une partie des dommages dus à notre négligence.

    JEAN. - Parfois, à l'arrivée, on constate le manquant d'un colis alors que les documents sont là.

    JACQUES. - Mais il n'est pas perdu pour cela ! Il peut avoir été dévoyé en cours de route, débarqué à une gare en deçà.

    JEAN. - C'est vrai. Bien des pertes seraient évitées si les étiquettes étaient collées avec le plus grand soin. Il arrive que certaines se décollent ou ont les bords repliés et ne permettent pas de les déchiffrer avec toute la célérité indispensable.

    JACQUES. - Toutes ces minuties ont leur importance et l'inobservance des instructions peut amener des erreurs regrettables.

    JEAN. - Quant aux colis trouvés en trop, ils doivent être signalés dans le plus bref délai possible afin que l'on puisse prendre immédiatement les mesures nécessaires pour trouver leur application.

    JACQUES. - On les remise toujours soigneusement afin de pouvoir mettre la main dessus.

    JEAN. - Dans la pratique, c'est un fonctionnaire dirigeant qui doit prendre les dispositions utiles pour la régularisation, surtout s'il s'agit de marchandises sujettes à prompte détérioration ou corruption ou d'objets excitant la convoitise.

    JACQUES. - C'est ce qu'on fait.

    JEAN. - Tant mieux alors. Parlons un peu des avaries et des précautions que l'on doit toujours prendre pour éviter à l'Administration le paiement d'indemnités parfois très élevées.

    JACQUES. - Oui, parlons-en.

    JEAN. - Dès qu'on nous remet un envoi, nous devons examiner soigneusement son aspect extérieur ; son emballage est-il suffisant, pourra-t-il résister au voyage qu'on veut lui faire effectuer ?

    JACQUES. - Il arrive que certains clients réemploient de vieux emballages qui n'offrent plus les qualités requises et qui la trouve «mauvaise», quand on le leur fait remarquer.

    JEAN. - Il faut intervenir avec tact et discernement pour les inviter à modifier leur façon de faire et leur démontrer qu'il y va de leur avantage aussi bien que du nôtre. Pas de brusquerie, de la délicatesse...

    JACQUES. - Nous avons toujours la déclaration de non responsabilité comme sauvegarde.

    JEAN. - A ce propos, laisse-moi te conter une petite histoire, vieille déjà, mais qui n'a pas perdu toute saveur. Un de nos chefs de gare encore en fonctions, aussi beau qu'Adonis, avait un jour, instigué par un loustic, inscrit la mention suivante sur un document relatif au transport du roi de nos basse-cours : «Irresponsabilité du chemin de fer en cas d'immortalité du coq».

    JACQUES. - Je sais, tu veux parler de celui qui dans une correspondance à sa bien-aimée, avait écrit «C'est avec amertume que je te dis ce doux mot, je t'aime». Ce qui ne l'empêche pas aujourd'hui, tel un «Conquistador» de parader et d'exhiber son beau physique sur les quais de l'importante gare de...

    JEAN. - Chut ! ! !

    Revenons-en à la déclaration de non responsabilité. Chaque fois qu'un emballage est défectueux, cassé, ou jugé insuffisant pour le voyage que le colis doit accomplir, une déclaration exonérant l'Administration des risques qui pourraient survenir à cause de cette défectuosité, de ce bris ou de cette insuffisance, doit être exigée.

    JACQUES. - De cette façon, la responsabilité du railway est complètement dégagée pour toute perte ou avarie résultant de la nature de l'emballage.

    JEAN. - Il est évident que si l'irrégularité provient d'une autre cause, la responsabilité ne peut être écartée, il suffit pour cela que l'expéditeur fasse la preuve que le dommage n'est pas la conséquence de l'état ou du manque d'emballage.

    JACQUES. - Supposons un piano réduit en miettes, il est indubitable que s'il avait été emballé convenablement, le résultat eut été le même. Le choc extrêmement violent qui l'a détruit aurait également écrabouillé la caisse qui l'aurait entouré.

    JEAN. - Lorsqu'aucune déclaration de non responsabilité n'a été faite par l'expéditeur, il va de soi que le chemin de fer ne peut arguer du manque ou du vice d'emballage pour se soustraire au paiement d'une indemnité. Il n'avait qu'à prendre ses précautions lors de la conclusion du contrat.

    JACQUES. - Alors, il est bon d'ouvrir l'œil et le bon, lors de l'acceptation des colis.

    JEAN. - La marchandise étant acceptée, il y a lieu de choisir consciencieusement le matériel qui devra la transporter.

    JACQUES. - Le wagon doit être propre, sec, les parois et le toit doivent être étanches.

    JEAN. - On doit éviter de placer les colis dans un wagon mouillé, malpropre ou répandant une odeur nauséabonde (essence, poisson, etc.).

    JACQUES. - La marchandise pourrait souffrir de l'humidité, se souiller ou absorber les émanations désagréables.

    J'EAN. - Les planches formant le fond du véhicule ne doivent pas être disjointes, car elles pourraient laisser filtrer la marchandise.

    JACQUES. - Et si l'on transportait des moutons par exemple, ils pourraient se briser les pattes.

    JEAN. - Toutes ces particularités sont évidemment bien connues, néanmoins on ne saurait trop souvent les rappeler.

    JACQUES. - C'est du domaine de l'Administration.

    JEAN. - Il en est de même pour les précautions à prendre pour le chargement et le transbordement. Trop souvent, la manutention, le calage, le bâchage et l'arrimage sont effectués avec trop de précipitation.

    JACQUES. - Il est de fait que j'ai déjà vu manier avec un peu trop de brutalité des colis ; cette façon de faire, risque d'occasionner des dommages coûteux.

    JEAN. - Le chemin de fer, lui, doit réparer. Ces pratiques ne peuvent être tolérées.

    JACQUES. - Mais souvent les circonstances nous obligent à caser dans un même wagon, beaucoup de marchandises.

    JEAN. - C'est juste, on doit veiller à la bonne utilisation du matériel tout en plaçant les colis de façon à éviter tout dégât.

    JACQUES. - Evidemment, un bloc de marbre ne peut être casé sur un paquet de cheminées de lampes.

    JEAN. - Ni un sac de café à côté d'un bidon de pétrole, ni du saumon près d'un colis contenant des boîtes de poudres de riz.

    JACQUES. - Est-ce qu'il viendra jamais à quelqu'un l'idée de commettre semblable étourderie !

    JEAN. - Beaucoup de mécomptes pourraient aussi être évités par un classement judicieux des envois, par gare, rangés par ordre géographique.

    JACQUES. - On place toujours les colis de façon à pouvoir les retirer immédiatement sans déranger les autres.

    JEAN. - Entendu, mais il est bon d'en parler. Une autre cause encore d'avarie, ce sont les chocs violents qui se produisent lors de la formation des trains et bien souvent les instructions édictées à ce sujet sont tenues pour lettres mortes.

    JACQUES. - Je dois dire que nos surveillants tiennent l'œil et s'efforcent, par tous moyens, de faire cesser ces négligences très préjudiciables pour la Caisse de la Compagnie.

    JEAN. - On ne saurait trop souvent rappeler les prescriptions à observer lorsqu'on effectue les manœuvres de lancement, de façon à diminuer les infractions au règlement.

    JACQUES. - Sur ce point, je crois que tes craintes sont exagérées.

    JEAN. - Je ne demande pas mieux que de le croire. De même pour le déchargement, toutes les précautions ont leur importance.

    JACQUES. - Les colis sont toujours rangés et placés de façon à éviter les «mic mac» dans la livraison aux destinataires.

    JEAN. - C'est ainsi que cela doit se faire. Les objets qui excitent la convoitise doivent être mis immédiatement en sûreté.

    JACQUES. - Serions-nous des voleurs par hasard ?

    JEAN. - Loin de moi cette idée. D'abord, il y a d'autres personnes que les agents du chemin de fer qui circulent dans les gares et dépendances et puis comme on dit pour les enfants : «Celui qui ne voit rien, ne pense à rien».

    JACQUES. - J'en conviens. Mais, tu avoueras tout de même que tu as l'humeur légèrement atrabilaire aujourd'hui, ce ne sont que recommandations, observations, objurgations, voire même suspicions.

    JEAN. - Je ne dis toutes ces choses que par souci de la vérité. Dans ce domaine, la manière itérative est la bonne.

    Je ne vois pas l'utilité de te parler du procès-verbal de manquant ou d'avarie.

    JACQUES. - Ordinairement, on ne fait que remplir des imprimés stéréotypés.

    JEAN. - Les renseignements et procès-verbaux que l'on fournit au sujet des irrégularités doivent être établis très sérieusement, la moindre inattention ou bévue dans la rédaction de ces documents peut avoir une fâcheuse répercussion. Aussi, ne peut-elle être laissée qu'à un agent bien au courant de l'affaire.

    JACQUES. - Il ne doit pas faire ça comme un procès-verbal de garde-champêtre, quoi ! ou comme le rapport du sous-officier signalant le cavalier qui «battait son cheval qui mangeait du foin avec une fourche».

    JEAN. - Je terminerai cette conversation par quelques mots au sujet des retards.

    JACQUES. - Ils résultent souvent de dévoyés ou du débarquement intempestif à une gare autre que celle de destination.

    JEAN. - Lorsqu'on constate que la marchandise n'arrivera pas assez tôt à destination pour rester dans les délais réglementaires, on doit mettre tout en œuvre pour atténuer la faute dans la mesure du possible.

    JACQUES. - Au besoin, on remet même ces envois à un train de voyageurs.

    JEAN. - Il importe au plus haut point que le personnel s'imprègne des instructions qu'il doit appliquer pour éviter toute irrégularité et c'est à l'administration qu'il incombe de le mettre à même de savoir apprécier la répercussion fâcheuse qu'une négligence d'apparence bénigne peut avoir.

    DE QUELQUES NOTIONS QU'ON DOIT CONNAITRE ET DE BEAUCOUP D'AUTRES QU'ON NE PEUT IGNORER

    REGLEMENT

    JEAN. - Le Recueil des Conditions Réglementaires des Services Intérieur et Mixtes contient toutes les prescriptions relatives aux transports à effectuer en Belgique.

    JACQUES. - Et pour le service international ?

    JEAN. - Jusqu'à présent, ne sont encore rétablis que les tarifs directs avec l'Italie et l'Allemagne.

    JACQUES. - Tiens, avec la patrie des Césars, jouissant actuellement des délices paradisiaques du régime lénifiant de l'huile de ricin. Ce pays est cependant séparé du nôtre par plusieurs autres nations ! Et avec l'Allemagne, ex-ennemie. Ah ! «Les bonnes bedides affaires» ce qu'elles font faire.

    JEAN. - C'est drôle, en effet, on ne s'explique pas bien que ce qui est possible avec certains pays, ne l'est pas avec notre grande sœur et amie, la France, source inépuisable de richesses matérielles et intellectuelles, flambeau qui éclaire la route à suivie, indique au monde dit civilisé, le chemin de la droiture.

    JACQUES. - Que de grands mots. Tant de fois, pendant les années sanglantes, ces vocables ronflants : le Droit, la Liberté, la Civilisation, l'Humanité ont fait tressaillir jusqu'au tréfonds ma pauvre âme endolorie. Hélas, après la courte allégresse de l'armistice, partout mes oreilles étaient assourdies de cruelles paroles comme celles-ci :

    misère, sacrifices pour relever le franc, privations, hausse constante du coût de la vie, (index-number), pain noir, (plus digestif et meilleur pour notre estomac docile, paraît-il), impôts écrasants, taxe et supertaxe (bientôt on ne trouvera plus rien qui ne soit taxé), pétrole de Bakou, de Mossoul, minerais du plateau de Briey, cokes de la Ruhr, etc...

    JEAN. - Ne nous égarons pas dans la sentimentalité. On ne peut s'expliquer l'absence de tarif direct avec la France que par des raisons politiques que j'ignore. Peut-être, est-ce aussi la résultante de l'influence de la plaie purulente de flamingantisme qui sévit dans certaines sphères ou le peu d'affinités latines, pour ne pas dire la répulsion, de quelques-uns de nos gouvernants vis-à-vis de la patrie des Pasteur, Hugo, Curie, etc.

    JACQUES. - D'après toi, il s'agirait plutôt de considérations ethniques que techniques. Un jour viendra peut-être bientôt où la nécessité morale du rétablissement d'un tarif direct franco-belge deviendra évidente. Attendons patiemment.

    JEAN. - Nous avons des relations directes avec beaucoup de pays européens.

    JACQUES. - Qu'est-ce à dire ?

    JEAN. - Les lettres de voiture sont établies directement pour la destination définitive et les feuilles de route sont dressées d'après les instructions réglant chaque trafic particulier.

    JACQUES. - Il y a réinscription, c'est-à-dire création d'une nouvelle feuille de route à la gare frontière.

    JEAN. - Pour la France, il y a inscription directe pour certains réseaux et réinscription pour d'autres. Dans les relations avec la Hollande, il y a également inscription directe sauf dans certains cas spécialement déterminés.

    JACQUES. - Tu oublies le tarif direct pour les expéditions de 200 kilogs et moins entre l'Angleterre et la Belgique, via Ostende-Douvres.

    JEAN. - Depuis peu nous avons aussi les Ferry-Boats.

    JACQUES. - Qu'est-ce encore ?

    JEAN. - C'est le nouveau service pour le transport direct de Zeebrugge aux Iles Britanniques, sans transbordement, par navire appropriés.

    JACQUES. - Ce trafic est-il important ?

    JEAN. - Peuh ! De Belgique vers l'Angleterre, il y a assez bien de transports de fruits pour la fabrication des confitures «Made in England». Mais, en sens inverse, pas grand'chose. Si, pardon, une fois, on nous a envoyé un transport de peaux de lapins et comme le disait naguère notre plus grand journal satirique : «Les Anglais ne se contentent plus de nous poser des lapins, ils nous envoient la peau».

    JACQUES. - Quels sont les pays avec lesquels nous sommes en relations directes.

    JEAN. - Si je ne m'abuse, de nombreuses instructions spéciales règlent les relations du trafic direct avec les pays Scandinaves, la Pologne, la Tchéco-Slovaquie, le Royaume des Serbes, Croates, Slovènes (Yougo-Slavie), la Hongrie, l'Autriche, la Roumanie et la Suisse.

    JACQUES. - C'est pour ceux-là qu'il y a réinscription aux points frontières, en attendant qu'on rétablisse des tarifs directs.

    JEAN. - La Convention de Berne autorise les expéditeurs à revendiquer un itinéraire déterminé et à désigner l'endroit où les formalités douanières doivent être effectuées.

    JACQUES. - Doit-on respecter les intentions de l'expéditeur ?

    JEAN. - Evidemment. Cependant, si l'itinéraire réclamé n'est pas prévu au tarif direct, celui-ci ne peut être appliqué. Il est alors absolument nécessaire de réinscrire l'expédition à un point déterminé.

    JACQUES. - C'est pour le cas où il existe un tarif direct. Que fait-on dans le cas où il n'y a que des relations directes.

    JEAN. - Si l'expéditeur ne revendique aucun itinéraire, on achemine les envois au mieux des intérêts de l'expéditeur suivant les tableaux d'acheminement dressés par les administrations.

    JACQUES. - Que représentent les conditions complémentaires particulières qu'on doit examiner conjointement avec la Convention de Berne ?

    JEAN. - Cette dernière exclut certains produits et en admet d'autres sous certaines conditions, etc... Les administrations ne peuvent en rendre les conditions plus rigoureuses mais, au contraire, elles sont autorisées à s'entendre pour les atténuer. Ces arrangements spéciaux font l'objet des prescriptions particulières dont tu parles.

    JACQUES. - On doit donc en tenir compte pour les expéditions du service international.

    JEAN. - En outre, il y a lieu d'observer les mesures de restrictions édictées au sujet de la douane, de la police, du transport des viandes, graisses, plantes, arbustes, réduction des droits, etc... afférentes à chaque pays. Je t'en dirai quelques mots plus tard.

    JACQUES. - Que de prescriptions !

    JEAN. - Je me permets d'attirer spécialement ton attention sur ce qu'il existe des différences dans l'application des instructions des services intérieur, mixtes et internationaux, notamment en ce qui concerne les tarifs I, II, la lettre de voiture, etc...

    JACQUES. - Une lettre de voiture par wagon au lieu d'une par expédition.

    JEAN. - La lettre de voiture internationale doit être conforme au modèle prescrit et revêtue du timbre de l'Administration expéditrice, un duplicata est remis à l'expéditeur.

    JACQUES. - Ce dernier constitue le seul reçu que l'on est autorisé à délivrer.

    JEAN. - Pour en finir, je te dirai que les colis postaux sont régis par les tarifs de l'Union Postale Universelle, établis sur les directives de la Convention de Madrid remplacée par l'Arrangement de Stockholm.

    JACQUES. - Ces Conventions sont-elles l'œuvre des fonctionnaires du chemin de fer ?

    JEAN. - Non, ce sont les commissaires des Gouvernements intéressés qui les discutent et les forgent.

    JACQUES. - Ces tarifs sont d'ailleurs d'une application facile. Les irrégularités qui pourraient se présenter et les règles de comptabilisation sont clairement exposées dans une instruction publiée par l'Administration.

    SERVICES INTERIEUR ET MIXTES

    JEAN. - Je t'ai déjà dit que les règlements étaient les mêmes pour la S.N.C.F.B. et les chemins de fer concédés, le Recueil Officiel l'indique d'ailleurs.

    JACQUES. - N'y a-t-il pas d'exceptions ?

    JEAN. - Si, quelques-unes, sans grande importance. Certains tarifs spéciaux ne sont applicables que pour des relations intérieures spécialement dénommées.

    JACQUES. - On peut dire que les conditions des tarifs et les barèmes sont, en somme, les mêmes pour toutes les administrations belges.

    JEAN. - Quelques mots seulement sur chaque tarif.

    JACQUES. - «Dégoise».

    JEAN. - Les prix du tarif I et II sont maintenant applicables par expédition.

    JACQUES. - Quel que soit le nombre de colis.

    JEAN. - On peut les affranchir au moyen de timbres et dans ce cas, on ne paie pas la taxe d'enregistrement prévue pour chaque colis.

    JACQUES. - L'affranchissement avec timbres nécessitant moins d'écritures administratives, sauf lorsque les envois sont grevés de déboursés ou de remboursements, facilite les opérations, en même temps qu'il procure une diminution de prix au client. D'après les Conditions Réglementaires, certains colis trop volumineux ne peuvent être acceptés au tarif I (exprès).

    JEAN. - Par tolérance, ils sont parfois admis. Le chemin de fer peut toutefois dégager sa responsabilité et si aucun inconvénient ne se présente les remettre à des trains de messageries. Ce que l'on ne peut absolument faire, c'est accepter des colis encombrants qui pourraient entraver la marche régulière des trains de voyageurs.

    JACQUES. - Jadis, pour bénéficier d'une réduction on expédiait parfois des colis tarif I comme bagages.

    JEAN. - Pour remédier à cette situation, on a établi le barème des bagages sur les mêmes bases, de cette façon, les abus ont été supprimés.

    JACQUES. - Comme intermédiaire entre la grande et la petite vitesse, nous avons le tarif des charges incomplètes.

    JEAN. - Celui-ci permet de transporter à des prix raisonnables les charges partielles qui ne nécessitent pas l'emploi d'un wagon.

    GROSSES MARCHANDISES

    JEAN. - Le Tarif III comprend actuellement 8 classes générales plus une quantité de tarifs spéciaux.

    JACQUES. - De quelle valeur a-t-il été tenu compte pour ranger les marchandises dans ces 8 classes.

    JEAN. - Première classe, les produits dont la valeur est supérieure à 3551 francs la Tonne ;

    Deuxième classe, les produits dont la valeur est comprise entre 2501 et 3550 ;

    Troisième classe, les produits dont la valeur est comprise entre 1751 et 2500 ;

    Quatrième classe, les produits dont la valeur est comprise entre 1101 et 1750 ;

    Cinquième classe, les produits dont la valeur est comprise entre 551 et 1100 ;

    Sixième classe, les produits dont la valeur est comprise entre 351 et 550 ;

    Septième classe, les produits dont la valeur est comprise entre 151 et 350 ;

    Huitième classe, les produits dont la valeur ne dépasse pas 150 francs la tonne.

    JACQUES. - Les tarifs spéciaux sont des dérogations à ce principe.

    JEAN. - Pour satisfaire aux besoins économiques, certaines marchandises sont déclassées. Parfois même on crée des barèmes spéciaux concédant des réductions sur les taxes normales.

    JACQUES. - Je sais.

    JEAN. - Chacune des classes générais est divisée en 3 séries A. B. C.

    JACQUES. - Se rapportant à des chargements de 5, 10 et 15 tonnes pour les quatre premières et de 10, 15 et 20 pour les deux dernières.

    JEAN. - Comme tu le vois, l'obligation de charger les véhicules jusqu'à la limite extrême n'existe pas.

    JACQUES. - Sauf pour certains tarifs exceptionnels.

    JEAN. - Tu ne peux pas déduire de là que l'expéditeur peut effectuer le chargement à sa convenance. Il doit, dans sa demande de matériel, fixer le poids et la nature de la marchandise qu'il désire faire transporter.

    JACQUES. - C'est le chef de gare qui doit déterminer d'une manière judicieuse le matériel à fournir, de façon à concilier les intérêts des parties en présence.

    JEAN. - Juste, sauf lorsque la forme du wagon peut avoir une influence sur la taxe à percevoir.

    JACQUES. - Qu'arrive-t-il si le matériel mis à disposition ne correspond pas au tonnage à transporter ?

    JEAN. - Le client doit absolument charger les véhicules jusqu'à la limite de leur capacité, étant entendu que seul le dernier reçoit le complément de charge, celui-ci peut donc ne contenir que la moitié ou le quart de son tonnage.

    Il ne peut y avoir ni négligence, ni complaisance de ce côté.

    JACQUES. - Ces prescriptions sont établies en vue d'obtenir la meilleure utilisation du matériel roulant.

    JEAN. - C'est d'une grande importance au point de vue rendement.

    JACQUES. - On pourrait, comme dans certains pays, fixer un tonnage minimum par wagon employé et appliquer une surtaxe en cas de mauvaise utilisation, ce serait rationnel.

    JEAN. - Si telle mesure était prise, nos commerçants et industriels auraient vite trouvé le «joint» pour combiner leurs chargements et atteindre le minimum.

    JACQUES. - Cela amènerait un soulagement dans le service des trains.

    JEAN. - Il y aurait évidemment certaines exceptions pour les marchandises dont la nature spéciale ne permet pas de charger 20.000 kilogs dans un wagon de 20 tonnes, par exemple.

    JACQUES. - Ce système n'est-il pas appliqué pour les transports d'animaux et d'équipages.

    JEAN. - Plus grand est le nombre, moins élevée est la taxe à payer par tête d'animal. Il en est de même pour les voitures automobiles et autres véhicules chargés sur un wagon pour lesquels des minima spéciaux sont prévus suivant qu'il y a 1, 2, 3 ou 4 véhicules.

    BACHAGE

    JEAN. - Toutes les marchandises reprises à la Classification Générale, à l'exception de celles marquées d'un astérisque, doivent être transportées en wagons fermés ou découverts bâchés.

    JACQUES. - Celles marquées d'un astérisque suivent un autre régime ?

    JEAN. - Elles sont supposées pouvoir impunément supporter les risques du transport à découvert (houille, sable, etc.). Comme c'est l'Administration qui les désigne, elles voyagent aux risques et périls du transporteur.

    JACQUES. - Si l'expéditeur réclame le transport en wagon découvert, de marchandises qui, d'après le Règlement, doivent être transportées à couvert qu'arrive-t-il ?

    JEAN. - La demande étant reproduite en lettre de voiture, le railway peut dégager sa responsabilité.

    JACQUES. - Cependant, suivant la loi, l'Administration n'est pas autorisée à modifier à son profit les conditions et l'étendue de la responsabilité qui lui incombe.

    JEAN. - Il n'y a pas de dérogation aux mesures légales puisque le mode de transport est formellement exigé par le client.

    JACQUES. - Si le document de transport ne revendique rien du tout.

    JEAN. - On applique les classes générales où, s'il s'agit des 6e, 7e et 8e classes, on taxe avec une augmentation de 10 p. c. sur les prix normaux. Pour les marchandises marquées d'un astérisque, les prix de la 6e, 7e ou 8e simplement.

    JACQUES. - La classification prévoit la 5e classe lorsque certaines marchandises, les fers battus par exemple, sont transportés en wagon découvert et la 4e lorsque l'envoi a lieu en wagon fermé.

    JEAN. - Mais la 5e classe n'est appliquée que sur demande expresse du transport à découvert et non bâché, formulée par l'expéditeur.

    JACQUES. Qu'arriverait-il si l'expéditeur demandait formellement le transport en wagon ouvert bâché pour des marchandises non marquées d'un astérisque.

    JEAN. - Bien que d'après les Conditions Réglementaires, l'envoi doive être effectué à couvert pour satisfaire aux exigences légales visant la responsabilité, le bâchage incombe alors à l'expéditeur et les frais de location sont perçus, en raison de l'obligation de fournir le matériel exigé par le client.

    JACQUES. - Si l'expéditeur fournit des bâches particulières !

    JEAN. - Pour les 6e, 7e et 8e classes, se sont les prix afférents au transport à découvert qui sont appliqués. Ces bâches peuvent également être données en location par le chemin de fer.

    JACQUES. - Cette location fait-elle partie du contrat de transport ?

    JEAN. - Elle constitue une opération indépendante. Le transport à découvert n'est pas transformé en transport à couvert par suite de la prise en location.

    JACQUES. - Une taxe est certainement perçue pour rémunérer le chemin de fer pour mise à la disposition des clients, de bâches pour recouvrir les transports.

    JEAN. - Elle est fixée par le Règlement. En outre, la demande de bâche doit être indiquée en lettre de voiture. Je me permets d'attirer ton attention sur le fait que l'on ne fournit pas de bâches pour recouvrir les envois de chaux, peaux sèches et toutes autres matières en vrac pouvant détériorer le matériel.

    JACQUES. - Quand il est fait usage de bâches particulières, comment procède-t-on ?

    JEAN. - Elles doivent porter le nom du propriétaire et celui de la gare où elles doivent être renvoyées. Elles sont remises au destinataire avec l'envoi.

    JACQUES. - A quelles conditions sont-elles renvoyées au propriétaire ?

    JEAN. - Gratuitement. Il n'est perçu qu'une taxe d'enregistrement et d'avis par envoi en petite vitesse.

    JACQUES. - Le transport étant gratuit, la responsabilité est justement limitée.

    JEAN. - Nous nous arrêterons là sur ce sujet. On pourrait encore épiloguer au sujet de la taxation des wagons fermés ou bâchés en provenance de l'étranger, ou lorsque le bâchage est effectué pour satisfaire aux mesures douanières ou de police.

    JACQUES. - Il existe des instructions spéciales sur la matière publiées par l'Administration et je les connais.

    LETTRE DE VOITURE

    JEAN. - Toutes les prescriptions relatives à l'établissement de la lettre de voiture doivent être scrupuleusement observées.

    JACQUES. - Elle représente le seul document constatant le contrat et ses énonciations constituent, le cas échéant, des éléments d'appréciation pour la justice.

    JEAN. - Excepté pour la mention relatant le nombre de colis composant une charge complète lorsque la vérification par les agents du chemin de fer, n'est pas réclamée.

    JACQUES. - Pour les colis affranchis, on emploie cependant un bulletin d'expédition.

    JEAN. - En ce qui concerne les relations intérieures belges, oui, et ce bulletin remplace la lettre de voiture.

    JACQUES. - J'ai déjà remarqué que certains expéditeurs ne se servent pas des documents vendus par l'Administration et emploient des formulaires leur appartenant.

    JEAN. - Ils le peuvent, pourvu que ces bulletins d'expédition ou lettre de voiture soient exactement conçus, sous toutes leurs formes, comme les modèles officiels et portent le timbre leur conférant l'agréation de l'Administration.

    JACQUES. - C'est naturel. Sans cela, on aurait des documents de toutes les couleurs et de toutes les formes.

    JEAN. - Les énonciations à porter en lettre de voiture d'après les Conditions Réglementaires doivent absolument être inscrites par l'expéditeur.

    JACQUES. - Les agents ne peuvent-ils établir les lettres de voiture, j'en ai déjà fait moi !...

    JEAN. - Tu as eu tort. C'est strictement défendu. Tu peux et tu dois même en faciliter l'établissement au client, en lui donnant aimablement les renseignements dont il pourrait avoir besoin, mais rien de plus. Ta façon d'agir était répréhensible et en cas de contestation, tu aurais pu en ramasser pour «quatre sous».

    JACQUES. - Savais pas, hein, moi !...

    JEAN. - Je ne saurais trop te répéter qu'on doit toujours agir prudemment. Ainsi, lorsque les cadres réservés aux indications relatives au remboursement, débours, affranchissement au départ, intérêt à la livraison, etc... ne renferment aucune inscription au moment de l'acceptation de l'envoi, il faut absolument barrer à l'encre indélébile toutes ces cases, d'une façon qui ne permette pas une «ajoute» ultérieure.

    JACQUES. - Que doit-on faire pour des envois comportant une des mentions spéciales afférentes soit au remboursement, débours, intérêt à la livraison, soit à l'admission sous certaines conditions spéciales ou lorsque l'envoi voyage sous le régime de la douane.

    JEAN. - Exiger une lettre de voiture distincte.

    JACQUES. - Quelle chinoiserie !...

    JEAN. - Pas du tout. Ces mesures sont nécessaires pour sauvegarder les intérêts des parties en présence.

    JACQUES. - Peut-on faire intervenir le nom d'un intermédiaire ?

    JEAN. - Non, la lettre de voiture ne peut indiquer qu'un destinataire. Ainsi, une inscription de ce genre ne peut être tolérée. «A M. Tampon par l'entremise de Jean-Jacques» mais celle-ci peut être admise : «A M. Tampon pour être remis à M. Jean-Jacques». Ici, c'est M. Tampon qui est le destinataire pour le chemin de fer.

    JACQUES. - Parfais, on découvre des désignations baroques comme indication de la nature de la marchandise «Tennisol», par exemple.

    JEAN. - Cela ne peut pas se faire. On doit renseigner la marchandise de la façon prévue à la classification, quand celle-ci la mentionne.

    JACQUES. - Qui est-ce qui doit inscrire les marques et numéros des hg. ?

    JEAN. - C'est l'agent, lorsque le chargement est fait par nous. Dans le cas contraire, ce soin incombe exclusivement à l'expéditeur et nous ne pouvons l'effectuer à sa place, mais nous devons nous rendre compte de l'exactitude de ces renseignements.

    JACQUES. - Tout cela évidemment au point de vue de la responsabilité.

    JEAN. - Le bénéfice des tarifs spéciaux n'est accordé que sur revendication expresse formulée en lettre de voiture.

    JACQUES. - Ça se comprend, puisque ces transports jouissent d'un régime spécial : réduction, limitation des délais, etc...

    JEAN. - Les lettres de voiture afférentes à des envois adressés à des destinataires habitant des endroits dépourvus de gare, doivent indiquer la station qui sera chargée de la livraison.

    JACQUES. - Quand il s'agit de transports devant emprunter les chemins de fer vicinaux, comment les documents doivent-ils être rédigés ?

    JEAN. - Il n'y a aucun obstacle à ce qu'ils soient établis directement, mais la rédaction doit être différente suivant que l'envoi part de la grande ligne pour le vicinal ou d'un vicinal pour un autre vicinal, en transit par la grande ligne.

    JACQUES. - Je me rappelle, il y a une instruction qui donne les indications utiles à ce sujet.

    JEAN. - Permets-moi encore d'attirer ton attention sur ceci : Il arrive que certaines villes, Liège, par exemple, possèdent plusieurs gares : Liège-Longdoz, Liège-Guillemins, Liège-Vivegnis, Liège-Palais, Liège-Haut-Pré et bientôt probablement Liège-Exposition. Dans ce cas, il est indispensable de faire remarquer à l'expéditeur qu'il doit préciser la gare, afin d'éviter tout malentendu.

    JACQUES. - Remarque judicieuse.

    JEAN. - Lorsque l'envoi est à destination d’une gare ou d'une localité dont le nom peut être confondu avec celui d'une autre, l'expéditeur doit inscrire le nom de cette gare tel qu'il figure dans les documents officiels. En ce qui concerne Villers par exemple, nous avons des gares, haltes ou points d'arrêt à : Villers-Juprelle, Villers-la-Tour, Villers-la-Ville, Villers-le-Gambon, Villers-notre-Dame, Villers-Perwin, Villers-Poterie, Villers-sur-Lesse-Jamblinne, Villers-sur-Semois.

    JACQUES. - Pour les petits colis, nous avons encore : Villers-aux-Tours, Villers-Deux-Eglises, Villers-devant-Orval, Villers-en-Fagne, Villers-la-Bonne-Eau, Villers-la-Loue, Villers-le-Bouillet, Villers-le-Peuplier, Villers-le-Temple, Villers-l'Evêque, Villers-lez-Hoest, Villers-Saint-Amand, Villers-Saint-Symphorien, Villers-Saint-Siméon, Villers-Sainte-Gertrude. Dans un fouillis pareil, il est temps d'être précis.

    JEAN. - Quand d'autres documents sont joints à la lettre de voiture, il doit en être fait mention dans le cadre à ce réservé.

    JACQUES. - Beaucoup de choses à observer pour un simple formulaire.

    JEAN. - Si nous voulions procéder à un examen approfondi, nous pourrions encore discuter pendant des heures entières, sans pour cela parvenir à épuiser le sujet. Tiens, j'oubliais encore de te dire que certains expéditeurs, ignorant qu'ils ne peuvent faire aucune inscription ayant le caractère d'une correspondance, écrivent quelques mots sur la lettre de voiture. Cela ne peut sous aucun prétexte être toléré.

    JACQUES. - Pourquoi ?

    JEAN. - Parce que les correspondances relèvent du domaine de la Poste et que ce serait frustrer le Trésor.

    Seules, quelques annotations anodines et spécifiées par le Règlement sont permises.

    JACQUES. - Jamais, je n'aurais pensé à cela !

    JEAN. - Avant de terminer ce chapitre, il est nécessaire que je te rappelle qu'une mention spéciale doit figurer en lettre de voiture quand il y a exonération de responsabilité pour manque ou insuffisance d'emballage. Il en est de même dans le cas où les wagons sont cadenassés ou plombés par l'expéditeur, celui-ci s'en réservant par là l'usage exclusif ou quand la marchandise est transportée à découvert bien que le Règlement prescrive l'emploi de wagons couverts.

    JACQUES. - Je me souviens très bien.

    JEAN. - II y a tant de particularités, qu'il est très facile d'en omettre. Encore ceci : certains expéditeurs rédigent leurs lettres de voiture le jour précédant celui de la remise au transport et de ce fait, elles sont antidatées.

    JACQUES. - Que doit-on faire ?

    JEAN. - S'il n'est pas possible de les faire modifier, on peut les accepter telles qu'elles, en portant une mention relative à cette restriction. De toutes façons, c'est le timbre à date qui fait foi.

    JACQUES. - Il se recommande donc de ne l'apposer que lorsque le chargement des wagons est complètement terminé.

    JEAN. - A partir de ce moment, le chemin de fer est responsable de l'envoi qui lui est confié.

    JACQUES. - Aussi le timbre d'acceptation ne doit-ii jamais être apposé sans que le personnel ait vérifié scrupuleusement l'expédition sous tous les rapports.

    PESAGE

    JEAN. - La loi ordonne à l'expéditeur d'indiquer le poids de l'envoi sur la lettre de voiture ou le bulletin d'expédition.

    JACQUES. - Bien souvent, pour les envois effectués aux classes des tarifs I, II et charges incomplètes, l'expéditeur n'indique le poids qu'après que celui-ci lui a été renseigné par le chemin de fer.

    JEAN. - C'est une tolérance, accordée par les Conditions Réglementaires, mais nous sommes rémunérés pour cette opération.

    JACQUES. - Et pour le tarif III ?

    JEAN. - L'expéditeur peut demander en lettre de voiture, la vérification du poids qu'il renseigne, la taxe est évidemment perçue.

    JACQUES. - Est-il permis de demander en lettre de voiture le pesage à l'arrivée ?

    JEAN. - Non, cette opération à l'arrivée peut seulement être exigée par le destinataire, lequel est astreint à payer une taxe plus élevée que celle au départ.

    JACQUES. - Pourquoi plus élevée ?

    JEAN. - Parce que les prestations ne sont pas les mêmes qu'au départ. Il arrive que la gare de destination ne possède pas d'engins pour effectuer cette opération et que l'on est obligé de diriger l'envoi, en service sur une autre gare pourvue d'une bascule, d'où frais supplémentaires.

    JACQUES. - C'est ça.

    JEAN. - En outre, le délai accordé pour le déchargement étant suspendu à partir du moment où la demande de pesage est faite, certains clients craignant de devoir payer des frais de chômage usent de ce procédé, pour gagner du temps.

    JACQUES. - Si à l'arrivée on constate qu'il y a eu fausse, déclaration !

    JEAN. - Les amendes prévues car le Règlement sont perçues. Seule la vérification du poids demandée en lettre de voiture, au départ, par l'expéditeur l'exonère.

    JACQUES. - Pendant certaines périodes où le trafic est chargé, on ne peut effectuer le pesage au départ, que doit-on faire alors ?

    JEAN. - Comme cette opération est obligatoire pour le chemin de fer, l'envoi doit absolument être pesé, soit en cours de route, soit à destination et mention doit en être faite sur la feuille de route.

    JACQUES. - Cette partie du service nécessite également des écritures comptables, des rectifications de taxes, parfois l'intervention d'un agent de la police judiciaire, lorsque le poids est contesté.

    JEAN. - On constate quelquefois pendant le transport que les ressorts du wagon sont aplatis, qu'il y a surcharge pouvant devenir dangereuse. Le transbordement est, rarement, il est vrai, jugé nécessaire.

    JACQUES. - Il y a encore les précautions à prendre pour ne pas fausser le résultat des pesées.

    JEAN. - Tu vois que chaque service à son importance et qu'on a grand tort de ne pas approfondir. Je ne te parlerai pas de la mise en compte des taxes de pesage et de leur répartition ; c'est de la comptabilité.

    JACQUES. - Tu ne dis mot des pesages d'office que nous effectuons lorsque le service le permet.

    JEAN. - Tu as raison, il y a une prime pour ceux qui découvrent des irrégularités. En règle générale, les expéditeurs habituels renseignent des poids exacts ou à peu près, car il faut tenir compte de ce que les bascules varient. Cependant il est encore certains clients, peu scrupuleux, qui n'hésitent pas à faire de fausses déclarations lorsqu'ils savent que le service de gare est très chargé et qu'on se trouve dans l'impossibilité de vérifier leurs allégations.

    JACQUES. - Ah ! Ça... il est bon de veiller au grain. L'Administration serait frustrée d'une partie de la taxe, sans compter que cette manière d'agir pourrait amener des accidents.

    EMBALLAGE

    JEAN. - Les Conditions Réglementaires mentionnent les marchandises qui peuvent être transportées sans être emballées.

    JACQUES. - Toutes les autres doivent être conditionnées de façon à pouvoir supporter les manipulations ordinaires inhérentes au transport.

    JEAN. - Nous avons déjà parlé de la déclaration de non responsabilité à exiger lorsque les marchandises sont présentées sans emballage ou avec un emballage jugé insuffisant.

    JACQUES. - En aucun cas, il ne doit permettre les soustractions sans effraction.

    JEAN. - Tu sais avec quelle attention et pour quelles raisons on doit se montrer difficile sous ce rapport.

    OBJETS ACCEPTES SOUS CONDITIONS SPECIALES

    JEAN. - Les Règlements déterminent quels sont les objets qui sont admis au transport moyennant l'observation de prescriptions spéciales.

    JACQUES. - C'est ce que nous appelons l'annexe V.

    JEAN. - Ainsi certains objets nécessitent des précautions par suite de leur poids ou de leurs dimensions.

    JACQUES. - Les chargements ne peuvent dépasser les dimensions du gabarit !

    JEAN. - C'est pour cette raison qu'on a fixé des limites maxima en hauteur et en largeur. Il ne faut pas que la marchandise puisse atteindre les trains qui passent à contre-voie, pas plus que les ouvrages d'art situés sur le trajet à parcourir.

    JACQUES. - Il s'agit là de transports extraordinaires qui ne se présentent pas tous les jours.

    JEAN. - Il est d'autres produits ou objets qui ne sont acceptés que sur production de certaines pièces ; la tuberculine, par exemple.

    JACQUES. - Qu'est-ce ?

    JEAN. - C'est la culture destinée à la vaccine des bovidés pour permettre de diagnostiquer la tuberculose. Ce produit doit absolument être accompagné d'un certificat du Ministère de l'Agriculture.

    JACQUES. - Mesure prise par la police sanitaire des animaux domestiques, en vue de la préservation de notre cheptel.

    JEAN. - Les tabacs qui sont soumis à une réglementation sévère au point de vue fiscal.

    JACQUES. - Les transports doivent être accompagnés de documents spéciaux. J'ai déjà entrevu l'instruction, elle comporte quelques pages !

    JEAN. - Des dispositions spéciales règlent également le transport des poissons et écrevisses.

    JACQUES. - En temps prohibé, le transport est interdit. Ça se comprend.

    JEAN. - Sauf pour les poissons provenant de réservoirs ou fossés, lorsqu'ils sont accompagnés de certificats ne laissant subsister aucun doute sur l'authenticité de la provenance indiquée. La loi sur la pêche interdit le transport des poissons n'ayant pas atteints certaines dimensions.

    JACQUES. - Je ne me vois pas bien, un mètre pliant en mains, mesurant de la tête à la queue, la longueur de ces «bestioles».

    JEAN. - Le personnel doit cependant connaître et appliquer les instructions publiées à ce sujet. Il en est de même pour les envois de levure qui doivent porter les marques et étiquettes exigées.

    JACQUES. - Les documents de transport doivent reproduire exactement la nature de la marchandise présentée.

    JEAN. - La saccharine et les produits similaires sont interdits, de même que la cocaïne, la morphine, la diacétylmorphine (héroïne), stupéfiants dont les effets sont désastreux.

    JACQUES. - On en expédie cependant aux pharmaciens.

    JEAN. - Avec une autorisation spéciale du Ministère. Ces mesures sont prises afin de sauvegarder la santé publique. Tu n'ignores pas que la saccharine sucrant très fort n'a aucune des propriétés nutritives du sucre et que certains commerçants peu scrupuleux n'hésitent pas à en faire usage.

    JACQUES. - On falsifie déjà tant nos denrées alimentaires !

    JEAN. - Le transport du sucre, de la margarine et des graisses alimentaires est également soumis à des prescriptions spéciales.

    JACQUES. - Nous devons donc veiller à ce que ces envois remplissent bien toutes les conditions requises avant de les accepter.

    JEAN. - Il en est de même pour les envois d'eaux-de-vie et liqueurs qui doivent être accompagnés de documents spéciaux.

    JACQUES. - Nous avons pour obligation de les contrôler, en vue d'assurer la perception des droits d'accise très élevés et de prêter notre concours aux fonctionnaires chargés de constater les délits.

    JEAN. - Le transport de la céruse (carbonate de plomb) ; ce produit vénéneux, en poudre, en morceaux ou en pains, employé en peinture est interdit. La pâte broyée seule, est autorisée.

    JACQUES. - Cependant on en transporte ?

    JEAN. - Lorsqu'elle est destinée à d'autres usages et dans les limites précisées par la loi.

    JACQUES. - Oh ! ma tête !...

    JEAN. - Ce n'est pas encore tout, loin s'en faut. D'autres produits, comme les plantes et arbustes sont quelquefois soumis à des interdictions pour éviter la propagation de certaines maladies.

    JACQUES. - Je sais, ils doivent être accompagnés d'un certificat phi... phi, je ne sais plus comment...

    JEAN. - Phytopathologique. Ce mot barbare signifie qui appartient à la médecine de la botanique. C'est-à-dire un document attestant que les plantes sont exemptes de germes nuisibles, tel que la gale verruqueuse pour les pommes de terre, par exemple.

    JACQUES. - C'est désespérant !...

    JEAN. - En ce qui concerne le gibier, on recommande d'en surveiller le transport pendant les périodes, où la chasse est fermée.

    JACQUES. - Certains envois sont néanmoins admis toute l'année.

    JEAN. - Parmi ceux-ci, nous découvrons le sanglier et les espèces de gibier qui n'appartiennent pas à notre faune tels, le renne, le lièvre blanc de Russie, les colins d'Amérique, les faisans de lady Amherst, etc...

    JACQUES. - Serais-tu devenu ornithologue ?

    JEAN. - Comme il faut de temps en temps un mot pour rire, même lorsqu'il s'agit de choses sérieuses, permets-moi de te rappeler certains passages, pris au hasard dans l'imposante collection des instructions spéciales. L'un, nous informe qu'à l'époque où le tir du chevreuil mâle est seul permis, le transport n'est autorisé que si l'animal porte apparemment les attributs de son sexe : cornes, bourse, fourreau. L'autre, relatif aux envois de veaux mâles, à certaines périodes, nous prévient que nous ne pouvons les accepter que si les organes sexuels sont adhérents, de façon à permettre aux agents de déceler immédiatement s'il s'agit du sexe fort ou faible.

    JACQUES. - Ça ne nécessite tout de même pas de grandes connaissances physiologiques !...

    JEAN. - Les hiboux, grands-ducs, geais, pies, corbeaux et corneilles peuvent également être transportés.

    JACQUES. - Les oiseaux de proie nocturnes et diurnes parce que ce sont des destructeurs de souris, rats, surmulots, etc., les autres parce qu'ils sont plutôt nuisibles.

    JEAN. - Il y a également une réglementation au sujet du transport des linottes et pinsons aveuglés.

    JACQUES. - En vue de réprimer cette pratique barbare !

    JEAN. - Cruauté bien inutile, qui doit être sévèrement réprimée. Je ne dirai plus que quelques mots sur cette partie...

    JACQUES. - J'en ai «marre» !...

    JEAN. - Inutile de nous étendre sur les transports d'explosifs, les Conditions Réglementaires sont assez explicites à ce sujet.

    JACQUES. - Les négligences dans cette partie du service pourraient avoir des conséquences excessivement graves. Il va de soi qu'il ne doit, sous aucun prétexte, être dérogé aux mesures prescrites par l'Administration.

    JEAN. - D'autres matières facilement inflammables et produits chimiques dangereux ou toxiques doivent attirer spécialement la vigilance des agents et ne peuvent être acceptés que s'ils remplissent les conditions formelles, stipulées par le Règlement.

    JACQUES. - Chacun de ces produits est soumis à une réglementation particulière inhérente à sa nature propre.

    JEAN. - Ou malpropre, les chiques humides de tabac fermenté laissant exsuder de la sauce, la fiente et les déchets de poissons sont des exemples. Ces produits pourraient imprégner d'une odeur fétide ou détériorer les marchandises avec lesquelles ils viendraient en contact.

    JACQUES. - Mesure d'hygiène comme pour les transports de viande, issues et résidus de boucherie.

    JEAN. - J'oubliais encore de te dire que le chemin de fer n'est pas tenu de transporter les meubles manifestement infestés de punaises.

    JACQUES. - N'en jette plus la cour est pleine !

    JEAN. - Deux mots seulement. Je veux attirer ton attention sur ce que les prescriptions de la Convention phylloxérique doivent être scrupuleusement respectées.

    JACQUES. - Bon Dieu, qu'est-ce que c'est encore de ça ?

    JEAN. - En vue d'éviter les ravages formidables occasionnés par l'insecte appelé phylloxéra, qui s'attaque aux tiges et aux racines de la vigne, les Gouvernements se sont mis d'accord pour exiger des certificats et des attestations officielles pour le transport des sarments de vigne susceptibles d'être infestés de ce parasite. En cas de présentation d'un envoi de l'espèce, on doit consulter les dispositions de cette Convention.

    JACQUES. - Ouf ! Je sens ma boîte crânienne qui se soulève !...

    JEAN. - Les mesures prises par le Gouvernement au sujet de la police sanitaire intéressent également le chemin de fer.

    JACQUES. - J'ai déjà lu certaines instructions relatives aux mesures d'interdiction d'entrée et de sortie ou de surveillance spéciale, édictées par le Gouvernement en vue de parer aux épizooties.

    JEAN. - Comme la morve, la clavelée, le farcin et la stomatite aphteuse.

    JACQUES. - Nous devons assurer, dans notre domaine, l'application de ces mesures de protection.

    PRESCRIPTIONS DOUANIERES ET FISCALES

    LICENCES

    JEAN. - Indépendamment de l'application des nombreuses taxes mentionnées au Tarif pour l'accomplissement des formalités douanières, il y a encore une multitude d'instructions spéciales concernant la douane, le fisc, le droit de timbre, restrictions à l'entrée ou à la sortie.

    JACQUES. - L'Administration publie des instructions pour se conformer aux lois spéciales dans ce qu'elles ont de commun avec l'exploitation du chemin de fer.

    JEAN. - Certaines marchandises ne peuvent être exportées que sur production d'une licence, émanant d'un Ministère.

    JACQUES. - Les documents de transport relatifs aux envois vers l'étranger de produits soumis à restriction doivent être accompagnés d'une licence d'exportation.

    JEAN. - Pour te montrer combien c'est simple, je ne prendrai qu'un exemple : Ainsi tu apprendras entr'autres, qu'une licence est nécessaire pour expédier des armes dans les îles situées dans la zone maritime comprise par la Mer Rouge, le golfe d'Aden, le golfe Persique et la partie de la mer d'Oran enclavée entre la côte d'Arabie et une ligne idéale qui, approximativement, peut être figurée comme reliant l'Ile Socotora à la frontière orientale de la Perse

    JACQUES. - Au secours... qu'on me fournisse vite une mappemonde, car je renonce à m'idéaliser cette affaire là...

    JEAN. - En vertu d'arrangements conclus avec d'autres pays, certaines marchandises doivent être accompagnées d'un certificat d'origine, attestant officiellement l'authenticité de la provenance indiquée.

    JACQUES. - Outre ces documents, tout envoi non soumis à des droits d'accise, exporté de Belgique, doit voyager sous le couvert d'une déclaration de libre sortie.

    JEAN. - Les agents doivent veiller à ce que ces pièces soient rédigées conformément aux instructions afin de ne pas susciter des inconvénients avec le service de la douane.

    JACQUES. - Les marchandises circulant dans le rayon, réservé de la douane sont également soumises à des prescriptions spéciales.

    JEAN. - Production d'un passavant, conditions particulières de la lettre de voiture, circulation des tabacs, eau-de-vie, etc...

    JACQUES. - Quel fatras !...

    JEAN. - A l'importation, certaines marchandises sont également assujetties au régime des licences ; l'établissement de la déclaration en douane est différent suivant qu'il s'agit de marchandises libres ou susceptibles d'être taxées par la douane.

    JACQUES. - La contenance, le poids, le volume et la valeur, selon le cas, doivent être indiqués. Je sais, par ouï dire, que les recherches sont laborieuses.

    JEAN. - Le tarif des douanes comporte plus de 1200 rubriques composées de nombreuses subdivisions. De plus, on doit consulter une grosse brochure de commentaires qui malheureusement, n'a pas de table des matières, ni de table alphabétique.

    JACQUES. - C'est pas fort bien conçu c'truc là !...

    JEAN. - Ces instructions n'ayant qu'un caractère particulier, je passerai rapidement sur cette partie pourtant intéressante à plus d'un point. Pour les marchandises destinées à recevoir une main d'œuvre en Belgique, la loi autorise l'entrée, sous condition. Il est délivré un acquit à caution ou un acquit de transit.

    JACQUES. - Je m'y perds !...

    JEAN. - Certains produits sont déclarés en détail et vérifiés au bureau de la douane situé à la frontière, d'autres le sont dans les entrepôts de la douane situés à l'intérieur du pays.

    JACQUES. - Les agents doivent veiller à ce que le destinataire d'un envoi ne puisse l'enlever, tant que les formalités douanières requises n'ont pas été opérées.

    JEAN. - Je te signalerai encore pour mémoire, les mesures accessoires suivantes, indépendantes du contrat de transport proprement dit. Celles-ci occasionnent néanmoins beaucoup de besogne.

    JACQUES. - Encore...

    JEAN. - La taxe de transmission variant suivant l'espèce de marchandise. Posséder à fond les instructions relatives à l'application de cette taxe est chose aussi impossible que le problème de la quadrature du cercle.

    JACQUES. - Ca va tout seul cependant : 4, 2 ou 1 %, selon le cas.

    JEAN. Ah ! ouich ! C'est l'application courante. Mais je veux dire la connaissance approfondie de la matière. Il y a encore la taxe de consommation sur les boissons fermentées mousseuses, eaux minérales, alcools, vins mousseux - présentation à la douane de ces produits.

    JACQUES. - Le fisc est exigeant, c'est l'inquisition accisienne !

    JEAN. - Décharge des droits d'accise pour les sucres.

    JACQUES. - Formalités pour le transport des tabacs fabriqués et non fabriqués.

    JEAN. - Les fameuses bandelettes de M. Theunis. Le régime fiscal des allumettes, décharge des droits en cas d'exportation et des briquets à l'importation.

    JACQUES. - La taxe de luxe sur certaines marchandises importées.

    JEAN. - Le droit de statistique sur les marchandises exportées et importées.

    JACQUES. - Une poule n'y retrouverait pas ses poussins.

    JEAN. - Tu vois que je ne mentais pas, lorsque je te disais qu'il faudrait des milliers d'heures de conversation pour épuiser les nombreux problèmes à élucider. Cependant, la non observation de toutes ces particularités peut entraîner les plus graves conséquences pour l'Administration, car il ne faut pas oublier qu'elle est responsable des agissements de ses agents. En cas de difficultés, la Douane pourrait mettre à charge du chemin de fer les droits et amendes afférents aux formalités irrégulièrement accomplies.

    JACQUES. - Aie au moins pitié de mes méninges horriblement fatiguées.

    JEAN. - Nous nous arrêterons ici. Je ne te parlerai pas des nombreuses opérations de chargement et de déchargement des wagons, de surveillance spéciale, du plombage des wagons, des transports de meubles, des wagons roulant sur essieux, transports funèbres, animaux vivants, etc...

    JACQUES. - Toutes ces choses courantes sont suffisamment connues ou définies par les conditions réglementaires pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en causer.

    JEAN. - Ni des opérations comptables au départ et à l'arrivée, insuffisance de taxes, détaxes, création des documents de route, des versements, concordance des comptes, frais de chômage, vérification de contrôle de départ et d'arrivée, mise en compte des timbres destinés à affranchir les colis des tarifs I et II, etc., etc., etc...

    JACQUES. - Cela relève plutôt du domaine de la comptabilité et tu ne les connais pas suffisamment pour en parler en connaissance de cause... C'est vraiment dommage !... Car c'est avec un réel plaisir que j'ai écouté votre cours, M. le Professeur !...

    JEAN. - Dis plutôt, un aperçu donnant un résumé d'une partie des connaissances nécessaires aux agents de l'Exploitation.


    CINQUIEME PARTIE

    VOYAGEURS

    JEAN. - Ne crois pas que je vais te ressasser les innombrables détails inhérents à l'exécution du service des voyageurs. Je ne gaspillerai pas mon temps à t'expliquer la manipulation de la presse à timbrer, ni à te donner les raisons majeures pour lesquelles un contrôleur facétieux préfère délivrer, à une affriolante fille d'Eve, une troisième Jambes entière, plutôt qu'un quart de place simple.

    JACQUES. - Parlons sérieusement. Comme pour les autres sujets, nous n'examinerons que les principes qui servent de bases au tarif des Voyageurs et Bagages.

    JEAN. - La loi du 25 août 1891 sur le contrat de transport qui a fait l'objet d'un de nos entretiens antérieurs est également applicable au trafic des voyageurs et bagages.

    JACQUES. - Et en cas d'accident ?

    JEAN. - Ce sont uniquement les dispositions du droit commun qui sont prises en considération.

    JACQUES. - C'est tout ce qu'il y a comme législation !

    JEAN. - Est encore à considérer, la loi du 4 avril 1895 relative à la police des voyageurs et des trains.

    JACQUES. - Où niche-t-elle ?

    JEAN. - Dans les instructions publiées par l'Administration.

    JACQUES. - En somme, les Conditions Réglementaires et les barèmes que nous manipulons journellement renferment tout ce qui a trait au transport des voyageurs et bagages.

    JEAN. - Parfaitement. Le voyageur qui fait l'acquisition d'un billet ou qui demande une carte d'abonnement, conclut avec le chemin de fer un contrat et accepte toutes les conditions imposées, qu'aux termes de la loi, il est sensé connaître.

    JACQUES. - L'Administration ayant donné la publicité nécessaire et le voyageur pouvant à tous moments consulter les documents officiels, il n'a aucun motif d'ignorance à invoquer.

    JEAN. - Certains tarifs à voyageurs indiquaient jadis des prix tout faits.

    JACQUES. - Les internationaux !

    JEAN. - Oui, mais aujourd'hui, par suite de la variation fréquente de la valeur des monnaies, les prix s'établissent par l'addition des parts des réseaux de chaque pays emprunté.

    JACQUES. - Toutes complications nées de la guerre.

    JEAN. - Les tarifs intérieurs indiquent le prix à percevoir pour une kilométrie donnée.

    JACQUES. - Il ne pourrait guère en être autrement. Le grand nombre de bureaux en relations nécessiterait un volume d'une épaisseur telle, qu'il deviendrait difficile à consulter et n'offrirait d'ailleurs pas un grand avantage.

    JEAN. - D'autant moins que l'établissement du prix, avec les éléments dont on dispose, est très facile.

    JACQUES. - Comme pour le trafic des marchandises, je suppose qu'on n'a pas toujours calculé par kilomètre.

    JEAN. - Ce système n'est employé que depuis 1880, précédemment on comptait par lieue.

    JACQUES. - La méthode actuelle est plus judicieuse. La taxe perçue représenta mieux le prix du parcours réellement effectué. En calculant par lieues, on exagérait.

    JEAN. - Ce n'était pas rationnel.

    JACQUES. - Comment établit-on les distances en kilomètres ?

    JEAN. - D'axe en axe des bâtiments des recettes des gares, par la voie la plus courte.

    JACQUES. - Comment la plus courte ?

    JEAN. - Certains cas peuvent se présenter, comme dans la fig. 1, où le convoi pour des raisons de service ou de desserte emprunte le chemin A B C D pour se rendre à E ; on ne considère que la longueur A B D E sans tenir compte du trajet B C D.

    Fig. 1.

    JACQUES. - Compris.

    JEAN. - On conçoit facilement avec quelle aisance, on peut établir le total kilométrique des voyages malgré la multiplicité des relations possibles.

    JACQUES. - On a qu'à additionner les parcours partiels et arrondir au kilomètre la fraction qui se présente.

    JEAN. - Il y a des barèmes proportionnels et des barèmes décroissants.

    JACQUES. - Notre barème à voyageurs est du premier genre et les barèmes d'abonnements du second genre.

    JEAN. - Jusqu'en 1897, on appliquait une surtaxe de 25 p. c. aux voyageurs qui utilisaient les trains express.

    JACQUES. - C'était juste. Ces trains sont à marche plus rapide et les voitures plus luxueuses et plus confortables.

    JEAN. - On éprouve toujours plus de plaisir à être transporté dans une limousine d'allure souple et moelleuse que dans une carriole où l'on danse un charleston effréné tout le long du voyage. Cela devrait évidemment se payer.

    Jadis, on percevait également un supplément en 2e et en 3e classes pour l'usage des trains internationaux.

    JACQUES. - A mon avis, cela était encore logique, mais on aurait dû y comprendre les premières classes. Ces deux suppléments devraient être rétablis. En règle générale, ce sont des étrangers bénéficiant d'un taux de change élevé, des hommes d'affaires gagnant souvent énormément d'argent, gens fortunés qui utilisent ces trains.

    JEAN. - Tu as raison. Peut-être y reviendra-t-on !

    JACQUES. - Espérons-le !

    JEAN. - Nous n'avons plus maintenant que la division par classes.

    JACQUES. - Antérieurement, nous en avions quatre, aujourd'hui, nous n'en possédons plus que trois. Entre parenthèses, les premières ne sont plus guère utilisées.

    JEAN. - La guerre, mon cher, toujours elle, notre pauvre petit pays qui s'est couvert de gloire sur les champs de bataille est bien décati au point de vue économique, c'est le porte-monnaie qui est malade.

    JACQUES. - Hélas ! Ne vaudrait-il pas mieux fermer les yeux sur la situation nouvelle, tellement cela paraît monstrueux.

    JEAN. - Que veux-tu ! Ceux qui naguère, penchés sur les cartes du «front» constellées de drapelets, suivaient le plus anxieusement les modifications des courbes sanglantes, recherchent maintenant non moins avidement à profiter des brusques soubresauts de la Bourse qui sont une conséquence de ce sanglant «raz de marée».

    JACQUES. - C'est terrible... ce que tu dis là. Dans ce bas monde, il n'y a malheureusement que les apparences qui sont traitées sérieusement.

    JEAN. - Laissons ca... Revenons-en à nos pacifiques voyageurs.

    JACQUES. - Il y a tout de même une «rude» différence entre les prix payés actuellement et ceux perçus en 1914.

    JEAN. - Tu veux parler de la comparaison des bases. Je vais, encore une fois, satisfaire ta curiosité.

    JACQUES. - Je suis attentif.

    JEAN. - En 1914, ces bases étaient fixées comme suit :

    JACQUES. - Ces chiffres semblent baroques avec cette queue de décimales.

    JEAN. - Pas tout de même aussi longue que celle du «Doudou», dont il a été parlé dans un rapport de joyeuse mémoire et que nous avons déjà rappelé précédemment.

    JACQUES. - C'était un hors d'œuvre. Ils sont parfois nécessaires, c'est si sain de se dilater, de temps en temps, la rate, surtout quand on est obligé de se la fouler !

    JEAN. - A première vue, on se demande ce que cette série de chiffres vient faire et l'on pense qu'un seul nombre serait suffisant. Mais, comme toutes choses, ces bases ont leur histoire et celles susnommées résultent des nombreuses modifications subies par le tarif de 1851 qui lui, attribuait : 0,04, 0,06 et 0,08 respectivement pour la 3e, 2e et 1re classes.

    JACQUES. - Inutile de me «bourrer le crâne» avec cet historique. Cette situation est passée et bien passée, elle ne reviendra plus, on peut en être certain.

    JEAN. - Soit. Les bases actuelles sont de 0,21, 0,365 et 0,53 pour les 3e, 2e et 1re classes. Si l'on rapproche ces chiffres de ceux de 1914, on constate un coefficient de 5,55, 5,72 et 5,65. C'est-à-dire que les prix d'avant la guerre doivent être multipliés par ces chiffres pour trouver la taxe actuelle (note 266).

    JACQUES. - Tu ne tiens pas compte de l'arrondissement des taxes et cependant, depuis la mise en vigueur du nouveau système, il est très important puisqu'on arrondit le chiffre trouvé, en multipliant la base par la kilométrie, au 0,10, 0,50 et parfois franc supérieur, selon le cas.

    JEAN. - En tenant compte de cette particularité, on peut dire que le coefficient moyen est de 5,7 (note 266).

    JACQUES. - Pour sacrifier au nouveau vocabulaire, permets-moi de te dire que cela n'atteint pas encore le taux-or qui est de 7, au moins, et situe le prix des billets ordinaires de chemins de fer bien en dessous du prix des matières premières indispensables au chemin de fer et des denrées en général. Celles-ci atteignent un multiplicateur de 10 à 18 et parfois plus encore.

    JEAN. - Cependant, partout, on crie que les prix des billets sont trop élevés.

    JACQUES. - La maladie du porte-monnaie dont nous parlions, il n'y a qu'un instant, en est la cause.

    REDUCTIONS ACCORDEES AUX VOYAGEURS

    JEAN. - Avant la guerre, une réduction de 20 p. c. était accordée sur le prix des billets aller et retour.

    JACQUES. - Cette façon de procéder diminuait les prestations à fournir par le chemin de fer ; le voyageur ne se présentait qu'une seule fois au guichet, au lieu de deux et on ne délivrait qu'un ticket.

    JEAN. - Ces considérations ne sont pas suffisantes pour compenser l'énorme perte que le railway subissait avec ce régime.

    JACQUES. - Quel était le motif de l'octroi de cette faveur ?

    JEAN. - Je ne le connais pas. Le chemin de fer n'avait pas cependant à craindre, à cette époque du moins, la concurrence automobile.

    JACQUES. - Ce n'est pas comme maintenant !

    JEAN. - De plus, en règle générale, le voyageur qui effectuait un voyage devait forcément revenir. Il n'était dès lors pas logique de concéder une réduction à un voyageur qui exécutait deux fois un trajet de 25 kilomètres et qui utilisait deux fois le chemin de fer, d'où source plus grande de dangers, alors qu'on n'en accordait pas à un client qui accomplissait un parcours de 50 kilomètres, en une seule fois.

    JACQUES. - C'est juste. Je ne vois aucun argument à présenter contre cette thèse.

    JEAN. - Quant aux réductions accordées aux enfants et aux militaires, on peut dire qu'elles sont en vigueur dans tous les pays.

    JACQUES. - Elles sont plus ou moins importantes, suivant les cas considérés. On peut facilement s'en rendre compte en jetant un coup d'œil sur les Conditions Réglementaires.

    JEAN. - On consent également le bénéfice d'une réduction, variant de 30 p. c. à 50 p. c, aux personnes qui voyagent en groupe et qui font partie d'une société notoirement connue.

    JACQUES. - Ce mode de transport est très en vogue dans notre pays ; mais il est de mon avis, qu'on doit surveiller de très près cette partie de l'exploitation. Les autos-cars pourraient nous jouer un vilain tour ! Il y aurait peut-être lieu, pour nous conserver ce trafic très intéressant, d'en revenir à la réduction uniforme de 50 p. c. qui était octroyée avant la guerre.

    JEAN. - A moins que nous n'établissions nous-mêmes des circuits automobiles !

    JACQUES. - Il y a des chances qu'ils aient du succès.

    JEAN. - Tout dépend de l'organisation. Que diras-tu de services qui, au départ des grandes gares, Liège, Huy, Namur, Dinant, Charleroi, Mons, rayonneraient vers les centres de villégiature, de plaisance, d'attractions, etc...

    JACQUES. - Beaucoup de bien. Les circuits exploités au départ de Liège et de Jemelle par la S.N.C.F.B. ont d'ailleurs été assez appréciés du public pour oser espérer d'aussi beaux résultats dans d'autres tentatives.

    JEAN. - Ainsi, la concurrence automobile deviendrait une chimère comme l'électrification de nos lignes.

    JACQUES. - L'électrification, qu'est-ce que cela vient faire ici ?

    JEAN. - Ce système ne sera jamais réalisé chez nous, tu verras !

    JACQUES. - Pourquoi ?

    JEAN. - En cas de guerre, il serait trop facile de supprimer les moyens de communication.

    JACQUES. - Possible ! En détruisant ou en paralysant la centrale électrique, génératrice de force.

    JEAN. - Revenons à nos voyageurs à prix réduits. Les électeurs jouissent, sous certaines conditions, de la gratuité ou d'une réduction de transport.

    JACQUES. - Résultant de l'obligation de voter.

    JEAN. - Certaines catégories d'émigrants bénéficient aussi d'une réduction, de même que les familles nombreuses.

    JACQUES. - Indépendamment de cela, il y a encore de nombreuses réductions individuelles.

    JEAN. - Et les «Week-End» !

    JACQUES. - Quelle consonnance anglo-saxonne !

    JEAN. - Si on a admis un terme aussi rébarbatif que peu français mais parfaitement «belge», c'est pour contenter tout le monde et afin de ne pas être obligé de se torturer l'esprit pour satisfaire au bilinguisme fort en honneur en Belgique.

    JACQUES. - Ce système qui concède une réduction de 25 p. c. sur les prix des billets n'est guère pratique pour ce qui concerne les distributeurs, aussi s'en plaignent-ils.

    JEAN. - Il serait préférable de ne délivrer qu'un seul billet spécial, au lieu de deux et de supprimer ainsi l'apposition des timbres «W. E.» et «Retour».

    JACQUES. - Ce serait une simplification (note 270). Mais me diras-tu bien comment on est venu à l'instauration de ce système.

    JEAN. - Il était en usage depuis très longtemps déjà dans d'autres pays et c'est un vieux cheminot, blanchi sous le harnais, qui nous l'a rapporté du pays de la «choucroute» et en a été le promoteur en Belgique.

    JACQUES. - Comment s'y est-il fris pour faire triompher l'idée qui a fait ses preuves ?...

    JEAN. - Tu dois bien penser que connaissant par expérience, la lenteur des rouages administratifs de la S.N.C.F.B., il n'avait garde d'utiliser cette voie, c'eut été courir à un échec certain.

    JACQUES. - Il appréhendait que sa proposition ne soit purement et simplement emboîtée par certains fonctionnaires embourbés jusqu'au delà de la cheville dans l'ornière de la sempiternelle routine.

    JEAN. - Sans parler de l'hostilité que certaines majestueuses calvities appartenant à la bureaucratie, manifestent habituellement vis-à-vis de toute innovation émanant de source obscure.

    JACQUES. - C'est toujours la même chose... Le bon Monsieur de La Fontaine avait bien raison de dire «Selon que vous serez puissant ou misérable...»

    JEAN. - Continuons... Il y a une foule de réductions individuelles parmi lesquelles, je te citerai celles accordées aux aveugles, invalides, infirmières, agents de douanes, journalistes, agents de la police judiciaire, fonctionnaires de certains départements ministériels, pensionnés de certaines administrations, etc...

    JACQUES. - Ces réductions ne sont consenties que sous certaines conditions bien déterminées.

    JEAN. - Pour en finir avec ce chapitre, l'Administration organise des trains de plaisir à marche rapide et à prix très réduits pour faciliter la visite du littoral ou de certains centres de villégiature à la mode.

    JACQUES. - Trains démocratiques, permettant aux petites bourses d'effectuer un beau voyage à peu de frais. En ce qui concerne spécialement la vallée de la Meuse, l'initiative de la Compagnie est très appréciée du public.

    JEAN. - L'organisation bien conçue procure tout de même une recette appréciable, en même temps qu'elle fait mieux connaître nos régions.

    JACQUES. - Cela favorise aussi le commerce local, je ne prendrai pour exemple que les cafés de Givet dont nous parlions dans la Revue Cinématographique.

    JEAN. - Dans l'intérêt général, cette question des trains de plaisir devrait faire l'objet d'une étude approfondie, de façon à en tirer tout le bénéfice possible.

    JACQUES. - Tu ne dis mot des trains de pèlerinage !

    JEAN. - Les pèlerins bénéficient des mêmes réductions que les sociétaires. A ce propos, laisse-moi te conter une petite histoire comique et vécue.

    Un jeune américain, étudiant en Hollande, désirant se rendre à la grotte célèbre de Massabielle, s'était muni d'un billet de pèlerinage au départ de Liège. Arrivé dans la Cité Ardente, il se rend à Liège-Guillemins. Tout à coup, entendant annoncer par le garde-salle «La ligne de l'Ourthe», vite, il traverse le quai et s'embarque vers Colonstère. Jugeant mais un peu tard, qu'il était dévoyé il revint à Liège où il put constater que le train vers Lourdes était «filé» sans lui. Il n'était pas encore au bout de ses mésaventures. Décidé à se rendre en France par un train ordinaire, il fait l'acquisition d'un billet à prix normal. Arrivé à la frontière, il est refoulé parce que son passeport n'était pas en règle. Navré, il dut bien reprendre le chemin du pays des tulipes... et des florins.

    JACQUES. - On pourrait intituler cette historiette «Tribulations d'un Américain, habitant la Hollande et qui voulait traverser la Belgique pour se rendre en France».

    ABONNEMENTS

    JEAN. - Comme tu le sais, il y a plusieurs catégories d'abonnements.

    JACQUES. - Je connais les abonnements ordinaires, les abonnements de voyageurs de commerce, les abonnements scolaires et les abonnements ouvriers.

    JEAN. - Tu as omis les cartes de 5 et de 15 jours.

    JACQUES. - Mais on en parle si rarement que je croyais bien qu'elles n'existaient plus.

    JEAN. - Elles ne jouissent plus, en effet, de la faveur du public.

    JACQUES. - Pour quelles raisons ?

    JEAN. - Le prix en est trop élevé pour la durée de leur validité.

    JACQUES. - Trop cher, c'est toujours le même reproche.

    JEAN. - Mais ici, il faut bien reconnaître que ce reproche est justifié. Si nous comparons les prix actuels avec ceux de 1914, nous constatons que ceux-ci ont été décuplés.

    JACQUES. - C'est exagéré. On pourrait «pailler» à cet inconvénient en prolongeant la durée de 5 à 7 et de 15 à 20 jours, par exemple (note 273_1).

    JEAN. - C'est une suggestion qui mérite examen.

    JACQUES. - Ne faisons pas de coq à l'âne et procédons par ordre. Les abonnements ordinaires concèdent évidemment une réduction !

    JEAN. - Naturellement... L'abonné est un client régulier du chemin de fer. Ses occupations l'appelant journellement à s'éloigner de son lieu de résidence et, dans la majorité des cas, son salaire ou appointement ne lui permettrait pas de payer chaque jour le prix fort.

    JACQUES. - Quelle est la majoration subie par les abonnements ordinaires ?

    JEAN. - Un peu plus de 6 fois le prix d'avant la guerre, c'est rationnel. Economiquement, on doit user de beaucoup de circonspection dans les remaniements de ce tarif. (6,4 à 7,7 depuis la majoration du 1er avril 1928) (note 273_2).

    JACQUES. - Il doit en être de même pour les abonnements scolaires !

    JEAN. - Evidemment, ceux-ci sont délivrés aux élèves, dans le but de leur permettre la fréquentation d'établissements éloignés.

    JACQUES. - L'augmentation a-t-elle frappé cette catégorie comme les autres ?

    JEAN. - Pas dans la même proportion. Le multiplicateur appliqué aux taxes d'avant la guerre n'atteint pas 5. (6 depuis la majoration du 1er avril 1928) (note 274).

    JACQUES. - Oh ! Cela ne grève pas trop le budget des familles.

    JEAN. - Nous arrivons maintenant aux abonnements ouvriers.

    JACQUES. - Les travailleurs constituent l'armée des producteurs qui chaque jour, empruntent le chemin de fer pour se rendre à leur besogne et le soir, la tâche terminée, rentrer au logis familial.

    JEAN. - Ces abonnements sont établis en vue de permettre à l'ouvrier des campagnes de venir, à peu de frais, présenter ses services dans les grands centres industriels.

    JACQUES. - Ceux-ci trouvent ainsi facilement la main d'œuvre dont ils ont besoin.

    JEAN. - Tous ces abonnements concédant des réductions très importantes, il est évident que les intéressés doivent remplir les conditions très sévères imposées pour leur octroi.

    JACQUES. - La modicité des prix incite à la fraude. Il n'est que juste que l'on prenne les mesures utiles pour éviter les abus.

    JEAN. - C'est pour cette raison qu'on établit une surveillance active.

    JACQUES. - En résumé, les abonnements de toutes espèces comportant des réductions diverses, constituent au moins les 3/5 du trafic total des voyageurs, au point de vue mouvement.

    JEAN. - Il ne faut pas perdre de vue qu'en Belgique, l'exploitation des chemins de fer a pour but principal de concourir dans la mesure de ses moyens à la prospérité nationale en facilitant les moyens de communication.

    JACQUES. - C'est vrai.

    JEAN. - Je ne te dirai rien des barèmes établis pour le transport des bagages, vélocipèdes et chiens.

    JACQUES. - Je les connais. Ils n'offrent d'ailleurs aucune particularité intéressante.

    JEAN. - En ce qui concerne les tarifs internationaux, je ne t'en parlerai pas longuement. Je t'ai déjà exposé les motifs pour lesquels les taxes s'établissent par juxtaposition des parts de chaque administration.

    JACQUES. - Les voyages internationaux se font d'ailleurs avec une telle facilité. Tous les grands bureaux possèdent des séries de billets directs pour les relations suivies.

    JEAN. - En outre, nous avons les billets combinés, circulaires et les billets d'agences qui facilitent les relations internationales.

    JACQUES. - Jadis, lorsqu'on quittait son village natal pour se rendre à la ville voisine, c'était toute une affaire ; bien souvent on était à la merci d'une rossinante rétive. Aujourd'hui, on ne s'étonne plus d'un voyage de Paris à Pékin, à travers les steppes désertiques de la Sibérie.

    RESPONSABILITE

    JEAN. - Tu connais suffisamment les lois applicables au transport des voyageurs. Je ne veux te donner, aujourd'hui, que quelques renseignements sur l'étendue des obligations du chemin de fer et des droits des voyageurs en ce qui concerne les réclamations que ceux-ci introduisent.

    JACQUES. - Nous avons déjà parlé, en effet, de la législation régissant le trafic et de la publication des règlements y afférents.

    JEAN. - Les Administrations sont aussi tenues d'afficher leurs propres horaires.

    JACQUES. - Assument-elles la responsabilité quant aux erreurs qu'ils pourraient contenir ?

    JEAN. - Assurément. En cas d'inexactitude, elles peuvent être astreintes au paiement des dommages résultant soit d'une omission, métathèse ou incorrection quelconque.

    JACQUES. - Il est bon de vérifier soigneusement les horaires et d'y apporter immédiatement les rectifications ou modifications qui surviennent parfois.

    Il est vrai que beaucoup de voyageurs possèdent «le guide» qui peut leur fournir tous les renseignements dont ils pourraient avoir besoin.

    JEAN. - Détrompe-toi, cher ami, l'Administration ne répond pas de l'exactitude des heures mentionnées à l' «Indicateur Officiel», ce document n'étant pas publié en vertu d'une prescription de la loi.

    JACQUES. - Ainsi, bien qu'il soit «officiel», il n'est pas légal. Quelle subtilité !

    JEAN. - Pour prendre place dans un compartiment du tram, le voyageur doit s'être muni au préalable d'un titre de transport, en l'occurrence un billet régulier.

    JACQUES. - Preuve du contrat conclu avec l'Administration.

    JEAN. - Par cette acquisition, le client est sensé avoir connaissance des lois et règlements en vigueur et consent à les respecter.

    JACQUES. - C'est-à-dire que si son billet porte un itinéraire, il doit le suivre, il ne peut scinder son voyage, ni excéder le délai de validité ; il doit se conformer au règlement de police. Des extraits figurent d'ailleurs dans les compartiments.

    JEAN. - Je m'aperçois que tu es à la page. Le personnel est même en droit de refuser l'accès du train à tout voyageur qui déclarerait ne pas vouloir se conformer aux prescriptions réglementaires ou qui serait atteint... d'incontinence d'urine...

    JACQUES. - Pas de blagues !...

    JEAN. - Tu n'as jamais constaté que certains trains effectuant le trajet de Liège à Namur, n'ont pas un W. C, alors que les voitures récupérées possèdent parfois un «Privât» pour deux compartiments !

    JACQUES. - On devrait remédier à cette situation astringente et parfois très pénible surtout pour les dames qui ont absorbé quelques consommations dans les «tea room» eu dans les «five o' clock» de la ville.

    JEAN. - Ces installations devraient être obligatoires au même titre que celles résultant du tarif qui prescrit que le voyageur doit être transporté dans le délai indiqué aux horaires, par le train auquel son billet lui donne accès.

    JACQUES. - Quand le chemin de fer organise un train spécial, est-il tenu de transporter tous les voyageurs qui se présentent ?

    JEAN. - Non. L'assurance de la mise en marche d'un train spécial n'est, en somme, qu'une offre, elle ne peut nullement être considérée comme une convention.

    JACQUES. - Ah ! c'est pour cette raison qu'on peut limiter le nombre de places.

    JEAN. - Au vœu de la loi, le transporteur doit répondre de l'arrivée à destination du voyageur à l'heure indiquée à l'affiche-horaire, sauf évidemment le cas fortuit ou le fait de force majeure.

    JACQUES. - Termes que nous avons définis.

    JEAN. - La loi du 25 août 1891 ne visant que la responsabilité du railway en cas d'accident survenant aux voyageurs, l'Administration peut, conformément aux Conditions Réglementaires, décliner ou limiter la responsabilité qui lui incombe en vertu du droit commun, en ce qui concerne le transport des personnes.

    JACQUES. - Si j'ai bien compris : pour les accidents, droit commun ; pour les retards et le manque de correspondance, application des Conditions Réglementaires. Et s'il y a faute ?

    JEAN. - Même dans ce cas, il peut y avoir limitation.

    JACQUES. - Comment cela ?

    JEAN. - Cela est expliqué tout au long à l'article 9 des C. R. Le voyageur ne peut solliciter une indemnité que s'il y a faute et cette somme ne peut jamais être supérieure au prix de transport.

    JACQUES. - La preuve du manquement, par qui doit-elle être faite ?

    JEAN. - Par le plaignant. Le tout est de savoir comment on peut déterminer qu'il y a faute.

    JACQUES. - Si tu voulais me citer des exemples, ce d'initiative en l'occurrence.

    JEAN. - Soit !

    A la suite d'un retard inexactement annoncé, un train a attendu vainement une correspondance. Il y a faute.

    JACQUES. - Sapristi, on doit prendre ses précautions lorsqu'on annonce un retard probable.

    JEAN. - Un contrôleur n'arrive pas à temps pour prendre son service, de ce fait, le départ du train est retardé, il y a faute. Lenteurs apportées dans l'adjonction d'un fourgon et dans le chargement des colis exprès et bagages sont également des manquements qui constituent des fautes.

    JACQUES. - Il est temps de mettre de l' «avance à l'allumage» pour effectuer ces manœuvres.

    JEAN. - A l'occasion d'une fête de gymnastique, commémoration officielle ou festivités quelconques, annoncées et faisant prévoir une affluence inaccoutumée de voyageurs, le chemin de fer n'a pas pris toutes les mesures qui s'imposaient pour parer aux éventualités. Il y a faute.

    JACQUES. - Il se conçoit que les Chefs de Gare doivent s'enquérir de tout ce qui peut avoir une influence sur le trafic et en référer immédiatement à l'Administration pour que celle-ci puisse, éventuellement, prendre les mesures consécutives.

    JEAN. - Un convoi est retenu au signal d'arrêt absolu par suite d'un déraillement qui vient de se produire et l'Administration a aussitôt pris les dispositions nécessaires pour assurer dans le plus bref délai le transport des voyageurs. Il y a cas fortuit et par conséquent pas de faute.

    JACQUES. - Si elle était restée passive et n'avait pas pensé à l'acheminement rapide des voyageurs, il y aurait évidemment manquement. C'est au personnel à faire preuve d'initiative en l'occurrence.

    JEAN. - Un train venant d'Aulnoye a subi du retard en attendant un autre train venant de Paris. De ce fait, des voyageurs de Charleroi, munis de billets pour Liège, réclament une indemnité pour arrivée tardive. Il ne peut être donné suite à leur réclamation, la faute ayant eu lieu en France.

    JACQUES. - Néanmoins, le retard s'est répercuté en Belgique.

    JEAN. - La cause ayant eu lieu en France et la Compagnie «Nord-Français» n'ayant pas contracté avec les voyageurs belges, ceux-ci ne peuvent prétendre à aucune indemnité.

    JACQUES. - C'est vrai.

    JEAN. - Un contrôleur vient poinçonner les billets, il ne fait pas remarquer au voyageur de Charleroi qu'il se trouve dans un train allant vers Erquelines alors que le billet indique Namur. Il y a négligence et par conséquent l'Administration est fautive.

    JACQUES. - Alors, il faut examiner les billets avec la plus grande attention.

    JEAN. - Ceci n'est évidemment qu'un aperçu des innombrables cas qui peuvent se présenter. En résumé, le chemin de fer ne paie pas d'indemnité lorsque le retard est dû à un événement spontané résultant d'un fait qu'on ne pouvait prévoir. Encore, faut-il que le retard occasionné soit suffisant pour avoir fait manquer une correspondance ou le but du voyage.

    JACQUES. - Que se passe-t-il pour les voyageurs à prix réduit et abonnés.

    JEAN. - Rien du tout. Ces voyageurs ne peuvent prétendre à aucune indemnité pour retards, même si le railway est en faute parce que les réductions ne leur sont consenties qu'à des conditions spéciales, exonérant l'Administration de la responsabilité en ce qui concerne, le manque de place dans les voitures, arrivée tardive, manque de correspondance, etc...

    JACQUES. - Admettons, bien quel cela ne se présente pour ainsi dire jamais chez nous, qu'un abonné ayant formulé sa demande dans le délai réglementaire, ne reçoive pas sa carte en temps opportun, celle-ci ayant, par suite d'une erreur dans la mise sous enveloppe, été envoyée à un autre bureau que celui auquel elle était destinée.

    JEAN. - Le voyageur paie le prix plein pour le voyage qu'il doit absolument effectué pour se rendre à sa besogne.

    JACQUES. - N'obtient-il aucune compensation ?

    JEAN. - Le fait que sa carte n'est pas arrivée ne l'empêche pas d'user du chemin de fer. Néanmoins, l'Administration désintéresse l'ayant-droit.

    JACQUES. - Cela représente, en effet, le seul préjudice qu'il a subi.

    JEAN. - La loi du 25 août 1891 impose au Railway l'obligation de transporter et l'article 9 des C. R. ne prévoyant pas le cas de refus de transport, il ressort que celui-ci tombe sous l'application du droit commun.

    JACQUES. - Mais, comme toujours, je suppose, il faut que le plaignant justifie pleinement des dommages réels qu'il subit du fait qu'il n'a pu se rendre où il avait l'intention d'aller.

    JEAN. - De grandes festivités ayant lieu dans une localité voisine, il y a affluence aux guichets ; un voyageur s'étant présenté dans le délai réglementaire n'a pu être servi et a dû laisser «filer» le train à son nez. C'est un cas de refus de transport.

    JACQUES. - Si cependant, il y avait plus de monde que les distributeurs ne pouvaient servir, malgré leur bonne volonté ?

    JEAN. - Le personnel dirigeant devait certainement savoir que la fête annoncée amènerait un surcroît de trafic et devait prendre toutes les précautions utiles pour remédier à cette situation.

    JACQUES. - En conséquence, le réclamant est fondé à demander une indemnité en conformité du droit commun.

    JEAN. - Il arrive parfois que des voitures sont détachées d'un train, à Statte par exemple : le personnel ayant omis d'avertir certains voyageurs, ceux-ci sont restés dans les voitures dételées et ne peuvent continuer leur voyage.

    JACQUES. - En cette occurrence, on autorise les voyageurs à emprunter le train suivant qui les remet à destination deux heures plus tard.

    JEAN. - Ce cas tombe sous l'application de l'article 9 des C. R. dont nous avons parlé et il n'est dû, comme indemnité que le prix de transport. Il ne s'agit pas d'un refus puisque les clients sont munis de billets.

    JACQUES. - En résumé quelle est la règle ?

    JEAN. - C'est bien simple, dès qu'il y a faute prouvée et que le voyageur est en possession d'un billet : application des C. R., remboursement du prix de transport ; le client n'a pu obtenir son billet, droit commun.

    JACQUES. - J'ai déjà constaté que certains voyageurs se fiant à l'heure indiquée par les horloges «rataient» leur train. Il semble que les réclamations parfois véhémentes qu'ils adressent à l'administration sont justifiées.

    JEAN. - Nullement. Aucune disposition légale n'oblige le chemin de fer à fournir l'heure exacte.

    Il est encore beaucoup d'autres subtilités trop longues à énumérer et il faut parfois avoir énormément de tact et de doigté pour faire comprendre les prescriptions réglementaires à certains clients, souvent de bonne foi, mais qui ignorent tout des lois et règlements applicables au chemin de fer. On est bien forcé de reconnaître que ces dispositions semblent parfois paradoxales, elles ne sont cependant que complexes.

    JACQUES. - Surtout, lorsqu'on mêle la loi à ces contestations, permets-moi de te rappeler les aphorismes bien connus «Cujas dit oui, Laurent dit non». C'est comme dans la médecine : «Hippocrate dit oui, Galien dit non» et les deux illustres carabins prétendaient tous deux avoir raison.

    JEAN. - Rien de plus illogique que la logique ! et ces propositions dilemmatiques le prouvent à suffisance.

    BAGAGES

    JEAN. - Les Conditions Réglementaires donne l'énumération des objets qui peuvent être transportés comme bagages, à la condition d'appartenir personnellement au voyageur. Elles indiquent également ceux qui ne sont pas admis.

    JACQUES. - Les objets précieux, valeurs, etc., sauf les bijoux et les dentelles.

    JEAN. - Comme pour les marchandises, les bagages destinés à être enregistrés doivent être emballés soigneusement et porter une adresse très lisible.

    JACQUES. - De façon à pouvoir résister aux manipulations inévitables qu'ils doivent subir au cours du voyage.

    JEAN. - Les anciennes étiquettes doivent être enlevées afin d'éviter les erreurs possibles, car l'administration n'encourt aucune responsabilité pour les irrégularités qui pourraient survenir de ce fait.

    JACQUES. - On doit inviter poliment les voyageurs à faire disparaître ces étiquettes périmées.

    JEAN. - Les valises ou paquets contenant des papiers d'affaires, bijoux, dentelles doivent être emballés, ficelés et cachetés de manière à empêcher les soustractions.

    JACQUES. - Ces objets sont d'ailleurs soumis à une taxe supplémentaire pour la valeur déclarée.

    JEAN. - Lorsque le client a omis de faire une déclaration à la valeur, le railway décline toute responsabilité du fait de pertes ou avaries.

    JACQUES. - En ce qui concerne l'emballage, je suppose que c'est la même règle que celle en usage pour les marchandises.

    JEAN. - Oui. Dès qu'un colis paraît ne pas réunir toutes les conditions requises à ce point de vue, il est du devoir le plus strict pour le personnel de réclamer une déclaration, afin de dégager la responsabilité du chemin de fer pour les dommages qui surviendraient à la suite du manque ou de l'insuffisance d'emballage.

    JACQUES. - Sapristi, il est temps de veiller à la rédaction de cette clause afin de se mettre à couvert, le cas échéant.

    JEAN. - Les bagages enregistrés sont soumis aux mêmes règles que le transport des marchandises.

    JACQUES. - C'est-à-dire qu'on remet au voyageur un bulletin donnant toutes les indications utiles.

    JEAN. - Ce récépissé constitue le contrat.

    JACQUES. - Le voyageur doit le reproduire à destination.

    JEAN. - La remise au fourgon, le transbordement et le déchargement doivent être effectués avec tous les soins désirables.

    JACQUES. - D'autant plus que ces opérations s'effectuent sous les yeux des voyageurs.

    JEAN. - A destination, le personnel a pour mission d'examiner soigneusement les colis de façon à se rendre parfaitement compte de leur état, d'observer s'il n'y a pas eu soustraction ou avarie, prévenir toute tentative de vol qui pourrait se produire pendant le transport du quai au local et de veiller à ce que les bagages ne soient pas enlevés avant la remise du récépissé.

    JACQUES. - Sauvegarder les intérêts de la Compagnie qui nous paie, est toujours notre devoir.

    JEAN. - Dans le cas où le voyageur ne peut reproduire ce bulletin, on doit agir avec la plus grande circonspection et ne délivrer les bagages qu'au moment où l'identité et la propriété du réclamant sont établies d'une façon indubitable et contre décharge écrite.

    JACQUES. - Mais il arrive que celui-ci bougonne et s'énerve.

    JEAN. - Peu importe, il est en faute, il n'avait qu'à conserver précieusement son bulletin, toutes ces petites vexations lui auraient été épargnées.

    JACQUES. - Si un voyageur descend à une gare située en deçà de la destination indiquée sur son billet et réclame ses malles.

    JEAN. - Celles-ci peuvent lui être remises sur restitution du billet et du bulletin.

    JACQUES. - Dès qu'il a pris possession de ses colis et donné décharge régulière, il ne peut plus émettre aucune réclamation.

    JEAN. - S'il n'a pas demandé la vérification contradictoire qui lui est offerte et qu'à ce moment, il n'a formulé aucune réserve spéciale, le chemin de fer décline toute responsabilité puisque la livraison effective a eu lieu.

    JACQUES. - On comprend aisément qu'on ne peut plus introduire une réclamation après que le colis a été enlevé.

    JEAN. - En cas de contestation, on suit la même procédure que pour les marchandises.

    JACQUES. - Je sais : expertise amiable, judiciaire, selon le cas.

    JEAN. - En ce qui concerne le retard, celui-ci ne commence qu'au moment où le colis est réclamé et que le chemin de fer me peut faire droit à la demande.

    JACQUES. - C'est-à-dire que le train amenant le client et le colis pourrait avoir subi du retard, il n'est dû aucune indemnité si le bagage est remis au voyageur aussitôt qu'il le réclame. Le voyageur a droit, pour lui seul et non pour le colis, à l'indemnité prévue par l'article 9 des Conditions Réglementaires.

    JEAN. - Le Règlement fixe une somme de 60 francs par jour de 24 heures et de 30 francs pour un retard de moins d'un jour mais ces sommes ne sont accordées, en cas de retard, que sur justification des dépenses rendues inutiles, pour autant que l'Administration soit en faute.

    JACQUES. - Supposons un artiste de music-hall qui par suite d'un retard de quelques heures dans la livraison de ses bagages n'a pu participer à la représentation et de ce fait a perdu sa journée.

    JEAN. - Si l'envoi n'a pas fait l'objet d'une déclaration d'intérêt à la livraison, il ne peut être accordé que l'indemnité réglementaire dont nous venons de parler.

    JACQUES. - Si le colis est perdu ?

    JEAN. - L'Administration rembourse outre les frais de transport, la valeur des objets égarés.

    JACQUES. - Sur production de preuves, évidemment !

    JEAN. - L'indemnité de perte ne peut être cumulée avec celle de retard.

    JACQUES. - Dans le cas où le colis est simplement endommagé, que fait le chemin de fer ?

    JEAN. - Il paie la valeur représentant le montant de la dépréciation.

    JACQUES. - Chaque cas doit faire l'objet d'un examen attentif et avec un peu de bon sens, on trouve aisément une solution satisfactoire.

    JEAN. - Souventes fois, les réclamations pour manquant sont exagérées, il appartient au personnel d'apporter toute la vigilance nécessaire pour démontrer l'inexactitude de ces prétentions injustifiées.

    JACQUES. - C'est comme pour ce qui concerne les vols, le personnel a pour mission de surveiller étroitement les colis qui sont sous sa garde afin d'empêcher les gens mal intentionnés de commettre un larcin.

    JEAN. - Aucune négligence ne peut, à bon droit, être tolérée.

    JACQUES. - C'est naturel !

    JEAN. - Lorsque l'envoi a été soumis à la taxe d'intérêt à la livraison, la responsabilité devient pour ainsi dire générale.

    JACQUES. - Comment cela ?

    JEAN. - Elle embrasse tous les cas qui peuvent se présenter : perte, avarie et retard. Pour être valable, cette déclaration doit faire l'objet d'une mention spéciale écrite en toutes lettres sur le bulletin par le personnel qui a accepté le colis.

    JACQUES. - D'après le Règlement, en cas d'irrégularité, le voyageur a droit non seulement à l'indemnité de 60 ou 30 francs dont je t'ai parlé précédemment, mais encore à des dommages-intérêts jusqu'à concurrence de la somme fixée.

    JEAN. - A condition de prouver d'une façon péremptoire le préjudice subi, que celui-ci est dû à une faute et non à un événement inopiné que le chemin de fer ne pouvait empêcher.

    JACQUES. - Cite-moi un exempte !

    JEAN. - Je ne prendrai qu'un cas entre mille. Un colis, expédié comme bagages avec intérêt à la livraison de 500 francs, a par suite du retard, subi une avarie due à sa nature spéciale (fromages).

    JACQUES. - Mais le chemin de fer décline toute responsabilité pour cette espèce de marchandise.

    JEAN. - C'est justement pour cette raison que j'ai choisi cet exemple. En effet, c'est précisément à cause de l'intérêt à la livraison, qui embrasse tous les dommages sans distinction, que le chemin de fer est obligé de payer la forte somme. En l'absence de cette particularité, il ne serait dû que l'indemnité ordinaire.

    JACQUES. - En résumé, dès qu'il y a faute des agents de l'Administration, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas intérêt à la livraison, le dommage est, au vœu de la loi, réglé par le droit commun.

    JEAN. - Mais il faut que la faute invoquée soit prouvée.

    JACQUES. - Comme toujours !

    JEAN. - Outre l'indemnité réglementaire, le chemin de fer doit la réparation du dommage, bien entendu sur justification sérieuse de l'ayant-droit. Ainsi, à la suite d'une confusion, un bagage a été remis à une autre personne que le propriétaire. Celui-ci mis au courant, preuves à l'appui, réclame des dommages-intérêts. L'Administration doit s'exécuter.

    JACQUES. - Avant de terminer cette partie, je voudrais encore te poser une question. J'ai déjà entendu dire que la visite intérieure des colis était permise.

    JEAN. - C'est exact. Elle peut être effectuée dès que l'on a des présomptions sérieuses au sujet de la nature exacte de la marchandise déclarée.

    BAGAGES QUE LE VOYAGEUR EMPORTE AVEC LUI

    JACQUES. - Le règlement énumère les objets que le voyageur peut prendre avec lui dans le train sans payer aucune taxe, il est naturel que le propriétaire en fasse lui-même la garde.

    JEAN. - Assurément. En cas de vol, si aucune faute ne peut être relevée à charge du chemin de fer, il n'est dû aucune indemnité. Il n'encourt une responsabilité qu'à la suite d'une faute commise par ses agents.

    JACQUES. - Ainsi un voyageur fatigué d'être assis, se lève et se promène dans le couloir, pendant ce temps un écumeur lui «raffle» sa valise, aucune faute du chemin de fer, par conséquent, pas de dommages-intérêts à payer.

    JEAN. - C'est bien. Supposons maintenant qu'à la suite d'un accident, un colis bagage est perdu. Le voyageur aura droit à une indemnité à condition de prouver que l'accident est dû à une faute imputable à l'administration ou à ses agents.

    BAGAGES EN DEPOT

    JEAN. - Dans chaque gare, il y a un endroit désigné pour placer, en sûreté, les colis dont les voyageurs ne demandent pas la livraison.

    JACQUES. - Et aussi les colis que le client veut laisser momentanément sous la garde du chemin de fer.

    JEAN. - Le premier contrat étant terminé par l'arrivée du colis à destination, il se conclut une nouvelle convention de dépôt pour laquelle il' est établi un nouveau document.

    JACQUES. - Quelle est la responsabilité encourue par le railway ?

    JEAN. - Celle du dépositaire, elle est déterminée par le Code Civil et comme toujours, hormis le cas de force majeure, elle est engagée.

    JACQUES. - Les mêmes dispositions doivent nécessairement s'appliquer en services mixtes puisque la réglementation est identique.

    JEAN. - Parfaitement.

    JACQUES. - Tu ne m'as pas parlé des services internationaux !

    JEAN. - Comme en services intérieur et mixtes, on ne paie aucune indemnité sans l'autorisation expresse de l'Administration Centrale. Dans les trafics internationaux, les règlements étant différents suivant les pays, ce sont les prescriptions en vigueur sur chaque réseau qui sont appliquées.

    JACQUES. - Nos chemins de fer ne répondent des faits survenus au-delà de leurs frontières que dans les limites où ces administrations étrangères en sont tenues vis-à-vis d'eux.

    JEAN. - Ces tarifs internationaux contiennent des prescriptions spéciales pour le Règlement des réclamations. Ce sont d'ailleurs toujours les dispositions de l'article 9 qui sont mises en pratique. En ce qui concerne la répartition des indemnités, il y a des arrangements spéciaux.

    JACQUES. - Les plaintes sont ordinairement consignées au livret des réclamations que chaque gare possède.

    JEAN. - On ne peut le refuser aux voyageurs.

    JACQUES. - A quel tribunal les contestations sont-elles soumises ?

    JEAN. - La juridiction commerciale étant incompétente, c'est au tribunal civil que ces sortes d'affaires se jugent. Toutes ces particularités assez subtiles sont examinées par le service des réclamations.

    CONVENTION INTERNATIONALE CONCERNANT LE TRANSPORT DES VOYAGEURS ET DES BAGAGES
    (C. I. V.) (note 291)

    JEAN. - Le texte définitif vient seulement d'être soumis aux Gouvernements adhérents à cette Convention. Le projet avait été élaboré en 1911 et les travaux avaient été suspendus par suite de la guerre.

    JACQUES. - Elle doit nécessairement ressembler à la C.I.M., dont tu m'as parlé à propos des marchandises, tout au moins dans ses dispositions essentielles.

    JEAN. - Oui, en règle générale, les prescriptions sont les mêmes, sauf évidemment où le caractère particulier des transports de voyageurs nécessite une rédaction toute autre. Régime unique pour le transport des enfants en service international, par exemple.

    JACQUES. - Les articles concernant la législation applicable aux transports en général, l'obligation de transporter, l'attribution de prix réduits, etc... doivent nécessairement être identiques.

    JEAN. - La question des accidents survenus aux voyageurs fera l'objet de stipulations spéciales qui ne peuvent figurer dans la C.I.M.

    JACQUES. - En l'occurrence, ce sont les lois particulières de chaque pays qui seront applicables, comme actuellement.

    JEAN. - Oui. Les accidents relèvent du droit commun.

    JACQUES. - Quant aux bagages, ce sont les mêmes dispositions que pour les marchandises, sans doute ?

    JEAN. - Il y a en effet responsabilité collective. Je constate, avec plaisir, que tu as retenu nos conversations précédentes et qu'elles ont porté leurs fruits. Les derniers chapitres de la nouvelle Convention traiteront des rapports entre les chemins de fer, des règles de procédure à suivre et des stipulations concernant l'unité monétaire.

    JACQUES. - Je ne vois pas l'utilité de prolonger la discussion relative à cette Convention puisqu'elle n'est pas encore publiée. Je retiens seulement un fait, c'est que dans tous les domaines, on tend à tout internationaliser, c'est un signe, un bon signe même. Allons, tant mieux, que l'on fasse vite et bien, je suis pour la simplification.

    JEAN. - Je ne te parlerai pas des écritures comptables relatives aux voyageurs au départ, des vérifications de contrôle, des pièces justificatives à envoyer au Contrôle des Recettes avec les états mensuels, ni de la vérification à l'arrivée et à l'Administration Centrale, cela n'est pas de ma compétence.

    JACQUES. - Comme je le regrette.


    SIXIEME PARTIE

    PUBLICITE

    JACQUES. - Tu crois que rien, en tant qu'exploitation commerciale, ne peut se passer de publicité ?

    JEAN. - Certes, je le pense et vais me faire un réel plaisir de te le prouver.

    JACQUES. - Je sais, en fin de compte, j'en serai encore pour mes frais. Tu ne m'empêcheras pourtant pas de dire que, si c'est nécessaire maintenant, ce ne l'était pas au bon vieux temps où une marchandise se faisait connaître par elle-même, par sa valeur, si tu veux. D'ailleurs, si, poussé par la concurrence, un commerçant se voit obligé de faire de la publicité, rien ne l'en empêche : il n'a que le choix du genre.

    JEAN. - Profonde erreur, mon vieux, la publicité est un art qui s'acquiert difficilement. Beaucoup croient le posséder, mais bien rares, sont les véritables artistes.

    JACQUES. - Tu exagères !

    JEAN. - J'en appelle à ton esprit d'observation. N'as-tu pas souvent vu des affiches bien en couleurs certes, mais qui manquaient totalement leur but : parler aux yeux et même au cœur, c'est-à-dire émouvoir.

    JACQUES. - Si j'en ai remarqué ! Tiens, à propos de se rincer l'œil, tu me fais penser que ma rétinne s'est souventes fois dilatée à la vue de la vignette appelant les touristes au littoral. Tu te rappelles, n'est-ce pas, cette baigneuse bien en chair qui avec ses formes rebondies ne laisse apercevoir qu'un tout petit bout de la plage qui cependant est le sujet, le leit-motiv du dessin. Ce n'est pas avec cette femme, qu'il s'agit de faire vibrer la curiosité par un costume local, car en fait de costume, c'est un peu... peu.

    JEAN. - Ça y est. Je savais bien que tu abonderais dans mon sens. Une réclame doit attirer l'attention et non la disperser en faisant penser à tout autre chose que le but proposé.

    JACQUES. - D'accord, mais je crois que, toujours en admettant que tes raisons soient probantes, la Compagnie, par exemple, n'a pas admis ces principes.

    JEAN. - Que veux-tu dire ?

    JACQUES. - Et l'affiche Nord-Belge donc ! L'oublies-tu ? Dis moi,... que représente aux yeux du voyageur pressé, cet amalgame de décalcomanies ? Quelle est dans ce fatras l'image qui le frappe ? Est-ce le pêcheur dinantais qui, en face du rocher Bayard, s'est coiffé d'un casque anglais de tranchée ? Sont-ce les rameurs hutois qui, devant le pont et dans l'ombre de la citadelle, ont l'air d'être candidats à la congestion ? Non ? Alors, ce sont peut-être les rochers de Marche-les-Dames. Paysage heureux s'il en fut, mais qu'aucun touriste ne pourrait reconstituer, car il y a 40 ans que ce coin est «modernisé» !...

    JEAN. - Le voyageur ne remarquera rien, sinon un damier de «cartes postales illustrées» sans signification. Cela prouve bien ce que je te disais tout à l'heure : il est préférable, sinon nécessaire, de montrer un site, de frapper l'imagination, de tenter le touriste.

    JACQUES. - Ça coûte beaucoup, penses donc, une affiche par motif ! Admets un instant que l'on demande à de grands artistes, comme nos liégeois futuristes, par exemple, de brosser à l'intention de notre réseau quelques-uns de leurs chefs-d'œuvre, que deviendrait notre prime de gestion ?

    JEAN. - D'abord, cela n'influerait pas sur notre prime de gestion car, il nous est payé l'équivalence de ce que touchent nos amis français : je te l'ai déjà dit plusieurs fois. Ensuite, l'argent déboursé serait vite récupéré. Que deviendraient alors les Ford, Davros et autres Philipps, si le compte publicité n'était balancé en fin d'exercice, par une sortie imposante des produits proposés. Ils sont arrivés, ces industriels, à ce merveilleux résultat, qu'il n'est plus nécessaire de demander une auto Ford, une cigarette Davros ou une lampe Philipps, mais seulement une Ford, une Davros, une Philipps. Tu vas me dire que je m'éloigne du sujet, non, car il est avéré que dans tous les domaines, il faut frapper l'esprit du chalant.

    JACQUES. - Ah, oui, comme pour les Poudres de Cook.

    JEAN. - ... ? ? ? ! ! !

    JACQUES. - Evidemment, «Enfoncez-vous bien ça dans la tête».

    JEAN. - Si tu veux. Mais j'en reviens à mon idée, à savoir qu'un seul motif par affiche est un moyen toujours plus certain d'atteindre le but. Regarde les vignettes des chemins de fer français, est-ce «tapé» ? Et pourtant n'avons-nous pas chez nous d'aussi splendides paysages. Peut-on dire que notre vallée mosane, l'Ourthe, les Ardennes ne peuvent suggérer d'aussi belles perspectives ? Tu me rétorqueras, peut-être, que les voyageurs empruntant la ligne de Namur à Dinant sont charmés par la séduisante tenue de nos jolies gares, disparaissant sous des grappes de fleurs retombantes, entourées de vrais parcs en miniature, parcs qui font concurrence à nos jardins publics les mieux soignés et sur les plates-bandes desquels se lisent en lettres fleuries, leurs noms si poétiques, comme le disait une récente chronique namuroise, et que c'est là une publicité éminemment efficace.

    JACQUES. - J'allais le dire.

    JEAN. - Je te l'accorde, ami, mais qui orne tout cela pour charmer l'œil du voyageur ? Les agents, n'est-ce pas, qui font, eux, tout ce qu'ils peuvent pour embellir le cadre. La Compagnie ne pourrait-elle faire plus, ne pourrait-elle susciter chez les touristes le désir de voir ? Qu'attend-t-elle ?

    JACQUES. - Qu'il n'y ait plus de touristes. Pourquoi ferait-on à présent de la réclame, se disent sans doute les intéressés, puisque cela marche, que les visiteurs affluent.

    JEAN. - Bien grande est leur bévue, mon cher, quand ces voyageurs qui font la vogue de tel ou tel patelin, seront passés ad patres, il est à craindre que n'ayant pas soigné leur renommée, les bons trous à la mode se voient délaissés par les successeurs de ces voyageurs qui ignoreront ce qui était si connu et apprécié.

    JACQUES. - On fait cependant tout ce que l'on peut en Belgique pour attirer les excursionnistes. Ainsi, tiens, il y a quelques mois, on expédiait en Allemagne 10.000 brochures vantant les beautés de notre pays et donnant aux amateurs la capacité en chambres des principaux hôtels, ainsi que leur tarif.

    JEAN. - Bravo ! très bien, voilà qui est bien travaillé. Dans le plus petit syndicat d'initiative de Poméranie, par exemple, les indigènes pourront être documentés sur nos «patelins». Bonne affaire pour le commerce belge.

    JACQUES. - T'emballes pas, mon vieux, il ne viendra pas un «Fritz» de plus !

    JEAN. - Pourquoi donc ?

    JACQUES. - Parce que, comme par hasard, ces brochures sont imprimées en français !

    JEAN. - Pas vrai ? Non, elle est bonne celle-là ! Pendant que les allemands envoient de l'Ukraine à la Bretagne, des milliers de tracts imprimés dans l'idiome ad hoc, nous sommes étourdis au point d'en faire de pareilles !

    JACQUES. - Comment voudrais-tu que notre pays soit bien connu à l'étranger, quand ici même, on ne peut trouver aucun renseignement officiel.

    JEAN. - Que veux-tu encore insinuer ?

    JACQUES. - Absolument rien, Jean, mais te conter une aventure que j'ai vécue à Bruxelles. En suivant les grands boulevards, j'avais très souvent remarqué des avis invitant les touristes à se rendre Grand'Place, au bureau officiel de renseignements. Curieux et intéressé, je m'y rendis et demandai au préposé de me fournir une petite documentation me permettant de visiter intelligemment la capitale. Je n'ai rien d'intéressant, Monsieur, me fut-il répondu, mais en vous adressant à cette librairie que vous voyez là-bas, à droite, vous pourrez, moyennant 10 francs, avoir un «bouquin» très bien fait : c'est ce qu'il y a de mieux jusqu'à présent !...

    JEAN. - Sans blague ! Qu'as-tu fait alors ?

    JACQUES. - Dégoûté des bureaux officiels, je me suis présenté dans une de ces nombreuses agences étrangères de voyage et là, mon vieux, j'ai eu plus que je n'en voulais (note 297).

    JEAN. - Sans t'en douter, tu viens encore de renforcer ma thèse : c'est très difficile de bien faire de la publicité.

    Hélas ! beaucoup de dirigeants ne veulent pas encore l'admettre. Ils s'imaginent, les «pôvres», qu'un homme est un autre homme (en valeur s'entend). Et bien non, ils ont tort. Que font-ils de la spécialisation ? Crois-tu que l'artiste qui a conçu l'affiche des Wagons-Lits célébrant les Pullmann est un Monsieur qui est capable de faire avec le même à-propos un graphique de la marche des trains, par exemple ?

    JACQUES. - Non bien sûr.

    JEAN. - Quoi de plus naturel qu'il fasse quelque chose de très bien. Son train bleu à l'arrêt, avec sur le quai la jolie dame faisant sa petite «sucrée», son voyageur «hight life», ses employés galonnés et dorés sur tranches, ne donnent-ils pas une vision bien nette du luxe qui préside à ce genre de locomotion ?

    JACQUES. - Si, mon vieux, tu as raison. Pour te montrer que je me rends à ton point de vue, j'ai comme une idée que la proposition que j'ai envie de faire à l'Administration ralliera tes suffrages...

    JEAN. - De quoi s'agit-il ?

    JACQUES. - On pourrait au lieu de la rosé des vents, faire établir une sorte de graphique qui, affiché dans les gares et dans les bons hôtels, donnerait aux étrangers une idée exacte et délectable de leur séjour ici au moyen d'un tableau comparatif des monnaies et, partant, les avantages possibles suivant le pays d'origine du touriste. Voilà de l'aimentation ! Voilà du rendement commercial en perspective ! ! !

    JEAN. - Evidemment, pour changer, tu fais encore la bête Si tu tiens absolument à un graphique, propose-s'en plutôt un, donnant la position géographique des gares avec les attraits touristiques qui les distinguent ; position ignorée des touristes et, ne t'étonnes pas, de beaucoup de cheminots encore.

    JACQUES. - Pas mal, pas mal, mais tu n'es pas tendre pour nos camarades.

    JEAN. - C'est pourtant comme cela. Pour en finir avec cette histoire de publicité, il y a mieux encore, vas donc voir un de ces jours le camarade Navez, il te fera admirer de bien jolies vues de notre vallée mosane. Il les a d'ailleurs exhibées au Congrès de l'Union Fédérale des Coopératives et Mutuelles. Je te prie de croire qu'elles ont eu du succès.

    JACQUES. - Allons, ça va, ça va aller plutôt, car je me suis laissé dire que le Nord, pour le Nord-Belge, se rendant à la raison, avait chargé un «as» de la palette d'exécuter une affiche et «on» dit que ce sera très bien.

    JEAN. - Tu aurais pu le dire tout à l'heure, as-tu assez fait du verbiage.

    JACQUES. - Du choc des idées, jaillit la lumière, mon ami, et cela nous a amusés.

    JEAN. - Connais-tu les sujets ?

    JACQUES. - On m'a dit que dans l'une on traitait de la Cité des «Copères» et de leur fameux rocher Bayard (sans pêcheur). Mais ni dans les tons, ni dans la perspective de l'autre ! de celle que l'on trouve affichée partout, à côté des belles affiches françaises et qui leur sert d'efficace repoussoir.

    JEAN. - Farceur, va ! ! !

    JACQUES. - Le Nord vient d'éditer quelques affiches superbes : conception, facture, tirage remarquables ; j'ai vu ça au Siège, à Kinkempois, ces jours derniers. Le Nord soigne sa publicité française.

    Les voici d'ailleurs :

    QUELQUES BELLES AFFICHES DE LA Cie DU NORD


    SEPTIEME PARTIE

    EPILOGUE

    JACQUES. - Maintenant que ton admirable «film» s'est complètement déroulé devant mes yeux fatigués, mais ravis et que le coin du voile qui masquait les mystères dont tu parlais dans la préface est soulevé, je ne sais comment t'exprimer ma gratitude. Le court résumé des divers moyens de transport en vigueur avant la création des chemins de fer, l'établissement des premières voies ferrées en Belgique et à l'étranger, le merveilleux bijou qu'est ton historique Nord-Belge, le splendide panorama des localités traversées, ton formidable monument relatif à l'exploitation commerciale, ton petit aperçu joliment «bien troussé» relatif à la publicité, autant de sujets qui m'ont réellement intéressé et qui, je dois bien le dire à ma confusion, m'ont fait comprendre le pourquoi, le comment et le parce que, de tout ce qui constitue mon travail de tous les jours.

    JEAN. - Trêve de compliments. Si j'ai pris la peine de te communiquer le résultat de mes investigations et de mes études personnelles, c'est non pas pour mériter tes éloges, mais uniquement dans le but de parfaire ton instruction, puisqu'on ne juge pas utile de le faire. Quelle belle œuvre ce serait cependant !... Quelle magnifique rôle éducateur certains pourraient jouer !... Comme il leur serait aisé d'exposer, avec plus de détails que je ne puis me le permettre dans de simples conversations, toutes les matières que nous avons examinées si rapidement. Soit par des conférences aux agents, soit par la publication de syllabus appropriés à chaque partie du service.

    JACQUES. - Des conférences... mais... il y en a déjà eu !...

    JEAN. - Tu rêves ! Où cela ?...

    JACQUES. - A l'Institut des Filles de la Croix !

    IKAN - Aux demoiselles !.. Par qui ?

    JACQUES. - Par un «ingénieur» de chez nous.

    JEAN. - Dans un gynécée !... Quelle aberration !... Serait-ce un androgyne !... Jamais, je ne saurais croire une chose aussi renversante... A moins que ce ne soit pour expliquer à ces jouvencelles, que la spécialisation des compartiments n'existe pas au Nord-Belge pour les scolaires et qu'il serait préférable qu'elles utilisassent les «dames seules», afin que leurs chastes oreilles ne soient pas effarouchées par les plaisanteries grossières débitées par certains malappris.

    JACQUES. - Il s'agissait pourtant de toute autre chose.

    JEAN. - Eh ! De quoi donc !

    JACQUES. - Cet «ingénieur» à l'eau chaude, comme l'appelait l'inénarrable «Pitchou », leur exposa avec force détails... la signalisation.

    JEAN. - La si...gna...li...sa...tion ! ! !... La signalisation ! Hi... Hi... Hi... Sans doute leur enseignait-il le moment psychologique où le disque rouge doit être manœuvré pour ralentir les entreprises de jeunes gens trop dégourdis pour leur âge ou bien, Ha... Ha... Ha... leur apprenait-il, quand il nécessaire de présenter le carré d'arrêt absolu pour protéger un de leurs... trains... et éviter ainsi qu'on ne fasse éclater les pétards... Ho... Ho... Ho...

    JACQUES et JEAN (ensemble). - Hi... Hi... Ha... Ha... Ho... Ho... Hè... Hè... Hi... Hi... Ha... Ha... Ho... Ho... !

    JEAN. - On a bien raison de dire que le rire est sain. Je viens de me faire «une pinte de bon sang». Mais... douloureux contraste, il est pénible de constater que le lieu était mal choisi. Ah ! si ces choses très intéressantes avaient été exposées aux agents des gares et des trains, que ces spécialités concernent, je serais heureux de crier de toutes mes forces «bravo !».

    JACQUES. - Hélas !... Pas plus dans ce domaine que dans les autres, on ne fait rien. On laisse les agents se dépêtrer dans de multiples instructions souvent nébuleuses ou ambiguës.

    JEAN. - Il y a bien l'Ecole des Chemins de fer, mais on n'y prépare que des techniciens et tout le monde ne peut pas l'être.

    JACQUES. - Les chefs de gare donnent aussi de temps en temps des causeries dignes d'être encouragées.

    JEAN. - Initiative très louable, je le reconnais très volontiers, mais totalement insuffisante.

    JACQUES. - Il n'y a que l'Administration qui puisse prendre toutes les mesures utiles dans ce domaine, en donnant les directives nécessaires. Elle excuse son inertie en disant «A quoi bon ! La jeunesse ne pense qu'à jouir et nullement à s'instruire». C'est une erreur. De tout temps et sous toutes les latitudes, la jeunesse a toujours été et sera toujours la même, compte tenu du progrès, en bien ou en mal d'ailleurs. C'est aux gens plus pondérés, plus instruits, qu'il appartient de susciter l'ardeur anesthésiée, de coordonner les efforts, d'indiquer la voie à suivre, de fournir les moyens adéquats et d'encourager les bonnes volontés.

    JEAN. - A ce point de vue, nos dialogues seront analeptiques aussi bien pour le personnel que pour l'Administration. Peut-être fera-t-on quelque chose ?

    JACQUES. - Il serait temps...

    JEAN. - Bien souvent nos chefs directs, surchargés de besogne n'ont pas le temps de nous donner les explications, les conseils que nous sommes en droit d'attendre d'eux, tant au point de vue administratif que moral. Ces supérieurs, les plus nombreux, il faut bien le reconnaître, ne disposent que de rares instants pour nous instruire.

    JACQUES. - C'est dommage, car ils devraient pouvoir nous faire bénéficier de l'expérience qu'ils ont durement acquise. Néanmoins, après notre «revue», écrions-nous : «Clairons, ouvrez le ban... Sous-officiers, caporaux et soldats de l'armée cheminote..., Inclinez-vous devant ces grognards, élite des troupes pacifiques du Rail,... Vieilles Gloires, riches d'éclatantes victoires remportées sur le champ de bataille du Travail,... Honneur de notre vaillante corporation... Respectez la suprématie du cerveau et des qualités du cœur... Reconnaissez ces hommes comme vos supérieurs et obéissez leur dans tout ce qu'ils vous commanderont pour le bien suprême du service et l'exécution des Règlements... Clairons, fermez le ban...»

    JEAN. - Malheureusement, il en est quelques-uns qui connaissant à fond leur «popote» journalière, préfèrent exécuter le travail eux-mêmes, plutôt que de le donner à leurs subordonnés non initiés et qu'ils devraient mettre au courant. Ils conservent ainsi jalousement, au détriment de l'administration, leur patrimoine de connaissances.

    JACQUES. - J'en connais qui aimeraient mieux te donner deux francs qu'un renseignement.

    JEAN. - Quelle ineptie ! D'aucuns, atteints jusqu'à la moelle par la déformation professionnelle inéluctable, répondent : «Faites ainsi, parce que je vous le dis ; on a toujours procédé ainsi. Suivez les errements, prenez un précédent, un modèle stéréotypé».

    JACQUES. - Nous ne sommes cependant pas des automates à qui l'on fait exécuter la «Parademarch» comme à des grenadiers poméraniens.

    JEAN. - Nous ne sommes pas adversaires de la discipline. Nous savons et nous comprenons que si elle fait la force des armées, elle doit également présider à nos relations administratives. Sans cela rien à faire. Un supérieur qui dénonce les agissements répréhensibles d'un subordonné ne fait que son devoir, s'il agît loyalement.

    JACQUES. - On ne peut cependant attirer des ennuis à quelqu'un pour des vétilles résultant le plus souvent d'une défaillance passagère, surtout si l'on constate qu'il n'y a pas mauvaise volonté de la part de l'intéressé, mais plutôt des circonstances anormales qui influent momentanément sur son état (maladie, indisposition, décès d'un paient pioche, de sa femme, de son enfant, déboires amoureux ou matrimoniaux, etc.).

    JEAN. - Pour corser encore un peu notre entretien, laisse-moi te lire deux missives que j'ai sous les yeux. Elles te démontreront quelle patience on avait jadis avec certains individus peu conscients de leur devoir.

    JACQUES. - Des indiscrétions !...

    JEAN. - Pas le moins du monde. D'abord, je ne te citerai pas les noms, ça n'aurait d'ailleurs aucune importance, les personnages en question ont depuis longtemps déjà passé le Styx et reposent en paix dans le séjour béatifique de l'Elysée. Les lettres dont je vais avoir le plaisir de te donner connaissance ont été écrites, il y a plus de soixante-six ans. Voici :

    « Depuis longtemps déjà j'ai à me plaindre de la manière dont M... employé au bureau de ... s'acquitte de sa besogne. J'avais pris patience, espérant qu'il écouterait mes recommandations, mais il s'obstine à ne pas s'amender, j'ai l'honneur de venir vous rendre compte de l'emploi de ses heures de bureau pendant les huit jours écoulés :

    » Vendredi, 30 août, il est sorti du bureau à onze heures et n'y est plus rentré.

    » Samedi, 31, il n'est point venu de toute la journée. (J'ai appris qu'il s'était rendu à Erquelines, sans autorisation).

    » Dimanche, 1er septembre, il est venu un instant le matin et n'a fait aucune lettre.

    » Lundi, 2 septembre, n'a pas écrit une seule lettre.

    » Mardi, 3 septembre, il a quitté le bureau à 2 heures 20 minutes et y est rentré à 4 heures 30 minutes.

    » Mercredi, 4 septembre, il n'est point venu l'après-midi.

    » Jeudi, 5 septembre, il est entré au bureau à 7 heures 40 minutes et, après avoir regardé ce qui était sur son pupitre, il est sorti aussitôt, ne s'étant pas assis et alla directement au cabaret près du bureau, où je l'ai vu entrer. Il est revenu au bureau à 8 heures 30 minutes pour en sortir de nouveau sans rien dire, à 8 heures 40 minutes.

    » Etant allé ..., je revenais vers 9 1/2 heures et je l'ai rencontré ... se dirigeant vers sa demeure. Il est entré au bureau à 10 heures 25 minutes et sorti à 11 heures 1/2.

    » Rentré l'après-midi, il est sorti pour ne plus revenir, à 2 heures 35 minutes. Il n'a fait aucune lettre.

    » Vendredi, 6 septembre, à l'heure où je termine cette lettre (10 heures) il n'est pas encore arrivé.

    » Vous voudrez bien, je vous prie, Monsieur, prendre telle mesure que vous jugerez convenable pour faire cesser cet état de choses qui est très préjudiciable non seulement au bon ordre du bureau, mais encore aux intérêts de la Compagnie.

    » Veuillez, etc... »

    JEAN (continuant). - Celle-ci encore :

    « Madame ..., tenant hôtel ... vint hier me dire que M... ayant l'habitude d'aller boire la goutte chez elle tous les matins, lui avait emprunté depuis quelque temps déjà, une somme de dix francs, promettant de la lui remettre aussitôt après le retour de sa femme qui était à Paris.

    » Quelques jours après, se plaignant de ce que ce retour n'avait pas lieu aussitôt qu'il le désirait, il réclama de nouveau un prêt de 15 francs. Cette somme lui fut également remise à la condition bien expresse que les 25 francs seraient remis le 1er septembre courant.

    » Cette époque étant arrivée, et voyant que non seulement M... ne lui rapportait pas son argent, mais encore qu'il ne fréquentait plus son établissement et qu'il évitait de passer en face de la maison, Madame ... alla le trouver un jour, dans un cabaret rue ... pour le lui réclamer. Il lui assura qu'il était préparé dans son pupitre et qu'il allait s'empresser de le lui reporter.

    » Il n'en fit cependant rien.

    » Une seconde démarche faite par cette dame dans les mêmes conditions, n'eut pas plus de succès. Elle ne put, m’a-t-elle dit, s'empêcher de lui reprocher ce qu'il y avait de déloyal dans sa conduite.

    » Convaincue qu'elle ne pourrait rien obtenir de bon gré de son débiteur, Madame ... me prie d'avoir l'honneur de vous transmettre sa réclamation, espérant que par votre obligeante intervention, elle pourra être remboursée de son prêt.

    » Veuillez... »

    JACQUES. - Les temps sont bien changés depuis ! Il est vrai que nous avons eu la guerre qui a transformé, non seulement la carte de notre vieille Europe, mais aussi les conditions sociales. A ce point de vue, pardonne-moi de m'exprimer ainsi, elle a eu du bon. Si l'après-guerre a conféré au salarié plus de droits, elle lui a aussi donné plus de devoirs et la conscience professionnelle du monde des travailleurs a été ainsi modifiée de fond en comble. J'en suis heureux.

    JEAN. - De temps en temps, on rencontre encore quelques petits caporaux qui, tout éberlué du brimborion d'autorité qu'on leur a octroyé, voudraient jouer leur petit «Napoléon». Ne sachant rien ou pas grand'chose, ils se croient issus de la cuisse de Jupiter et pensent posséder de Dieu, l'omniscience.

    JACQUES. - Il me semble que l'on devrait tout de même se montrer plus circonspect et plus sévère dans le choix des grades.

    JEAN. - Je pourrais dire un tas de choses mais, en bon chasseur, je conserve quelques flèches acérées dans mon carquois.

    JACQUES. - Tu pourrais dire empoisonnées ! Ne remue donc pas la vase, laisse-la, à sa place, dans les bas-fonds. De grâce, ne la fait pas remonter à la surface.

    JEAN. - Nous ne les méprisons cependant pas, nous en avons compassion, mais nous ne sommes pas disposés à obéir aveuglément, d'une façon moutonnière, à la force brutale. Notre dignité nous oblige à ne pas nous soumettre à de tels procédés. L'autorité, ce n'est ni le despotisme, ni la tyrannie.

    JACQUES. - C'est l'ordre systématique.

    JEAN. - Sans lequel, il n'y a pas d'harmonie. Celui qui exerce l'autorité doit le faire sans haine, sans acrimonie, sans crainte et sans orgueil. De notre côté, notre obéissance et notre respect doivent être exempts de bassesse.

    JACQUES. - L'un commande, l'autre obéit.

    JEAN. - Aucun n'est le premier, aucun n'est le second devant la morale universelle. Tous, nous devons contribuer, selon nos moyens, tous nos moyens, et avec dignité au bien-être commun de la société.

    JACQUES. - On nous accuse cependant d'être des moscoutaires, des démolisseurs.

    JEAN. - Au contraire, nous sommes des constructeurs. Nous ne nous humilions pas en faisant preuve d'obéissance quand nous le faisons dignement. De l'échelle 1 à l'échelle 18, aucune besogne n'est avilissante. Tous, nous contribuons, selon nos aptitudes, à l'œuvre commune.

    JACQUES. - Celui qui a la puissance devrait la consacrer à réparer les torts de l'injustice, à encourager le mérite modeste et obscur. Plus on a de connaissances et de puissance, plus on devrait s'en servir pour l'instruction des autres.

    JEAN. - Ceux qui savent, doivent communiquer leurs idées aux autres ; c'est un devoir sacré. Travaillant ensemble, nous devons réunir nos efforts pour nous procurer la plus grande somme possible de bien-être matériel et moral. Seuls, nous sommes impuissants, réunis, nous sommes invincibles. Pas de politique, des revendications professionnelles, telle doit être notre devise.

    JACQUES. - A ce point de vue, l'organisation du service du Personnel (statuts, conditions de rémunération, représentation du personnel), sans être parfaite, peut être considérée comme ayant atteint un stade élevé dans l'ordre des revendications professionnelles. Tout ça, grâce à l'action inlassable du S.A.N.B. A ma connaissance, aucune usine, aucun établissement de commerce ne possède une réglementation qui puisse soutenir la comparaison et bien des coopératives politiques ne sont pas encore parvenues à obtenir un système comme le nôtre.

    JEAN. - T'emballes pas, cher camarade, je vais «t'en boucher un coin». Donnes-toi la peine d'écouter attentivement l'article dont je vais avoir le plaisir de te donner connaissance. Il a paru dans la «Chronique des Transports» et vaut la peine d'être relevé. Tu pourras te rendre compte que l'idée de saine collaboration progresse partout.

    JACQUES. - J'écoute.

    JEAN (lisant). - « Un essai pour la collaboration entre personnel et direction dans les compagnies de chemins de fer.

    » La semaine dernière (octobre 1927) a été tenue à Liverpool, la première d'une série de conférences entre la direction et les employés de la Compagnie des chemins de fer «London Midland et Scottisch». Ces conférences sont dues à l'initiative de Sir Josiah Stamp, directeur de la compagnie et seront consacrées à l'examen de toutes les questions relatives à l'administration des chemins de fer. On espère obtenir une augmentation du rendement et de la prospérité de la compagnie en réalisant d'une manière pratique une collaboration régulière et cordiale entre la direction et le personnel. »

    JACQUES. - Tiens, tiens tu m'étonnes...

    JEAN (continuant). - « Cette initiative n'a pu être prise que parce qu'elle avait l'appui personnel de M. J. H. Thomas, leader de l'Union des cheminots, qui toujours fidèle à la tactique modérée qu'il n'a cessé de prêcher aux trades unionistes, a expliqué dans un texte publié par le Times du 15 septembre toute l'importance qu'il fallait lui accorder et a recommandé aux employés d'y participer sans réserves. »

    JACQUES (interrompant). - Si on nous faisait pareille demande, nous accepterions bien volontiers.

    JEAN (poursuivant). - « Des conseils où la compagnie et les employés sont représentés en nombre égal, existent déjà. Ils ont été organisés par la loi sur les chemins de fer de 1921, et fonctionnent à trois degrés : conseils locaux, conseils régionaux et conseils de «compagnie» (railway Council). Ils avaient pour objet d'examiner les questions d'amélioration de l'organisation du travail, et les méthodes nouvelles pour faciliter le travail, et aussi de rechercher les causes des défectuosités dans le fonctionnement du service. Jusqu'à présent ces conseils n'avaient pas eu de rôle actif, surtout dans les questions générales d'administration et la L.M.S. voudrait précisément leur donner plus d'activité de ce côté. »

    JACQUES. - Dans nos réunions avec l'Administration, nous ne traitons que des affaires corporatives. C'est différent.

    JEAN (imperturbable). - « Les réunions actuelles ont pour but d'établir les bases d'un programme de collaboration permanente. Pour cela des conférences auront lieu au siège de chacune des 14 régions entre lesquelles la compagnie est divisée, conférences auxquelles assisteront des représentants de la direction, les dirigeants locaux et des représentants cheminots. »

    JACQUES. - Chic ça !...

    JEAN. - Laisse-moi donc lire...

    « Les principales questions qui seront discutées sont : la concurrence des transports par route, le prix de revient des opérations de transport (manœuvres, circulation, chargement) les problèmes du matériel roulant, les accidents du travail et leur prévention etc... c'est-à-dire les questions intéressant l'administration générale et le meilleur rendement de la ligne. »

    JACQUES. - Très intéressant.

    JEAN (agacé). - Garde tes réflexions pour toi...

    « Le directeur dans son discours d'ouverture de la réunion de Liverpool a invité tous les employés, participant à un titre quelconque au travail de la compagnie, à faire connaître leurs idées pour l'amélioration des affaires de celle-ci, qui en ce moment ne sont pas très brillantes. En effet, à la date du 7 août 1927, la L.M.S. avait perçu, pour le transport des voyageurs et des bagages 1.493.000 livres de moins que pendant la période correspondante de 1925, et pour le transport des marchandises 1.188.000 livres de plus, soit un déficit total de 305.000 livres. (La comparaison avec 1926 n'aurait rien prouvé à cause de la désorganisation consécutive aux grèves).

    » Ce déficit, a ajouté sir J. Stamp, pour sérieux qu'il soit, aurait été plus grave encore, si les tarifs de transport des marchandises n'avaient pas été relevés au 1er février 1927. Mais c'est un remède qui ne peut servir éternellement, et si nous allions trop loin, nous risquerions de «tuer la poule aux œufs d'or». Les causes de la diminution du trafic voyageurs et marchandises tiennent peut-être aux conditions économiques générales dont souffre le pays. S'il en est ainsi nous pouvons rechercher ensemble si nous pouvons apporter quelque remède à la crise. Mais d'autres prétendent que la dépression économique n'est pas générale, et qu'un certain nombre d'affaires sont prospères. Je vous demande à tous d'examiner avec nous ce qu'il faut faire pour que ces affaires viennent à nous ? »

    JACQUES. - Voilà une proposition sensée.

    JEAN (Comme s'il n'avait rien entendu). - « Ce discours révèle, nettement, l'esprit dans lequel la réforme est introduite : faire appel à l'initiative de tous, dans l'intérêt commun. A l'issue de la première réunion à laquelle assistaient, en dehors d'un certain nombre de dirigeants de la compagnie, des représentants des trois grandes fédérations de cheminots, les résolutions suivantes ont été adoptées :

    » 1) L'assemblée approuve les déclarations de la compagnie, qui sont en harmonie avec la politique trade-unioniste, et décide de consacrer tous ses efforts à améliorer les affaires de la compagnie par une collaboration constante.

    » 2) Elle décide que pour mettre rapidement en œuvre cette décision, des réunions des comités locaux devront être organisées le plus tôt possible ;

    » 3) Toutes les questions d'intérêt général discutées dans les comités locaux devront être rapidement soumises à l'examen des comités régionaux ;

    » 4) Tous les membres du personnel, dans tous les services sont invités à apporter toute l'aide possible à leurs représentants et à consacrer leurs efforts personnels à la réussite du mouvement actuel.

    JACQUES. - Magnifique programme.

    JEAN (Faisant toujours la sourde oreille). - « Cette expérience éveille beaucoup de sympathie dans de nombreux milieux anglais : Le Times, dans son éditorial du 21 septembre, fait remarquer que ce qu'il y a d'intéressant dans l'initiative de sir J. Stamp c'est qu'elle vise à développer un esprit nouveau de collaboration active et bienveillante, basée sur l'idée de l'intérêt commun de la direction et du personnel au bon fonctionnement de la compagnie, et que pour la première fois le personnel accueille cette tentative avec sympathie.

    » Le Manchester Guardian salue cette initiative comme la première réalisation pratiqua de la paix industrielle, à propos de laquelle tant de paroles vagues ont été prononcées ces derniers temps. D'après lui, l'initiative de sir J. Stamp se distingue d'autres essais analogues non pas parce qu'elle invite le personnel à collaborer à l'administration de la compagnie, mais parce qu'elle met sur pied une organisation qui encouragera les employés à contribuer à la prospérité de la ligne par leurs efforts personnels et qui leur en donnera le moyen pratique. Pour ce journal également l'intérêt de la tentative réside dans l'appui que lui apporte J. H. Thomas. Nulle part autant que dans les chemins de fer, l'état d'esprit dans lequel l'individu accomplit sa besogne ne peut modifier le rendement général. Sir J. Stamp demande en fait aux cheminots un effort personnel pour diminuer les frais d'exploitation. De son côté, M. J. H. Thomas déclare aux cheminots : «N'espérez pas obtenir pour vous le maximum dans une industrie quelconque si vous n'êtes pas prêt à y consacrer le meilleur de vous-même». Ceci, dit M. G., est la seule base possible pour une collaboration pratique. »

    JACQUES. - Bravo !... Parfaitement d'accord.

    JEAN. - Pour être impartial, il faut bien lire l'extrait jusqu'au bout.

    (Reprenant la lecture). - « Cette initiative qui ne fait en somme qu'utiliser une organisation existante est surtout intéressante comme la première manifestation pratique d'un heureux changement qui s'est opéré dans l'esprit des syndiqués anglais. »

    JACQUES. - Erreur. Si cela n'a pas été réalisé plus tôt, c'est parce qu’on a toujours refusé la collaboration offerte par les syndiqués.

    JEAN. - Je termine.

    « Il semble incontestable que, dans quelques corporations tout au moins, peut-être sous l'influence de chefs, qui comme J. H. Thomas ont été aux prises avec les réalités, un revirement soit en train de se produire. Il existe actuellement une tendance évidente à demander à des méthodes inspirées de l'Amérique, une amélioration de la condition des travailleurs que les méthodes de violence et de haine ont été impuissantes à leur procurer. »

    JACQUES. - Travailler ensemble dans un esprit de bonne volonté et de franche cordialité réciproque, apprendre à mieux se connaître, mieux se comprendre, en un mot se rapprocher pour le bien commun : nous n'avons jamais demandé autre chose !

    Trop heureux si nos dialogues ont pu te plaire, camarade, nous te répétons :

    Cheminot, chemine... et travaille.

    Hardis et «for ever», les travailleurs Nord-Belges !

    J. J.

    FIN


    A la manière de ....

    ou

    .... du sévère

    au plaisant ..

    (on sait rire au Nord)

    Il est défendu de descendre ...

    par E. Bothuit.

    Pour prévenir les catastrophes
    Dont on parle été comme hiver,
    Je veux te chanter dans mes strophes :
    Règlement du chemin de fer.
    Ainsi, quoi que puisse prétendre
    Un esprit maussade ou chagrin,
    Il est défendu de descendre
    Avant l’arrêt complet du train.

    Les voyageurs ont la manie
    De circuler dans tous les sens.
    L'un s'en va vers la Germanie.
    L'autre prend un billet pour Sens.
    Que vous arriviez de Port-Vendre,
    D'Argenteuil ou de Pontchartrain,
    Il est défendu de descendre
    Avant l'arrêt complet du train.

    Chacun sait bien que les grands hommes
    Ne sont pas très obéissants ;
    Même les petits que nous sommes
    Sont parfois bien récalcitrants.
    Fussiez-vous le «rand Alexandre,
    César, Landru même ou Mandrin,
    Il est défendu de descendre
    Avant arrêt complet du train.

    Suivons ce précepte très sage.
    Notre sort sera sûr et long ;
    Et, quand pour le dernier voyage
    On nous mettra dans le fourgon,
    Souvenons-nous bien - sans attendre
    l’injonction du garde-frein -
    Qu’il est défendu de descendre
    Avant l’arrêt complet du train.

    (Extrait de la Revue " Nord-Magazine „)

    RIMES Par E. BOTHUIT

    Air « Les Enfants » de Massenet

    « Ne laissez pas les enfants
    Jouer avec la serrure »

    Ils sont gentils, ces innocents.
    Mais ils n'ont pas la main très sûre.
    Les petits, ni même les grands,
    Quand ils tripotent la serrure.

    Ils tiennent des propos touchants
    Touchant le mode d'ouverture ;
    Mais savent-ils, les ignorants,
    Comment se ferme la serrure ?

    Vous dites : Ce sont des tyrans ;
    Avec eux la paix ne s'assure
    Que si les parents complaisants
    Laissent toucher à la serrure.

    Hélas ! les petits imprudents
    Risquent la plus triste aventure
    Quand ils vont à pas chancelants
    Tourner et tourner la serrure.

    Jamais ne soyez indulgents
    Pour des jeux de cette nature ;
    Les chérubins ont bien le temps
    De se démolir la figure.

    (Extrait de la Revue " Nord-Magazine „)


    EDITE PAR LE

    SYNDICAT DES AGENTS

    DE LA Cie DU CHEMIN DE FER DU NORD

    LIGNES BELGES 20-22. RUE DU CHENE, KINKEMPOIS-LIEGE

    SORTI DES PRESSES DES

    IMPRIMERIES NATIONALES DES MILITAIRES MUTILES

    ET INVALIDES DE LA GUERRE

    130, RUE PARADIS, 130

    LIÈGE

    (JUIN 1929)


    Notes

    (note 019) Il faut cependant remarquer que la voie métallique a été utilisée dès la plus haute antiquité. En effet, les Egyptiens l'employaient pour la mise en place de leurs obélisques, et les Romains s'en servaient pour amener à pied d'œuvre leurs machines de guerre (Cf. Encyclopédie par l'image. Hachette, Edit.).

    (note 021) En 1832.

    (note 051) Cf. Documents officiels, Imprimerie L. Danel, Lille. (Collections du S.A.N.B.).

    (note 149) Cf. : Geschicht des Hochstift Lüttich, p. 16.

    (note 150) Cf. Saint-Mathieu chapitre V, verset 13.

    (note 180) La nouvelle C. I. M. a été mise en vigueur le 1er octobre 1928.

    (note 217) Le 1er avril 1928, un nouveau changement a été apporté au système de tarification. Ce changement n'accuse qu'une légère majoration. En effet au lieu de 6 classes, composées chacune de 3 séries ou 18 subdivisions, on a élargi la classification en 8 classes de 3 séries ou 24 subdivisions. On a créé 2 nouvelles classes qui s'intercalèrent entre les deuxième et troisième classes du 15 janvier 1927. Elles ont pris la numérotation 3 et 6 et comportent, la première, une majoration de 15 % sur les prix de la troisième de 1927 et la seconde, une augmentation de 24 % sur les prix de la cinquième de 1927.

    ***

    Depuis le 1er mars 1929, un nouveau relèvement des tarifs est entré en vigueur. En général, on peut dire que les barèmes marchandises ont été augmentés de 10 %. Pour des raisons de concurrence, d'ordre économique ou d'intérêt général, il a cependant été reconnu nécessaire de ne pas toucher à certains tarifs spéciaux. D'autres ont subi des majorations diverses, par exemple, les charbons destinés à l'intérieur du pays ont été augmentés de 7 % alors que ceux pour l'exportation n'ont pas été relevés. Pour maintenir les situations respectives des industriels belges et luxembourgeois, le tarif des minerais a été majoré de 10 %, celui des cokes destinés aux usines belges de 13 1/2 % et celui des cokes pour l'étranger, de 11 % seulement. En outre, pour forcer les expéditeurs à utiliser d'une façon plus rationnelle le matériel mis à leur disposition, l'écart entre les séries A et C a été porté de 30 à 35 %, et celui existant entre les séries B et C, de 10 à 15 %.

    Il résulte de ce qui précède que le coefficient moyen des tarifs marchandises, compte tenu de l'incorporation des frais accessoires dans la taxe initiale, peut être évalué à 7,3.

    Pour les petites marchandises, le système est complètement changé, notamment en ce qui concerne les délais de livraison qui sont plus réduits.

    Nous avons maintenant :

    1. le tarif exprès (transports acheminés par trains de voyageurs ; prix du tarif d'avril 1928 augmenté de 25 % ; remise à domicile immédiate). Toutefois, les denrées périssables continuent à bénéficier des prix du tarif de 1928 ; d'où la nécessité des deux barèmes A et B. ;
    2. le tarif de grande vitesse, identique au tarif II ancien. Les colis sont acheminés par trains de grande vitesse ou de voyageurs ; remise au plus tard le surlendemain du jour de l'acceptation : taxes de 1928, majorées de 50 % ;
    3. Le tarif de petite vitesse, pour lutter contre la concurrence automobile. Les envois sont livrés dans les quatre jours. Les taxes s'établissent ainsi : a) pour les envois de 250 kg et moins, celles du tarif II de 1928 diminuées de 10 % ; b) pour les expéditions d'un poids supérieur, 10 % d'augmentation sur le tarif des charges incomplètes de 1928.

    Enfin, pour faciliter l'application des taxes, les frais accessoires d'enregistrement, d'avis d'arrivée, d'avance de frais et de statistique ont été compris dans le prix à la tonne.

    (note 266) Par suite de la majoration du 1er mars 1929, les bases ont été portées à 0,221, 0,384 et 0,66 pour les 3e,2e et 1re classes. Les coefficients deviennent ainsi 5,83, 6,00 et 5,93. Le coefficient moyen est donc de 5,93.

    (note 270) Le système préconisé a été adopté depuis.

    (note 273_1) Le 1er avril 1928, on a baissé les prix de ces abonnements. Le coefficient de majoration par rapport aux prix de 1914 a été ramené à 8.46 et 8.51 respectivement pour les cartes de 5 et de 15 jours.

    Le 1er mars, cependant, ces coefficients sont portés à 8.89 et 8.94.

    (note 273_2) 6.8 à 8.1 depuis le 1er mars 1929.

    (note 274) 15.3 depuis le 1er mars 1929.

    (note 291) La C. I. V. a été mise en vigueur le 1er Octobre 1928.

    (note 297) Le souci de la vérité nous oblige cependant à signaler qu'à présent, pour ce qui concerne l'Exposition de 1930 à Liège, des «réclames» dans la langue du pays ont été diffusées à l'étranger.